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Portrait

Dr Krishndutt Gajadharsingh : «Je ne suis qu’un instrument de la volonté divine»

26 janvier 2025, 17:05

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Dr Krishndutt Gajadharsingh : «Je ne suis qu’un instrument de la volonté divine»

Dr Krishndutt Gajadharsingh, chirurgien

En 60 ans de carrière, le chirurgien Krishndutt Gajadharsingh a réalisé des milliers d’opérations réussies. Et c’est en raison de sa contribution dans le domaine de la santé que le Medical Update Group, en collaboration avec la faculté de médecine de l’université de Maurice, lui a remis un trophée, mercredi soir. Mais il ne tire aucune gloire de ses interventions réussies. Il estime avoir simplement été le fil conducteur de la main invisible du Bon Dieu sans laquelle rien ne peut être réalisé. Portrait d’un chirurgien hors-pair et d’une humilité désarmante.

Le temps semble n’avoir eu aucune prise sur le Dr Gajadharsingh. Son visage est à peine ridé et il se déplace toujours d’un pas alerte. Sa forme est due à la pratique du sport, soit une marche quotidienne, depuis qu’il a 32 ans. Si bien qu’on a du mal à le croire lorsqu’au cours de l’entretien, il dit qu’il a 90 ans, «je suis né le 20 octobre 1934», qu’en l’an 2000, il a subi un pontage en raison de quatre artères bouchées et qu’on a dû lui poser un pacemaker récemment après qu’il a fait un blocage du cœur. «Voyez-vous, entre deux opérations, je fumais une cigarette. J’étais ce qu’on appelle un gros fumeur», précise-t-il.

Deux évènements contribuent à l’orienter vers la médecine. Il y a d’abord le fait que sa mère meurt en couches quand il n’a que huit ans. Son père, Dewoonarain, qui est instituteur puis maître d’école, l’encadre dans ses études. A la fin de son cycle primaire, Krishndutt Gajadharsingh fait son entrée au Collège Royal de Curepipe où il excelle aussi bien en sciences qu’en sport. Après avoir complété sa Form VI et obtenu son Higher School Certificate en 1952, il rêve d’aller faire des études supérieures pour devenir ingénieur. Or, son père ne l’entend pas de cette oreille et lui conseille de s’orienter plutôt vers la médecine car Maurice a besoin de bons médecins. «J’étais un enfant obéissant», raconte-t-il en précisant n’avoir jamais regretté ce choix.

Faire des économies

Les Gajadharsingh n’ont toutefois pas les moyens de payer ses études universitaires et par conséquent, Krishndutt Gajadharsingh doit travailler et économiser ses sous. Il prend d’abord de l’embauche comme Correspondance clerk auprès du service des pompes à Port-Louis où il passe deux ans. Il travaille ensuite comme Assistant Agricultural officer au Tea Department sous la férule d’un responsable britannique.

C’est en 1957, à l’âge de 23 ans, qu’il est à même de se rendre en Inde, plus particulièrement au Madras Medical College où il étudie et obtient une bourse du gouvernement indien. Son Bachelor of Medecine, Bachelor of Surgery (MBBS) en poche, il fait deux ans d’internat au Governement General Hospital de Madras avant de regagner Maurice.

Enregistré auprès du General Medical Council, il intègre le service civil et entre 1965 et 1969, il est Resident Medical Officer à l’Hôpital Civil, renommé Dr A.G. Jeetoo, avant d’être envoyé à Rodrigues pour une affectation assez longue. Il garde d’ailleurs un merveilleux souvenir de cette affectation rodriguaise où ils n’étaient que deux médecins pour une population, à l’époque, de 40 000 âmes. «Il n’y avait pas de service de pathologie et nous devions faire les cross-matching nous-mêmes. On se déplaçait à bord de deux jeeps dont une que nous avions appelée Kasbol car elle tombait en panne tous les deux kilomètres. Rodrigues a été pour moi une université car quand les Rodriguais vous aiment, ils vous adoptent et c’est du fond du cœur», dit-il en racontant une anecdote. «Un homme ivre, à qui je n’avais pourtant rien fait, voulait me battre. Une dizaine de Rodriguais se sont interposés en lui interdisant de ‘bat nou dokter.»

Comme son groupe sanguin est le O+, soit donneur universel, il a donné son sang à une Rodriguaise enceinte qu’il devait faire accoucher et dont le placenta bloquait l’ouverture de l’utérus. «Je me suis saigné et je lui ai donné mon sang directement tant je voulais désespérément la sauver. Et ça a marché.»

Il n’oublie pas non plus le petit Rodriguais, qui avait eu une partie du crâne fracturé par temps cyclonique et qu’il a dû opérer de toute urgence et avec les moyens de bord, soit à la lumière d’une lampe-tempête, pour empêcher que les morceaux d’os n’abîment son cerveau. Comme cette partie de la tête de l’enfant était restée molle après l’intervention, il devait porter un casque. «Des années plus tard, alors que j’étais de passage à Rodrigues, une dame, accompagnée d’un jeune d’environ 18 ans, m’a approché et m’a dit : Ala ou garson ! J’ai réalisé que c’était l’enfant que j’avais sauvé. Il était en pleine forme.»

Après ce placement à Rodrigues, il a été rappelé à Maurice et envoyé à l’hôpital de Mahébourg. S’il pense à se spécialiser en pédiatrie, le Dr Claude Brun, qui est un chirurgien qu’il respecte et craint un peu, lui met le couteau sous la gorge. «Il a bloqué ma demande de transfert car il voulait que je reste en chirurgie. Il m’a dit : ‘Mon ami, décidez maintenant ce que vous voulez faire. Je suis resté.» Et pour qu’il se fasse la main, même s’il n’est que généraliste, le Dr Brun et ses collègues lui font opérer. «J’ai pratiqué des opérations sur la vessie, l’estomac et sur d’autres organes. Cela m’a donné le goût de la salle d’opération et de la chirurgie.»

Au final, Krishndutt Gajadharsingh prend un congé sans solde pour parfaire son parcours en chirurgie. Ayant contacté le Dr Brun qui avait pris un emploi de consultant à Blackpool, celui-ci l’encourage à se lancer en lui disant qu’il va lui trouver du travail. Il embarque et quelques mois plus tard, il obtient une bourse d’étude, l’Overseas Development Scholarship, pour se spécialiser en chirurgie au Royal College of Surgeons d’Edinbourg. Il a travaillé entre 1969 et 1971 au Bangour General Hospital et au Royal Infirmary d’Edinbourg et il est reçu Fellow of the Royal College of Surgeons en 1971. Il est obligé de regagner Maurice après car il a signé un bond avec le gouvernement.

Ainsi, à partir de 1971, il travaille comme chirurgien et consultant en chirurgie dans plusieurs hôpitaux de l’île : Jawaharlall Nehru, Victoria, Dr Jeetoo et l’hôpital SSRN. En 1991, il se retire du secteur public et de 1973 à 2021, il fait de la pratique privée à la Clinique Ferrière renommée Nouvelle Clinique Ferrière.

Une vingtaine d’opérations hebdomadaires

Appelé à dire combien d’opérations il réalisait par semaine, il cite une vingtaine. Ses patients se rappellent souvent à son bon souvenir comme cet homme qui, à un enterrement, a soulevé sa chemise pour lui montrer sa cicatrice et le remercier. Ou encore l’attitude de cette animatrice radio à Rodrigues quand elle a réalisé que c’était lui qui avait opéré son parent avec succès. «Elle s’est mise à pleurer et l’interview s’est arrêtée là car nous étions tous deux très émus.»

Certaines opérations ont été de réels défis, reconnaît-il, et ont duré des heures mais à ses yeux, en chirurgie, il n’y a pas de grande ou de petite opération. «Tout est sérieux. Tout le temps, on prie le Bon Dieu pour que l’on puisse traiter le patient au mieux de nos capacités en nous disant que si on ne peut le guérir, qu’on le laisse en l’état mais pas qu’il n’en sorte dans un état pire.»

Priait-il avant chaque intervention ? «Oui, et mon assistant Marcel Labonne aussi priait pour les malades. Je ne suis que le fil conducteur de la main invisible du Bon Dieu. Tout est programmé. Rien n’est dû au hasard. Qui m’a fait faire des études, qui m’a fait réussir mes examens et ma vie ? Il y a une main invisible qui travaille sur nous. Sans elle, on ne peut rien faire.»

Le Dr Gajadharsingh a été le premier président du Medical Council et pendant neuf ans, il a été membre du tribunal médical. En 2021, il a écouté son épouse Ramila et leurs enfants adultes, soit Romina, sa fille de 56 ans, son fils Vikrant, 49 ans, et son gendre Revin, lorsqu’ils lui ont conseillé de ne plus opérer car ils le sentaient fatigué. Il s’est plié à leur volonté en 2021. «Au début, ça me manquait mais plus aujourd’hui. J’ai fait quelques opérations à titre bénévole pour des proches mais c’est tout.» Il meuble son temps libre en apprenant, deux fois la semaine, le sanskrit en ligne et passe du temps avec son épouse et leurs deux petits-enfants de 28 et 20 ans lorsqu’ils viennent à Maurice.

Il est récipiendaire de plusieurs médailles – il a reçu the Order of the Star and Key en 1993, la citoyenneté d’honneur de la ville de Curepipe en 2003, le sir Kher Jagatsingh Trophy des Giants International en 2014 et le Son of the Soil Award du GOPIO en 2019. Mais il considère le trophée du Medical Update Group qu’il a reçu, mercredi soir, «comme plus précieux» car venant de ses pairs. «Les autres c’était plus politique.»

Si jamais il devait renaître sur terre, dit-il, il opterait pour la chirurgie cardiaque. En attendant, «la vie continue. On attend le signal du départ. Peut-être que cela sera dans trois ou quatre ans, qui sait. Je n’aspire pas à être centenaire. J’aspire à voir mes petits-enfants plus souvent et pour notre pays, je souhaite qu’il soit meilleur que ce qu’il était auparavant.» Tout est dit…

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