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Dhiruj Ramluggun: «Beaucoup de femmes préfèrent s’exprimer en petit comité par peur de nuire à leur image»
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Dhiruj Ramluggun: «Beaucoup de femmes préfèrent s’exprimer en petit comité par peur de nuire à leur image»

Dhiruj Ramluggun, «Head of Social Capital» chez Business Mauritius.
Par peur d’être perçues comme des faiseuses de problèmes, de nombreuses femmes préfèrent taire les violences qu’elles subissent au travail. Trop souvent ignorées ou banalisées, les violences basées sur le genre restent pourtant une réalité bien ancrée dans le monde professionnel mauricien. Pour que ces voix étouffées soient enfin entendues, Business Mauritius, en partenariat avec l’United Nations Population Fund (UNFPA), a lancé une initiative nationale et un toolkit visant à aider les entreprises à faire de leurs bureaux des espaces sûrs. Dhiruj Ramluggun, Head of Social Capital chez Business Mauritius, est convaincu que beaucoup de femmes ne se confient qu’en petit comité par crainte de nuire à leur image. Il plaide pour un changement en profondeur, porté par un leadership courageux et la volonté de briser les tabous.
🔹 Les violences basées sur le genre (VBG) en entreprise sont souvent minimisées. Pourquoi, selon vous, cette banalisation persiste-t-elle dans le secteur privé mauricien ?
La banalisation des VBG dans le secteur privé mauricien découle de plusieurs facteurs profondément enracinés. D’abord, il existe une culture du silence alimentée par la peur de représailles ou de stigmatisation. Les victimes, souvent dépendantes de leurs emplois, hésitent à parler par crainte de perdre leurs postes ou d’être perçues comme posant des difficultés à la direction.
Ensuite, le manque de sensibilisation et de formation au sein des entreprises empêche une réelle prise de conscience. Beaucoup ne reconnaissent pas que certaines formes de violences, telles que les micro-agressions, le harcèlement verbal ou les discriminations indirectes, sont problématiques. Cela contribue ainsi à une normalisation de comportements inacceptables.
Enfin, l’absence ou le manque de mécanismes internes de signalement et de traitement des cas de VBG dans certaines structures accentue cette invisibilisation. Le secteur privé a un rôle essentiel à jouer pour mettre fin à cette banalisation. En instaurant des politiques concrètes et des canaux sûrs, et en adoptant une approche structurée, il peut contribuer à créer un environnement professionnel réellement sûr, éthique et équitable.
🔹 Qu’est-ce qui a été le véritable déclic pour Business Mauritius dans sa décision de lancer une initiative aussi structurée contre les VBG ?
En 2022, Business Mauritius a mené une étude approfondie sur les questions de genre dans le secteur privé mauricien. L’analyse a porté sur le développement professionnel des femmes et leur retour à l’emploi après une interruption de carrière, aboutissant à cinq éléments publiés en octobre 2023. L’étude souligne entre autres que les violences basées sur le genre représentent un frein majeur, bien que souvent négligé, à l’équité et à l’inclusion en entreprise.
Pour nous, lutter contre les VBG n’est pas seulement une nécessité morale, mais c’est aussi un investissement stratégique dans notre capital humain et notre avenir collectif. Cette initiative a permis de mettre en place des mécanismes de plainte efficaces, d’intégrer les politiques anti-VBG dans les systèmes de ressources humaines, et de renforcer l’engagement et la sensibilisation des employés.
🔹 Vous insistez sur le rôle du leadership : pensez-vous que le changement passera d’abord par les dirigeants et les dirigeantes, et non les règlements ?
Bien que des lois et les règlements interdisent les violences en milieu professionnel, il est essentiel d’aller au-delà de la conformité légale. Cela implique une véritable sensibilisation, l’adoption de politiques internes claires ainsi que la mise en place de mécanismes de signalement accessibles et efficaces. Les dirigeantes et dirigeants ont un rôle central à jouer car ils détiennent le pouvoir décisionnel nécessaire pour adopter, valider et allouer les ressources indispensables à la mise en œuvre concrète des politiques de prévention et de traitement des violences basées sur le genre. Le projet a démontré que le changement est possible grâce à l’engagement de la direction et un accompagnement structuré, permettant de passer de la mise en œuvre de programmes à un véritable changement systémique à l’échelle nationale.
🔹 Pourquoi avoir fait appel à l’UNFPA pour co-construire ce projet ?
Travaillant en étroite collaboration avec le gouvernement et d’autres partenaires, l’UNFPA est déjà profondément engagé dans la lutte contre les VBG à Maurice afin de combattre ce fléau et de promouvoir l’égalité entre les genres. C’est dans cette optique que Business Mauritius considère l’UNFPA comme un partenaire stratégique pour soutenir l’élargissement du projet.
Du projet pilote à sa mise en œuvre à l’échelle nationale, notre engagement commun est de bâtir une île Maurice où chaque lieu de travail constitue un espace sûr. De plus, cette collaboration sera une occasion de réseauter, de partager et d’adopter les meilleures pratiques mises en œuvre dans d’autres juridictions. Les objectifs de nos deux organisations convergent pleinement autour de cette cause.
🔹 À quoi ressemblera ce «toolkit» que vous souhaitez mettre entre les mains des entreprises ?
Cette initiative vise à mettre en place des mécanismes de plainte efficaces, à intégrer les politiques de lutte contre les VBG dans les systèmes de gestion des ressources humaines et à renforcer l’engagement ainsi que la sensibilisation des employés. Forts du succès du projet pilote, nous lançons le guide pour un lieu de travail sans VBG. Il s’agit d’un outil pratique, clé en main, conçu pour toute organisation désireuse de passer à l’action. Il comprend un modèle de politique VBG adapté au lieu de travail, un kit de formation complet ainsi qu’une feuille de route personnalisable pour la mise en œuvre.
🔹 Comment garantir que cette initiative ne reste pas un engagement symbolique mais débouche sur un vrai changement culturel en entreprise ?
Les violences basées sur le genre et le harcèlement ne relèvent pas uniquement du domaine juridique ou des ressources humaines. Ils constituent avant tout des atteintes aux droits humains, au détriment du moral, à la dignité et par conséquent, à la productivité au travail. Cette initiative dépasse largement les exigences de conformité réglementaire : elle ambitionne de provoquer une véritable transformation culturelle. Le lancement de ce guide représente à la fois une étape majeure et le point de départ d’une mobilisation durable.
🔹 On remarque que beaucoup de femmes préfèrent exprimer leur malaise uniquement en petit comité. Est-ce, selon vous, parce qu’elles ont peur de nuire à leur image ?
Oui, beaucoup de femmes préfèrent s’exprimer en petit comité par peur de nuire à leur image. Dans une société où la parole féminine est encore trop souvent minimisée ou jugée, dénoncer une violence peut exposer à la stigmatisation ou au doute. Le petit comité offre un espace perçu comme plus sécurisant, où elles peuvent parler sans crainte. Ce repli souligne l’urgence de créer des lieux d’écoute bienveillants et légitimes dans la sphère publique.
Même si les femmes restent les plus concernées, il est important de souligner que ce malaise à prendre la parole ne les concerne pas uniquement. Toute personne, quel que soit son genre, peut être confrontée à des situations de violence ou d’inconfort et éprouver des difficultés à en parler. Franchir le cap de la parole dans ces situations reste difficile tant les freins psychologiques, sociaux ou culturels peuvent être nombreux.
🔹 Est-ce que, selon vous, il faut repenser l’éducation – à la fois à la maison et dans les écoles – pour déconstruire dès le plus jeune âge les stéréotypes de genre et faire comprendre que la femme est tout aussi capable que l’homme, y compris dans le monde du travail ?
Absolument . L’éducation, dès le plus jeune âge, joue un rôle fondamental dans la déconstruction des stéréotypes de genre qui conditionnent encore trop souvent les choix, les comportements et les aspirations des enfants. À la maison, cela passe par des messages, des gestes et des exemples quotidiens : partager équitablement les tâches, valoriser l’expression des émotions chez les garçons comme chez les filles, éviter certaines injonctions. À l’école, il s’agit d’intégrer une pédagogie plus égalitaire, de former les enseignants à ces enjeux et de diversifier les modèles proposés dans les manuels. C’est en changeant les mentalités dès l’enfance que l’on pourra, à long terme, construire une société plus équilibrée où les femmes seront pleinement reconnues dans toutes les sphères, y compris professionnelles.
🔹 Est-ce que l’initiative encourage également les entreprises à aller au-delà de la prévention des violences en proposant des services axés sur le bien-être des femmes, comme des séances de conseils psychologiques, des bilans de santé ou encore un accompagnement spécifique ?
L’initiative encourage effectivement les entreprises à aller au-delà de la prévention des violences en proposant des services axés sur le bien-être, principalement pour les femmes, qui restent les premières concernées. Mais elle inclut aussi un accompagnement pour les hommes victimes ou témoins, avec des conseils psychologiques, des bilans de santé et un suivi adapté. L’objectif est d’instaurer un environnement de travail plus sain et inclusif pour tout le monde.
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