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Interview
Ehsan Juman, député: «Le personnel des hôpitaux parle de rats aussi gros que des chats»
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Interview
Ehsan Juman, député: «Le personnel des hôpitaux parle de rats aussi gros que des chats»
Il se passe rarement un mois sans qu’il ne fasse un coup d’éclat. Cette semaine, c’est sa vidéo, en compagnie de Shakeel Mohamed, qui a fait réagir, alors qu’il y a quelques mois, il avait brandi le discours budgétaire lors d’une rencontre du Parti travailliste avant le discours de Renganaden Padayachy. Avant cela, il s’était rendu dans la zone restreinte du port pour dénoncer le manque de sécurité. Le député n’en démord pas : c’est l’intérêt du peuple qui compte, et ce, même si les plaintes s’accumulent contre lui…
Que s’est-il passé depuis que vous avez publié la vidéo sur l’hygiène – ou plutôt l’absence d’hygiène – à l’hôpital ?
Commençons par le commencement. Le problème ne se limite pas à un seul hôpital. On a vu des pigeons dans la cuisine de l’hôpital Victoria, des légumes pourris au Brown Sequard Hospital… Le problème est généralisé. Et ne croyez pas que j’ai deviné ce qui se passait. Ce sont des patients qui habitent ma circonscription eux-mêmes qui se sont plaints à plusieurs reprises. Zot dir mwa kouma met manzé dan labous, bizin krasé. J’allais poser une question à ce sujet au Parlement, mais je n’en ai pas eu l’occasion. Vendredi dernier, lors d’une fonction dans la circonscription, j’ai eu un énième patient de l’hôpital qui m’a dit la même chose. Donc, lundi, Shakeel Mohamed et moi-même sommes partis à l’hôpital. Evidemment, le responsable des lieux a tout nié. Mais nous sommes quand même entrés…
Etait-ce nécessaire de faire une vidéo ?
Vous avez vu la vidéo. Moi, j’ai vu tout cela avec mes yeux. Bizin mars lor bal diri pou kav al pran délo. Il y a des sacs de soja par terre. Il y a des boîtes de tomates pourries, moutouk ti sek lor la. Si je n’avais pas fait de vidéo, tout le monde aurait nié et cela aurait été la fin de l’affaire. Il fallait dénoncer tout ça.
Cela nous ramène à la première question. Il s’est passé quoi depuis ?
Depuis, les messages ne cessent de pleuvoir. Les patients envoient des photos de leur nourriture déplorable. Les membres du personnel aussi, car ils sont aussi concernés par l’hygiène. Certains travaillent 36 heures sans arrêt, donc ils n’ont vraiment pas le choix. Ils consomment cette nourriture aussi. Ils dénoncent. Les pigeons à Candos, pommes noircies à SSRN, tout cela arrive jusqu’à moi. Il y a un ras-le-bol. Le personnel parle de rats aussi gros que des chats, qui déciment les fruits destinés aux patients. Mais il n’y a pas que cela. Vous avez vu qu’il y a une plainte contre moi. Disons que, dans le pire des cas, un policier recevra l’ordre de venir m’arrêter et il devra s’exécuter. Mais lorsqu’il tombe malade, lorsque sa famille tombe malade, tous iront à l’hôpital. Croyez-vous que ce policier ne dénoncera pas ce qui se passe lui aussi dans ce cas ?
(Sur de nouvelles photos postées par le député hier, on voit une boîte en carton qui a été placée au niveau du lit d’un patient admis au Ward 10 de l’hôpital Victoria à Candos. Ce sont des proches du patient qui l’ont alerté, selon ses dires.)
Je n’ai pas besoin de vous parler de ce qui s’est fait au niveau des autorités. Vous l’avez vu. Est-ce que quelqu’un est venu rassurer le personnel, les patients et la population ? Est-ce que le ministre a fait une visite des lieux avec les journalistes pour prouver que j’ai tort, et par la même occasion, faire visiter la pharmacie de l’hôpital ? Non. Il n’y a eu qu’une conférence de presse pour dire que c’est faux. Et une tentative de communaliser cette affaire.
On en a entendu parler. De quoi s’agit-il réellement ?
Le ministre de la Santé a fait appeler trois religieux et il les a reçus dans la Committee Room de l’Assemblée nationale mardi, jour où siège le Parlement. On ne va pas s’attarder sur le fait que nous, les membres de l’opposition, nous nous sommes vu refuser l’accès au bureau ou aux salles pour les conférences de presse et ce à maintes reprises. Cela s’est fait par l’intermédiaire d’un Parliamentary Private Secretary. Le ministre leur a dit qu’il y aura des sanctions contre celui qui a donné des informations à Ehsan Juman, car selon eux, il s’agit d’un religieux. C’est d’une bassesse incroyable.
Revenons à ‘l’hygiène’. Estce de la faute des autorités, ou du personnel qui devait nettoyer ?
J’allais revenir dessus. La question a été abordée avec les personnes qui m’ont contacté après la vidéo. Il y a un manque aigu de personnel au sein des hôpitaux. Une personne doit faire le travail de quatre. Ceux qui cuisinent doivent aussi nettoyer. Mais ils n’ont pas le temps de tout faire. C’est humainement impossible. Certains attendent leur overtime depuis quatre, voire cinq mois. Tous sont démotivés. Si les conditions de travail étaient normales, ce genre de crise d’hygiène n’aurait pas existé. Et au risque de me répéter, au lieu de venir rassurer les membres du personnel, leur dire qu’ils seront payés, qu’on va recourir à un fast track pour les heures supplémentaires, au lieu de recruter, le ministre a rencontré des religieux et a brandi des sanctions.
À vous entendre, tout va mal au ministère du Bien-être…
Je vais citer mon collègue le Dr Farhad Aumeer et dire que le secteur de la santé est sous respiration artificielle. Nous avons tous l’attention focalisée sur la nourriture. Mais souvenez-vous, il y a quelque temps, un enfant avait reçu un médicament périmé de l’hôpital. Il s’était évanoui après l’avoir consommé, et heureusement, il a pu être sauvé. Ou encore, il y a des aliments liquides expirés qui sont donnés aux patients. Le liquide est placé dans un verre pour qu’on ne puisse pas voir la date d’expiration. Et cette semaine, il y a aussi un patient qui est resté bloqué pendant une vingtaine de minutes dans l’ascenseur de l’hôpital. D’ailleurs, la plupart de ces ascenseurs ne marchent pas. Il y a aussi de l’amiante dans les établissements de santé. C’est d’autant plus grave que c’est l’un des ministères avec les plus gros budgets.
Vous voulez d’autres exemples ? On pourrait en parler pendant des heures. Le problème est qu’il s’agit d’un secteur crucial. Si j’étais parti marcher dans un jardin botanique et qu’il y avait un souci, cela aurait été moins problématique car cela reste matériel. Là, il y va de la santé des Mauriciens.
(Médicaments expirés, choux et autres légumes pourris, aliments infestés de larves… Le manque d’hygiène gangrène les hôpitaux, notamment celui de Brown-Séquard et Dr A.G Jeetoo, selon Ehsan Juman.)
Passons à autre chose. Vous avez aussi beaucoup parlé de l’essence…
Je suis un homme d’affaires, et dans ce monde, la satisfaction du client est primordiale. En politique, c’est la satisfaction de la population. Il n’y a absolument aucun autre moteur. Avant d’arriver à l’essence, intéressons-nous à la State Trading Corporation (STC), qui est comme les hôpitaux. Tout le monde dit que tout va bien. Ils affirment qu’il n’y a pas de pénurie de riz ration, qu’il y en a dans les supermarchés. Selon eux il n’y a jamais de pénurie. Mais les rayons sont toujours aussi vides. En serait-on là s’il y avait une bonne planification ? Non, car en mai de cette année, j’avais posé une question sur cette affaire. L’Inde a interdit les exportations en juillet. Si la STC avait bien calculé son coup, il n’y aurait jamais eu de manque sur le marché.
La STC achète aussi l’essence…
Et on ne sait pas comment d’ailleurs. Il y a eu un appel d’offres et sept soumissionnaires en règle. L’appel a été annulé mais le contrat a été octroyé. On nous a dit que le pays économise Rs 500 millions. Mais si c’est si avantageux, on se demande pourquoi le contrat n’est pas rendu public. Est-ce totalement vrai ? Au contraire, cela aurait été un point très positif pour la STC si elle venait de l’avant avec le fameux contrat. Puis, pourquoi la STC n’est-elle pas retournée vers les autres soumissionnaires et tenté d’avoir une contre-proposition ? Il s’agit tout de même d’un contrat de Rs 16 milliards.
Ce n’est pas le premier gouvernement qui se cache derrière les clauses de confidentialité…
Mais c’est le dernier. Nous avons déjà pris l’engagement de ne plus mettre de clause de confidentialité dans les contrats commerciaux, où les fonds publics sont utilisés, sauf lorsqu’il s’agit d’un secret d’État. Il faudra rendre des comptes à l’Assemblée. Ce n’est pas tout. Les travaux du Public Accounts Committee seront aussi diffusés en direct, car il faut que le public sache où va son argent. Ainsi, tous les corps parapublics et les ministères seront redevables.
Ce ne sont que des promesses de politiciens, non ?
L’heure n’est plus à tout cela! L’économie est dans le rouge foncé. La dette a dépassé les Rs 500 milliards. La population vit à crédit. Auparavant, il y avait les karné laboutik. Aujourd’hui, les Mauriciens utilisent leur carte de crédit pour payer l’eau et l’électricité car ils n’en ont plus les moyens. Rajoutons à cela la perte de crédibilité de nos institutions. L’ICAC s’attelle à blanchir qui elle veut, la MRA est souvent utilisée comme un outil politique. On a vu le cafouillage qu’il y a eu à la NSLD.
Et ne parlons pas de la police ! Après les incidents graves à la Citadelle, un représentant, au rang d’inspecteur, est venu à la radio pour annoncer à la population qu’il ne sait rien... Pendant ce temps, tout le monde sait que l’attaché de presse du vice-Premier ministre Anwar Husnoo l’avait prévenu et avait prévenu la police. Que faisait ce conseiller sur place d’ailleurs ? On n’a rien entendu. Après, le Premier ministre osera venir dire qu’il sera sans pitié pour les fauteurs de troubles…
Justement, parlons de la police et revenons-en à la plainte qu’il y a contre vous…
Ce n’est pas la première fois... J’étais entré dans la zone restreinte du port. Peu après, il y a eu une annonce en fanfare disant que la sécurité avait été renforcée, l’effectif de la police augmenté et qu’il n’y a pas de souci. Cette semaine, un Bangladais a pénétré dans la zone et s’est baladé à l’intérieur avant d’être arrêté. C’est de cette police-là dont nous parlons ? À l’hôpital, j’ai fait la même chose. Je ne dis pas qu’il faut être anarchique, entrer partout. Je suis d’accord, on peut m’accuser d’avoir trespassed. Mais il y avait un problème et je l’ai signalé. Si je n’avais pas fait de vidéo, tout le monde aurait démenti les faits.
Les dénonciations c’est bien mais avez-vous des solutions ?
Commençons par mettre en place un Select Committee présidé par le leader de l’opposition, ou un membre de l’opposition du moins, sur la santé afin de rassurer la population. Ce serait un très bon début.
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