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Pôles de croissance

Économie bleue : il est temps de franchir le cap et de passer à des actions concrètes

8 juin 2025, 17:00

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Économie bleue : il est temps de franchir le cap et de passer à des actions concrètes

L’économie bleue s’impose comme un autre levier de croissance mis en avant dans le Budget 2025-2026. La principale mesure annoncée en ce sens est l’organisation d’une Assise de l’Océan, qui réunira les parties prenantes et les experts afin d’élaborer un nouveau plan directeur. L’objectif est de structurer cette économie autour de six axes stratégiques : la pêche durable et l’aquaculture, les énergies marines renouvelables, le tourisme océanique durable, le transport et le commerce maritimes, la recherche et l’innovation, ainsi que les mécanismes de financement adaptés.
Rappelons que pour le développement de l’économie bleue, une feuille de route existe déjà depuis 2013, mais plusieurs années plus tard, le bilan est jugé décevant.

Cette mesure budgétaire revient traduire la reconnaissance du potentiel stratégique de la zone économique exclusive (ZEE) mauricienne, dans une perspective de gestion durable des ressources marines. Elle vise une approche intégrée, où les synergies entre les différents secteurs liés à l’océan joueront un rôle clé dans la transformation économique du pays. La récente signature du traité encadrant la restitution de l’archipel des Chagos vient renforcer cette dynamique. En effet, la superficie maritime de Maurice s’élargit de 639 611 km², portant sa ZEE à près de 3 millions de kilomètres carrés, conférant au pays une responsabilité et un potentiel accrus.

Pour l’océanographe et ingénieur en environnement Vassen Kauppaymuthoo, cette annonce officielle marque un tournant. «Elle place l’économie bleue au cœur de notre stratégie de développement. Cela traduit une volonté politique forte, en particulier dans le contexte récent de la restitution des îles Chagos.»

Maurice participera d’ail- leurs à la troisième Conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC3), du 9 au 13 juin à Nice. Une présence qui, selon notre interlocuteur, envoie un signal politique fort, confirmant que l’économie bleue est désormais un pilier stratégique pour le pays.

L’économie traditionnelle montre des signes d’essoufflement, d’où l’urgence de se tourner vers l’océan. «Aujourd’hui, on commence à regarder au large. La majorité de nos piliers économiques traditionnels sont en train de s’essouffler. Nous avons donc besoin d’un nouveau souffle, surtout dans le contexte difficile actuel du pays, marqué par une situation financière difficile.»

Il salue parallèlement le Future Fund, destiné à soutenir des projets intergénérationnels. «C’est une approche différente, qui rompt avec les méthodes traditionnelles en tenant compte des générations futures, tout en protégeant l’environnement.»

L’Assise de l’Océan est perçue comme l’outil idéal pour mobiliser l’ensemble des acteurs : pêcheurs, hôteliers, investisseurs, ONG, chercheurs, jeunes… L’enjeu est de mobiliser toute la société pour co-construire cette transformation.

Un secteur d’avenir pour les jeunes

L’économie bleue, par sa nature transversale, explique Vassen Kauppaymuthoo, couvre des domaines aussi variés que le tourisme maritime, les activités portuaires, ou encore le transport maritime. Elle constitue une opportunité majeure pour l’emploi, en particulier chez les jeunes qualifiés en sciences marines et en biodiversité, encore trop nombreux à être sous-employés.

Mais le défi majeur demeure la mise en œuvre concrète des politiques. Il se montre toutefois optimiste : «Ce Budget est orienté vers les résultats. Il permet une approche plus pragmatique et différente des exercices précédents.» Il souligne l’importance de suivi et d’évaluation : «Cela permettra de savoir quels axes avancent, lesquels nécessitent davantage de soutien. C’est ainsi qu’on pourra bâtir une feuille de route claire.»

«Je suis optimiste : cette économie bleue deviendra le prochain pilier de notre économie et transformera nos systèmes social, économique et environnemental, à condition d’adopter une approche inclusive et durable, en mobilisant les actions et en protégeant l’environnement ainsi qu’en utilisant durablement nos ressources. Je crois que nous n’avons pas le choix : il faut réussir. Ce n’est pas un luxe ni une option, c’est une nécessité. Nous avons l’expertise locale, à l’université de Maurice, au Mauritius Oceanography Institute, et de nombreux jeunes diplômés en environnement marin et biodiversité marine qui peinent aujourd’hui à trouver un emploi. Ce secteur représente donc une vraie opportunité pour créer de nombreux emplois et mobiliser ces jeunes qualifiés, avant même de faire appel à des consultants étrangers.» La réussite de l’économie bleue repose avant tout sur la jeunesse de notre pays, affirme-t-il.

De son côté, Nadeem Nazurally, professeur associé en sciences marines et aquaculture à l’université de Maurice, juge l’annonce de l’Assise de l’Océan opportune et nécessaire. «L’idée d’un vaste corridor bleu structuré autour de six piliers reflète bien les priorités locales. Mais il faut dépasser l’exercice formel : trop souvent, des assises débouchent sur des rapports sans suite. Il faut dépasser ce stade et entrer dans l’action concrète.»

Pour développer l’économie bleue, il estime urgent de s’attaquer à la planification spatiale marine, à la préservation de la biodiversité et à la valorisation des services écosystémiques, qui constituent les fondations mêmes de ce secteur. Il insiste également sur le rôle crucial de la recherche scientifique et de la collecte et conservation des données, indispensables pour disposer d’informations fiables et guider les décisions. Il déplore à ce titre le manque actuel de données précises. «Une transparence accrue, notamment sur l’état de nos pêcheries, la dégradation des ressources marines et la surexploitation, est indispensable pour pouvoir agir efficacement.»

Au-delà du potentiel que représente les divers secteurs reliés à l’économie bleue, des défis bien réels persistent. «La pêche, par exemple, subit d’importantes pressions : la surpêche, la diminution des stocks halieutiques et les pratiques non encadrées sont des réalités préoccupantes.» Autre enjeu : «La fréquentation excessive de certains sites par les bateaux touristiques fragilise les récifs coralliens et perturbe la faune marine.» Il faudrait, dit-il, envisager la mise en place de limites strictes. L’instauration de systèmes d’éco-certification permettrait aussi d’encadrer les opérateurs du secteur et de promouvoir des pratiques respectueuses de l’environnement. Il attire aussi l’attention sur la région portuaire, qui abrite un site qu’il convient de préserver.

Pour lui, la recherche et l’innovation sont des leviers incontournables pour faire émerger des solutions concrètes et durables. Il recommande la création d’un mécanisme de suivi. «Il serait judicieux de mettre en place un réseau pour identifier ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Cela permettra de mieux comprendre, de partager les idées et de construire une stratégie durable à long terme.»

«Je salue l’initiative, mais la transparence est cruciale. Aucune décision ne devrait être prise sans la consultation de toutes les parties concernées. Nous avons les moyens de réussir, à condition de le faire ensemble, dans l’intérêt du pays et des générations futures», conclut-il.

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