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Pistes pour 2025-26
Double défi migratoire : combler les pénuries, rapatrier les talents
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Pistes pour 2025-26
Double défi migratoire : combler les pénuries, rapatrier les talents

(Photo d'illustration)
Maurice se trouve au confluent de deux dynamiques migratoires opposées. D’une part, l’économie continue d’accueillir un flux constant de travailleurs étrangers essentiels à des secteurs clés. D’autre part, le pays fait face à une émigration persistante de ses professionnels qualifiés vers des nations développées. Ces mouvements de population, bien que divergents, exercent une influence notable sur la croissance économique du pays, ses orientations politiques et sa cohésion sociale.
Historiquement, Maurice a toujours été un carrefour migratoire. L’industrie sucrière, puis le secteur textile ont par le passé sollicité des travailleurs étrangers pour combler leurs besoins en main-d’œuvre. Aujourd’hui, cette demande se manifeste dans des secteurs comme la construction, l’hôtellerie et la restauration. Parallèlement, une part croissante de Mauriciens qualifiés choisit de s’installer à l'étranger, attirés par de meilleures perspectives. À l’approche du Budget national, la question de la croissance économique, étroitement liée à la migration des travailleurs, se pose. Comment Maurice peut-elle harmoniser ces deux dynamiques pour maximiser son potentiel économique ?
La dépendance aux travailleurs étrangers
Le pays régule l’emploi des travailleurs étrangers par le biais des occupation permits (permis de travail). Une modification notable a été apportée lors du Budget 2024-25, abaissant le salaire minimum requis pour ces permis de Rs 30 000 à Rs 22 500.
En 2023, Maurice recensait 37 985 travailleurs étrangers. En mai 2024, ce chiffre a atteint 44 043. Les principales nationalités représentées parmi ces travailleurs sont les Indiens, les Bangladais, les Népalais et les Malgaches. Ces chiffres illustrent une dépendance croissante à la main-d’œuvre étrangère, exacerbée par les pénuries de main-d’œuvre qualifiée locale dans ces domaines. Les employeurs rencontrent des difficultés à recruter localement pour des postes peu qualifiés, souvent jugés peu attrayants en raison des conditions de travail et des niveaux de rémunération proposés.
Azad Jeetun, économiste, souligne que «sans le soutien de la main-d’œuvre étrangère, il serait difficile pour l’économie de fonctionner efficacement». Il insiste sur la nécessité d’une politique nationale de l’emploi collaborative, impliquant tous les partenaires économiques, afin d’évaluer précisément les besoins en capital humain et de formuler des stratégies adaptées. La présence des travailleurs migrants est perçue comme un facteur contribuant à la vitalité économique en comblant les déficits de compétences et de main-d’œuvre, notamment dans les secteurs à forte intensité de travail.
La diaspora : une richesse qui s’éloigne
L’émigration des Mauriciens qualifiés est motivée par une combinaison de facteurs : la quête de meilleures opportunités professionnelles, des salaires plus élevés, des conditions de travail plus avantageuses et des perspectives de développement personnel. La France, le Canada, l’Australie et le Royaume-Uni figurent parmi les destinations privilégiées.
Le réajustement salarial intervenu en 2024, bien qu’ayant apporté des augmentations, ne semble pas suffisant pour compenser le coût de la vie élevé. Pour situer le contexte local, le salaire minimum national à Maurice est de Rs 17 110 par mois depuis janvier 2025, incluant diverses compensations. Pour les postes dans le secteur privé exigeant un diplôme de type Degree (licence/Bachelor), le salaire minimum a été fixé à Rs 25 000 par mois à compter du 1er juillet 2024.
À titre de comparaison, le salaire moyen net en province en France avoisine les 1 800 euros. Au Royaume-Uni, selon l’Office for National Statistics, le salaire moyen hebdomadaire brut pour un emploi à temps plein était d’environ GBP 682 en avril 2023, ce qui, après estimation des déductions, représente un salaire mensuel net approximatif de GBP 2 200 à GBP 2 500. Au Canada, selon Statistique Canada, les gains hebdomadaires moyens de l’ensemble des employés s’élevaient à environ 1 226,75 dollars canadiens en mars 2024, se traduisant par un salaire mensuel net estimé entre 3 500 et 4 000 dollars canadiens. Ces écarts salariaux, même en tenant compte du coût de la vie, accentuent l’attrait de l’étranger pour les professionnels qualifiés mauriciens.
Un Mauricien, docteur en informatique travaillant comme chef de projet en cybersécurité et installé au Luxembourg depuis huit ans, indique que «le salaire et ses avantages ainsi qu’une vraie perspective d’évolution» ont été des points décisifs pour lui, même si sa famille sur l’île lui manque. La diaspora mauricienne joue un rôle économique non négligeable à travers les transferts de fonds, les investissements et le partage de compétences. Toutefois, cette richesse est contrebalancée par la perte de capital humain qualifié, qui représente un défi majeur pour le développement à long terme du pays. Il est crucial de mettre en œuvre des politiques incitatives pour encourager le retour de ces talents et capitaliser sur leur contribution potentielle.
Pour endiguer la fuite des cerveaux et encourager le retour des Mauriciens qualifiés, l’île doit élaborer des stratégies attractives. Celles-ci incluent une revalorisation des salaires pour les aligner sur le coût de la vie local et rendre les postes plus compétitifs. Il est également essentiel de mettre en place des mécanismes simplifiant la reconnaissance des diplômes et des expériences professionnelles acquis à l’étranger. La création de postes à haute responsabilité et de programmes de recherche attractifs pour les professionnels qualifiés est une autre piste.
Le Mauritian Diaspora Scheme, mis en œuvre par l’Economic Development Board, offre déjà des incitations fiscales et un portail dédié aux Mauriciens de retour. Cependant, ce programme gagnerait à intégrer des mécanismes concrets d’insertion professionnelle. La mise en place de partenariats public-privé viendrait utilement compléter ce dispositif : en associant l’État, les entreprises locales et les institutions de formation, ces partenariats pourraient faciliter l’accès à l’emploi qualifié et soutenir les projets entrepreneuriaux des talents de retour. En élargissant son champ d’action aux enjeux professionnels, le dispositif gagnerait en efficacité et en impact durable. Il est aussi crucial de renforcer les institutions chargées des politiques migratoires en les dotant de ressources nécessaires pour une mise en œuvre et un suivi efficaces.
Politique équilibrée
La croissance économique de Maurice est intimement liée à l’élaboration et la mise en œuvre d’une politique migratoire judicieuse. La dépendance à la main-d’œuvre étrangère et l’exode des talents locaux sont les deux facettes d’un même enjeu. Pour garantir un développement durable et équitable, il est impératif d’élaborer une politique migratoire cohérente, intégrant les besoins du marché du travail, la protection des droits des travailleurs et les aspirations des citoyens mauriciens.
En adoptant une approche holistique et stratégique, Maurice a la possibilité de transformer ses défis migratoires en de véritables opportunités, ouvrant la voie à une croissance économique plus équilibrée et durable.
Par A.P.
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