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Manière de voir
Diego Garcia: quand le rosbif joue la carte du porc aigre-doux
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Diego Garcia: quand le rosbif joue la carte du porc aigre-doux
La Grande Bretagne présente actuellement notre pays comme un satellite de la Chine, dans le contexte du contentieux retour des Chagos, dont Diego Garcia, à Maurice. On dit que Maurice cèderait Diego Garcia aux Chinois, une fois les Occidentaux délogés.
Un tel argument, qui confirme le label de «Perfide Albion» dont les Français avaient affublé la Grande Bretagne, a sans doute été conçu par des stratèges hautement doués et qui perpétuent une vieille tradition, qui a permis à Londres de dominer le reste du monde, à un certain moment dans l’histoire de l’humanité.
La politique de divide and rule, dont les Britanniques sont les plus habiles opérateurs, a évidemment dicté la décision d’associer Maurice à la Chine. Cette approche permet aux Britanniques, et aussi à leurs alliés américains, d’atteindre plusieurs objectifs. Le premier, c’est de créer de la méfiance envers Maurice. De nombreux pays, surtout occidentaux et aussi le Japon, sont méfiants de la montée en puissance de la Chine. Ils sont d’ailleurs engagés dans une stratégie visant à réduire la nette domination économique de la Chine en investissant dans d’autres pays, principalement l’Inde.
Pour tous ces pays opposés à la suprématie de la Chine, Maurice serait perçu avec méfiance alors que notre pays a investi des milliards, depuis des décennies, pour se construire une image de destination touristique de grande classe mais aussi de centre d’investissements dans un environnement ultra-libéral.
Puisque la Chine serait loin d’être une démocratie parlementaire, avec des institutions et des médias indépendants, un allié de ce pays suscite quand même des appréhensions, surtout qu’au cours des dernières années, Maurice n’a cessé de chuter dans les indices de démocratie, de transparence et de liberté de la presse.
L’objectif le plus funeste, dans la stratégie des Britanniques de dépeindre Maurice comme un stooge de la Chine, vise surtout à créer de la brouille entre Maurice et l’Inde, entre Chota Bharat et Bharat Mata, entre Petite Inde et Maman Inde. Connaissant la duplicité cynique, qui a toujours marqué la politique étrangère de certains politiciens à Maurice, les Indiens ne manqueraient pas de réfléchir sur la possibilité qu’après leur avoir cédé Agaléga, Port-Louis pourrait bien être tenté - moyennant argent, l’irrésistible paissa - de céder Diego Garcia à la Chine. Les Indiens ne seraient pas aussi naïfs au point de ne pas comprendre qu’autant Maurice se fait mendiant en haillons en exhibant son bol d’aumône à New Delhi, autant nous nous empressons d’allouer de gros contrats, genre Huawei, à la Chine.
Conscient de la duplicité classique de certains à Maurice, le gouvernement Modi, aussitôt son installation en 2014, s’est empressé de mettre un terme aux dispositions du traité de non-double imposition entre les deux pays. Car c’est l’Inde qui en était le grand perdant. Surtout que notre secteur offshore permettait aux riches Indiens d’enregistrer des compagnies chez nous et d’aller, par la suite, investir dans leur propre pays comme des entités mauriciennes, échappant ainsi au fisc indien. Cette situation était vigoureusement dénoncée dans les milieux politiques et les médias indiens. C’est dans ce contexte qu’on colla l’étiquette de ‘off-chor’ à Maurice, une parodie du terme ‘offshore’, chor signifiant voleur en hindi. Des articles élogieux sur le côté touristique de Maurice sont certes régulièrement publiés dans les médias indiens par des travel writers, qui bénéficient de séjours gratuits dans nos établissements cinq-étoiles.
La carte chinoise, comme brandie par les Britanniques, amènerait sans doute les Indiens à réfléchir car Agalega aurait l’air d’une misérable bicoque comparée aux infrastructures massives et sophistiquées construites à Diego Garcia par les Américains au cours d’un demi-siècle. Donc, on aura beau s’exhiber en kurta et sherwani et arborer un gros tika dans les cérémonies ‘socio-culturelles’, les Britanniques finiraient par planter un doute dans l’esprit des Indiens sur le dossier Chagos.
Il y a quelques années, sous un gouvernement Jugnauth, les Indiens avaient vivement réagi face à un projet, qui aurait permis aux Chinois de virtuellement contrôler notre port. Maintenant, une super-base militaire chinoise à 3 000 km de leurs côtes et dominant tout l’océan Indien, serait le pire des cauchemars des Indiens. Si seulement Port-Louis disposait d’une diplomatie efficace et agissante comme dans le passé, on aurait dû rassurer les Indiens sur les Chagos et les amener à affirmer publiquement qu’ils n’auraient aucune raison de croire que Maurice permettrait à un pays étranger de s’installer à Diego Garcia, si jamais les Américains plient bagage.
Paru le samedi 9 décembre 2023
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