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Questions à...
Devesh Dukhira : «Le nombre de planteurs est passé de 8 958 à 7 507… »
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Devesh Dukhira : «Le nombre de planteurs est passé de 8 958 à 7 507… »

Devesh Dukhira, Chief Executive Officer (CEO) du Syndicat des sucres.
La baisse du prix ex-Syndicat à Rs 27 478 la tonne représente un recul de 11 %. Quelle est la justification économique de ce prix, et permet-il encore aux planteurs et aux usiniers de couvrir leurs coûts de production ?
Le prix ex-Syndicat, qui découle des recettes de la vente de sucre, a effectivement baissé pour la récolte 2024. Toutefois, il convient de rappeler que les prix des deux années précédentes étaient exceptionnels. En 2022, une forte baisse de la production en Europe, combinée à une hausse significative des coûts de l’énergie à la suite de l’invasion russe en Ukraine, avait entraîné une flambée des prix du sucre sur ce marché, avec une augmentation moyenne d’environ 70 % par rapport à l’année précédente. Grâce à notre accès hors taxe à ce marché dans le cadre des Accords de Partenariat Économique, nous avons pu en tirer profit.
Nos prix de vente ont encore progressé pour la récolte 2023, soutenus par une nouvelle hausse des cours mondiaux et par un affaiblissement de 4 à 5 % de la roupie par rapport à l’euro et au dollar américain. Cela a permis d’atteindre un prix ex-Syndicat record de Rs 30 951 la tonne de sucre. Toutefois, les conditions du marché ont commencé à se normaliser à partir de la mi-2024, au moment où nous avons entamé la commercialisation de la récolte 2024, d’où le recul du prix à Rs 27 478 la tonne.
En tenant compte du fait que les planteurs et les usiniers ont perçu une somme additionnelle d’environ Rs 3 000 par tonne équivalente de sucre pour la bagasse, et que les planteurs ont également reçu un paiement supplémentaire de Rs 2 100 par tonne pour la mélasse, on peut considérer que les recettes totales pour la récolte 2024 demeurent satisfaisantes.
Ce prix est-il stable ou peut-il être révisé en cours de campagne si les conditions du marché évoluent ?
Malheureusement, avec une production annuelle d’environ 225 000 tonnes de sucre, contre une production mondiale avoisinant les 180 millions de tonnes, Maurice demeure un simple price taker. Comme pour d’autres produits agricoles, les cours du sucre sont influencés par l’offre et la demande, mais aussi par des phénomènes spéculatifs, ce qui engendre inévitablement des fluctuations. Après des prix rémunérateurs en 2022 et 2023, certains grands pays producteurs ont investi dans l’extension de leurs capacités de culture et/ou d’usinage. Cela a entraîné une augmentation de la production, exerçant ainsi une pression à la baisse sur les prix dès le début de l’année 2024, ce qui a influencé les négociations pour la nouvelle campagne en cours.
À ce jour, le cours mondial a chuté de plus de 200 dollars américains par tonne de sucre par rapport à la mi-2023. Selon les contrats de vente que nous finalisons actuellement, le prix ex-Syndicat pour la récolte 2025 pourrait avoisiner les Rs 20 000 par tonne, après déduction des charges statutaires.
Une plus grande transparence sur la répartition des revenus entre planteurs et usiniers est-elle envisagée pour mieux informer les producteurs ?
Le mode de paiement du Syndicat des Sucres, en place depuis plusieurs décennies, offre une transparence totale : chaque producteur reçoit une part des recettes nettes de vente du Syndicat, c’est-à-dire après déduction des frais opérationnels et financiers, proportionnellement à la quantité de sucre qui lui revient.
Il convient de préciser que le ratio de partage entre usiniers et planteurs est de 22:78, ce qui, à ma connaissance, représente l’un des taux les plus favorables aux planteurs parmi les pays producteurs de sucre.
Par ailleurs, le comité du Syndicat des Sucres comprend toujours des représentants des compagnies sucrières ainsi que des planteurs — petits et grands — selon leur contribution à la production nationale. Cette composition vise précisément à garantir la transparence et à ce que toutes les décisions soient prises dans l’intérêt de l’ensemble des parties prenantes. La présidence du comité est d’ailleurs alternée chaque année entre un représentant des compagnies sucrières et un représentant des planteurs.
Craignez-vous que certains planteurs se désengagent face à une rémunération qu’ils jugeraient insuffisante ?
Je tiens d’abord à rappeler que les revenus tirés de la canne au cours des trois dernières années ont été globalement rémunérateurs, dépassant même les prix minimaux garantis par le gouvernement aux petits planteurs. Néanmoins, les abandons de la culture cannière ont continué : le nombre de planteurs est passé de 8 958 à 7 507 sur cette période.
Il est vrai que les enjeux de rémunération sont importants, mais le secteur fait également face à des contraintes structurelles. Parmi celles-ci figurent notamment la pénurie de main-d’œuvre et l’absence d’économies d’échelle chez les petits planteurs.
Il convient aussi de souligner que, depuis quelques années, le gouvernement garantit un prix minimal aux planteurs produisant jusqu’à 60 tonnes de sucre, précisément pour les protéger des fluctuations du marché. Ce prix a été fixé à Rs 35 000 la tonne pour la récolte 2025, ce qui devrait leur permettre de rester viables.
La baisse du prix pourrait-elle freiner les investissements ou la modernisation dans le secteur ?
Oui, certainement. Une baisse des prix entraîne généralement une diminution des investissements, ce qui risque d’avoir un impact négatif sur la productivité dans les années à venir. On a d’ailleurs constaté une baisse des rendements dans les champs au cours des années précédentes, en raison du manque de replantation lorsque les prix étaient passés en dessous du seuil de viabilité.
Même si les petits planteurs sont protégés grâce au prix minimal garanti par le gouvernement, les producteurs de plus grande taille devront, quant à eux, gérer prudemment leurs opérations. Ils devront profiter des bonnes années pour maintenir un niveau d’investissement constant à long terme.
Face à la chute des prix en Europe, comment évaluez-vous aujourd’hui la compétitivité du sucre mauricien sur les marchés internationaux ?
Je tiens à souligner que la baisse des prix en Europe au cours de l’année écoulée est insoutenable, même pour l’industrie sucrière européenne. Les plus grands producteurs du continent ont déjà enregistré des pertes financières, et cinq usines ont annoncé leur fermeture. De plus, la betterave étant une culture annuelle, les planteurs pourraient être tentés d’en réduire la superficie l’an prochain, ce qui entraînerait une baisse de la production – et, potentiellement, une remontée des prix.
Concernant le marché mondial, il s’agit d’un marché dit résiduel, car seulement un tiers de la production sucrière mondiale est exporté. Ces exportations se font souvent à des prix inférieurs aux coûts moyens de production, en raison de la cross-subsidisation pratiquée par les grands pays producteurs. Comme mentionné précédemment, le cours mondial a chuté de plus de 200 dollars américains par tonne au cours des 24 derniers mois, pour se situer actuellement en dessous de 500 USD la tonne de sucre blanc.
Heureusement, Maurice bénéficie d’un accès préférentiel sur certains marchés régionaux, notamment dans le cadre du COMESA, ce qui nous permet d’obtenir des primes additionnelles. Cela dit, nous faisons face à la concurrence d’autres origines qui bénéficient du même traitement tarifaire. Ainsi, après avoir satisfait la demande locale, notre sucre blanc est vendu en priorité sur ces marchés régionaux.
Par ailleurs, nos sucres spéciaux, qui se vendent avec des primes encore plus intéressantes, continuent d’être exportés vers nos marchés traditionnels, y compris l’Europe, qui regroupe désormais plus d’une soixantaine de pays.
Maurice explore-t-elle des débouchés alternatifs ou des marchés plus stables pour diversifier ses exportations ?
Malheureusement, malgré les protections tarifaires, les prix sur certains marchés restent influencés par les fluctuations des cours mondiaux — certaines destinations étant plus exposées que d’autres. Pour atténuer ces variations, nous mettons l’accent sur la commercialisation des sucres spéciaux, qui représentent désormais plus de 55 % de la récolte.
En ce qui concerne le sucre blanc, dont les prix sont plus volatils, nous veillons à maintenir une certaine flexibilité afin de cibler, chaque année, les marchés les plus rémunérateurs, qu’ils soient en Europe ou dans la région. Nous constatons également que la Chine, avec laquelle Maurice a signé un accord de libre-échange en 2021, constitue une destination prometteuse, offrant des primes supérieures aux cours mondiaux.
La forte volatilité des marchés sucriers complique-t-elle la planification des campagnes ?
Oui, certainement. Les ventes sont directement influencées par cette volatilité des prix. Compte tenu du déclin de la production à Maurice, notre objectif est de maximiser le prix obtenu pour chaque tonne de sucre produite. Cela nécessite une grande flexibilité dans le product mix, c’est-à-dire l’arbitrage entre le sucre blanc et les sucres spéciaux, ainsi que dans le choix des destinations. Il est essentiel de suivre en permanence l’évolution du marché international et de rester informé des opportunités et des développements susceptibles d’influencer les prix, afin de pouvoir prendre les décisions les plus appropriées.
Quelles sont les prévisions pour la campagne en termes de tonnage de cannes et de rendement ?
Selon l’estimation officielle de la Chambre d’Agriculture, la récolte 2025 devrait atteindre environ 220 000 tonnes de sucre, produites à partir de quelque 2,2 millions de tonnes de cannes, avec un taux d’extraction moyen de 10 %. Bien que la récolte de l’an dernier n’ait pas été beaucoup plus élevée – avec 225 547 tonnes de sucre –, le volume prévu pour 2025 reste nettement inférieur à la moyenne des cinq années précédentes, qui s’élevait à 265 872 tonnes.
Les conditions climatiques et opérationnelles actuelles sont-elles favorables à une bonne récolte ?
La croissance de la canne a malheureusement été affectée par des conditions climatiques plutôt sèches entre octobre 2024 et avril 2025, aggravées par l’interdiction d’irriguer imposée dans le cadre du Central Water Authority (Dry Season) Regulation. Les pluies survenues à partir de mars 2025 ont permis une certaine reprise de la croissance, mais des incertitudes subsistent quant au degré réel de rattrapage possible et aux conditions climatiques qui prévaudront durant l’hiver.
Y a-t-il des difficultés liées à la main-d’œuvre pour la récolte cette année ? Comment y faites-vous face ?
Le manque de main-d’œuvre constitue actuellement l’une des principales difficultés rencontrées par les planteurs, au point que certains champs n’ont pas pu être récoltés ces dernières années. Le gouvernement a annoncé l’importation imminente de travailleurs, que nous espérons voir arriver rapidement afin de pallier ce déficit important.
On observe que les jeunes ne souhaitent plus prendre la relève de leurs parents et grands-parents dans le secteur sucrier. Pensez-vous que le recours à la main-d’œuvre étrangère est une solution envisageable pour répondre aux besoins de la récolte ?
Je tiens d’abord à souligner que les champs du secteur corporate sont déjà largement mécanisés, représentant environ 80 % de la superficie totale sous canne. Pour le reste des terres, la main-d’œuvre étrangère est nécessaire afin d’assurer la pérennité de la culture de la canne.
Il convient toutefois de préciser que ces travailleurs sont principalement requis pendant la période de coupe. Pour que cette importation de main-d’œuvre étrangère soit viable financièrement, il serait important de bénéficier d’une certaine flexibilité, notamment la possibilité de retenir ces travailleurs sur une période plus longue et de les mobiliser sur d’autres activités agricoles pendant l’entre-coupe.
Par ailleurs, il est essentiel d’encourager le regroupement des petits planteurs et la préparation de leurs terres afin qu’ils puissent également adopter la récolte mécanique.
Comment le secteur sucrier contribue-t-il à la transition énergétique et à la réduction de l’empreinte carbone à Maurice ?
La bagasse, coproduit de la canne à sucre, est aujourd’hui la principale source d’énergie renouvelable à Maurice, représentant environ 10 % de la production d’électricité de la CEB — une part qui était de 17 % avant la baisse de la récolte. Avec un objectif de production fixé à 300 000 tonnes de sucre, cette contribution devrait augmenter, d’autant plus si les centrales thermiques parviennent à améliorer leur efficacité.
Je souhaite souligner qu’il existe une attente pour une révision de la rémunération de la bagasse, actuellement fixée à Rs 3,50 le kWh depuis 2021, alors que le coût d’importation de biomasse est aujourd’hui plus du double. Une revalorisation de ce tarif inciterait les planteurs à cultiver davantage de canne, d’autant que les feuilles peuvent également être brûlées pour produire de l’électricité.
Par ailleurs, selon une étude réalisée en 2020 par Soil & More Impacts, en Allemagne, le secteur sucrier mauricien affiche une empreinte carbone de 0,36 kilo de dioxyde de carbone par kilo de sucre produit, contre une moyenne générique de 0,43 kilo. Lorsque la production d’électricité à partir de la bagasse est prise en compte, ce chiffre devient négatif, à -0,17 kilo, ce qui signifie une absorption nette de 170 kilos de carbone par tonne de sucre produite.
Selon vous, le modèle économique et de gouvernance du secteur doit-il évoluer pour mieux répondre aux défis économiques et climatiques ?
Je pense avant tout que le secteur sucrier s’est bien adapté à l’évolution du marché. Maurice est l’un des pionniers dans le segment des sucres spéciaux, avec la gamme la plus étendue et la plus grande production. Nous détenons plus de 30 % du marché européen sur ce segment spécifique.
Par ailleurs, grâce à la flexibilité dont dispose le Syndicat des Sucres dans le choix des destinations, il peut chaque année maximiser la valeur de chaque tonne de sucre produite. Cependant, la concurrence est rude : de plus en plus de pays bénéficient d’accès préférentiels à nos marchés traditionnels et améliorent continuellement la qualité de leurs sucres.
Nous devons donc nous adapter à ce marché de plus en plus concurrentiel, ainsi qu’à la fluctuation des prix. Les producteurs doivent être capables de gérer cette volatilité afin de rester viables sur le long terme.
Enfin, malgré les prix minimaux garantis par le gouvernement pour les planteurs les plus vulnérables, ceux-ci doivent continuer à améliorer leur efficience afin d’en tirer le maximum de bénéfices et pouvoir investir davantage.
Quelles nouvelles stratégies envisagez-vous pour renforcer la résilience et la compétitivité du secteur ?
Je dirais avant tout que l’objectif fixé par le gouvernement de retrouver une production de 300 000 tonnes de sucre va dans la bonne direction. Toutefois, il est primordial de résoudre d’abord les problèmes structurels évoqués précédemment, tout en garantissant une superficie minimale sous culture de la canne. Il faut également veiller à ce que cette augmentation de la production soit durable.
Je souhaite souligner que l’industrie sucrière a un effet multiplicateur de 6 à 7 fois sur l’économie mauricienne, en tenant compte des activités connexes qui en dépendent. Ainsi, cette hausse de production aurait un impact bien plus substantiel pour le pays que les seules recettes directes issues de la canne à sucre.
Sur le plan commercial, au-delà d’assurer la compétitivité de nos produits, nous devons constamment devancer la concurrence. Nous disposons déjà de sucres de qualité mondialement reconnus, mais la qualité seule ne suffit plus sur un marché toujours plus exigeant. L’accent est désormais mis sur la durabilité environnementale de la production. Bien que Maurice jouisse d’une bonne réputation à ce sujet, il est nécessaire d’obtenir des certifications indépendantes pour rassurer les clients.
À ce jour, plus d’un tiers de la récolte est certifié Bonsucro et Fairtrade, et l’objectif est d’aller encore plus loin. Concernant Fairtrade en particulier, qui offre une prime de 60 USD par tonne de sucre aux petits planteurs regroupés en coopératives, nous recevons des demandes supplémentaires de 10 000 à 15 000 tonnes, soit un manque à gagner de plus de Rs 30 millions pour ce type de producteurs.
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