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Budget judiciaire
Des promesses de modernisation aux réalités archaïques des tribunaux
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Budget judiciaire
Des promesses de modernisation aux réalités archaïques des tribunaux
Chaque année pour le Budget, le ministre des Finances promet la modernisation des infrastructures judiciaires et l’amélioration de l’efficacité du système judiciaire. Le Budget 2024-2025 ne fait pas exception. Cependant, malgré ces annonces répétées, la réalité sur le terrain raconte une histoire différente, où les dysfonctionnements et les carences de base continuent de hanter le système judiciaire mauricien. L’e-judiciary n’est pas un nouveau projet. Annoncé il y a une dizaine d’années, il est toujours en phase pilote et peine à démarrer. Des problèmes initiaux comme l’accès à la WiFi, un enregistrement numérique efficace ou même des téléphones fonctionnels ne sont toujours pas une réalité dans certains tribunaux.
L’e-judiciary est un projet dont on entend parler depuis une dizaine d’années. Il devait se faire en plusieurs phases, mais la première est toujours sur une base pilote, n’a jusqu’ici pas fait ses preuves et est au point mort. Le judiciaire peine à poursuivre les autres phases afin de vraiment digitaliser le secteur. Chaque année, on annonce dans le Budget un e-judiciary pour les juges et la greffe (registry) de la Cour suprême.
À ce stade, l’e-judiciary concerne uniquement la cour commerciale pour le e-filing des documents. Même là, c’est un échec total car le système ne fonctionne pas souvent. Une fois que les dossiers sont téléchargés en ligne, tout s’arrête là et les affaires ne bougent plus. Au bout du compte, les avocats et avoués sont contraints de se présenter en personne pour déposer leurs motions et voir ce qui se passe avec leurs affaires. Il est légitime de se demander si les progrès et les projets actuels suffisent réellement à moderniser la justice et à la rendre plus accessible à tous.
Outils obsolètes
Il y a aussi des affaires basiques qui entravent une justice moderne dans ce pays. Le digital recording dans nos tribunaux semble être un outil informatique daté des siècles avant, car une fois les affaires enregistrées numériquement, il faut envoyer l’enregistrement à l’unité de transcription qui, à son tour, écoute l’enregistrement et le traduit en mots sur papier. Cela prend en principe trois mois et dans certains cas, beaucoup plus longtemps. Sommes-nous conscients du nombre d’affaires qui ont dû être renvoyées parce que les transcriptions n’étaient pas prêtes ? Si l’Assemblée nationale peut avoir un système de transcription qui permet que les travaux du Parlement, le hansard, soient disponibles au public dans les deux jours suivant les travaux, pourquoi le judiciaire ne peut-il pas se doter d’un système similaire afin d’accélérer les affaires en cour et d’éliminer les retards ? Ces démarches devraient pourtant être la priorité d’un gouvernement qui souhaite rendre la justice plus accessible et rapide.
Pas de connexion WiFi
Alors que le ministre des Finances met en avant les efforts pour moderniser le système judiciaire, une réalité troublante persiste dans certaines cours de district : l’absence de connexion WiFi. Cette situation paradoxale soulève des questions fondamentales sur la réelle portée de cette modernisation annoncée. Dans plusieurs tribunaux des districts, les officiers de justice et les magistrats sont contraints de recourir à des hotspots personnels pour accéder à internet. À cette problématique de connectivité s’ajoutent des équipements informatiques souvent défaillants. Les ordinateurs en panne et les systèmes obsolètes retardent non seulement le case management, mais contribuent également à une accumulation des affaires en attente. Ces dysfonctionnements techniques engendrent des délais supplémentaires dans un système déjà critiqué pour sa lenteur. Les promesses de modernisation semblent bien loin de la réalité des professionnels du droit.
Des lettres par la poste
En plus de ces lacunes technologiques, il est troublant de constater que dans certains tribunaux, les téléphones ne fonctionnent pas. Plusieurs personnes témoignent des difficultés rencontrées lorsqu’elles doivent entrer en contact avec un officier de justice pour obtenir des informations. Les téléphones sont souvent hors service et aucune adresse email n’est disponible pour envoyer une requête d’information. Ainsi, les justiciables sont contraints de se déplacer physiquement, rappelant les années 90 où tout se faisait sur papier et en personne. Même les magistrats sont soumis à des procédures administratives dépassées. Pour faire une demande de congé, ils doivent envoyer une lettre par la poste à la personne responsable, qui leur répond également par lettre. Ces pratiques archaïques sont en totale contradiction avec les ambitions de modernisation du système judiciaire. Comment peut-on parler de justice moderne avec de telles pratiques encore en cours ?
Dans les cours de district, les mardis et les jeudis sont consacrés aux formal matters. Pendant ces deux jours, toute la journée est utilisée pour s’assurer de la présence des accusés et pour confirmer s’ils acceptent ou non les faits qui leur sont reprochés. Pour les officiers, ainsi que les usagers de la cour, cela représente une perte de temps totale car ces journées pourraient être mieux utilisées pour entendre des affaires. Un moyen plus moderne et efficace de gérer ce type de travail bureaucratique serait nécessaire pour optimiser le fonctionnement des tribunaux.
Malgré les annonces budgétaires annuelles de modernisation des tribunaux, la réalité montre que le système judiciaire peine à adopter des solutions technologiques de base. Pour que le projet de modernisation judiciaire prenne enfin son envol, il est impératif de résoudre ces problèmes fondamentaux et de s’assurer que les investissements annoncés soient effectivement mis en œuvre. Le chemin vers une justice moderne et efficace à Maurice semble encore long et semé d’embûches.
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