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Vers une transition énergétique durable

Électricité : Maurice branchée au bois

21 avril 2025, 14:00

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Électricité : Maurice branchée au bois

■ Jean-Marc Iweins (ci-contre), «Power Plant Manager» chez Terragen, première centrale à Maurice à intégrer des copeaux de bois produits localement dans son mix énergétique.

Afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) de 40 % d’ici 2030, l’ancien gouvernement avait lancé une stratégie en plusieurs volets visant à notamment produire 60 % des besoins énergétiques à partir de sources renouvelables d’ici 2030, avec une élimination progressive du charbon avant 2030. Selon les dernières données annuelles disponibles de Statistics Mauritius, en 2023, seulement 9,8 % de la consommation énergétique (soit 151 ktep) provenaient de sources d’énergie renouvelables locales – telles que l’hydroélectricité, l’éolien, le gaz de décharge, le photovoltaïque, la bagasse, le bois de chauffage et le charbon de bois – tandis que 90,2 % (soit 1 387 ktep) dépendaient encore des combustibles fossiles importés, notamment les produits pétroliers et le charbon. Malgré les objectifs nationaux, ces chiffres démontrent une progression encore trop timide.

En 2023, les énergies renouvelables n’ont progressé que de 1 % par rapport à 2022. Seule la bagasse a connu une hausse notable (+ 5,1 %), tandis que l’hydroélectricité, le solaire, l’éolien, le gaz de décharge et le bois de chauffage ont reculé. En parallèle, l’approvisionnement en énergies fossiles a augmenté de 3,8 %, avec une forte hausse du charbon de 12,5 %. En ce qu’il s’agit plus précisément de la production totale d’électricité, elle a augmenté de 4,7 % en 2023, atteignant 3 266 GWh. Toutefois, le mix énergétique reste préoccupant : 81,8 % de l’électricité provient toujours de sources fossiles (33,5 % charbon et 48,3 % diesel/fioul) contre seulement 17,6 % d’énergies renouvelables. La production à base de charbon a bondi de 11,3 %, et celle issue du diesel/fioul de 2,7 %. À l’inverse, l’électricité renouvelable a reculé de 4,2 %, principalement en raison des baisses marquées de l’hydroélectricité, du gaz de décharge et du photovoltaïque. Seule la bagasse a progressé de 9,2 %, tandis que l’éolien a chuté de 44,5 %.

Les copeaux de bois au cœur de la transition énergétique

En 2023, la production d’électricité a été la principale source d’émissions de GES dans le secteur de l’énergie, représentant 53,7 % du total. Les émissions liées à cette activité ont augmenté de 8,8 %, principalement en raison d’une hausse de 12 % de l’utilisation du charbon. Au total, les émissions du secteur énergétique se sont élevées à 4 679 Gg CO2-éq, soit une augmentation de 5,9 % par rapport à 2022 (4 420 Gg CO2-éq).

Dans le sillage de la transition énergétique, les copeaux de bois gagnent du terrain. Le 31 mars, le ministre de l’Énergie et des services publics, Patrick Assirvaden, s’est rendu à la centrale énergétique de Terra. Le rôle stratégique de la biomasse dans cette transformation a été au cœur des échanges avec les représentants de Terra. Lancé en 2023, le National Biomass Framework reflète la volonté de réduire la dépendance au charbon tout en valorisant des alternatives locales et renouvelables. L’utilisation de copeaux de bois comme combustible a été mise en avant comme une solution concrète. Terra a exprimé sa capacité à exploiter cette ressource dans ses procédés de production, une initiative en phase avec la stratégie nationale de transition énergétique.

À la suite de la visite du ministre, Jean-Marc Iweins, Power Plant Manager chez Terragen, nous en dit davantage sur les perspectives d’utilisation des copeaux de bois comme alternative au charbon. L’intégration de copeaux de bois produits à Maurice, mélangés au charbon pour la production d’énergie, a commencé en juin 2024 à Terragen, qui a été la première centrale à Maurice à franchir le pas. En 2024, Terragen a produit 679 000 kWh sur le réseau du Central Electricity Board à partir de 974 000 kg de copeaux de bois brûlés dans ses chaudières. «Aujourd’hui, les copeaux de bois de production locale sont introduits en mélange avec le charbon à hauteur d’environ 2 %. Nous pouvons en intégrer jusqu’à 5 % maximum, une limite étant imposée par le design des systèmes d’alimentation en charbon des chaudières, qui n’ont pas la capacité suffisante pour en prendre davantage.»

Terragen réceptionne quotidiennement plusieurs cargaisons de copeaux de bois livrées par camion, qui sont mélangées dans une grande trémie avec du charbon. Ce mélange est ensuite envoyé dans leurs chaudières pour produire de l’électricité. Le Power Plant Manager relève que «chaque kilo de bois consommé permet d’économiser un demi-kilo de charbon». Ayant démarré en 2024, souligne Jean-Marc Iweins, la filière bois locale à Maurice, qui produit des copeaux de bois destinés à la combustion en centrale thermique, n’en est toutefois qu’à ses débuts : elle doit se structurer davantage pour permettre d’augmenter les volumes livrés aux usines pour leur transformation en électricité.

En outre, pendant la campagne sucrière, les copeaux de bois pourraient également être mélangés à la bagasse et introduits sans aucune difficulté en chaudière, et ce, dans des proportions beaucoup plus importantes qu’avec le charbon, moyennant certains investissements qui seraient à prévoir, comme une route d’accès au hangar bagasse de Terragen, pour permettre aux camions de copeaux de bois de livrer leur cargaison directement dans le circuit de la bagasse.

La centrale de Terragen utilise trois types de combustibles biomasse dans sa production d’électricité. À sa mise en service en 2000, seule la bagasse reçue de la sucrerie voisine pendant la campagne sucrière était utilisée comme combustible renouvelable. «Depuis 2015, nous brûlons également de la paille de canne récupérée dans les champs après le passage de la récolteuse de canne à sucre, pour la mélanger à la bagasse avant de l’introduire en chaudière. 8 000 tonnes par an de paille de canne alimentent ainsi nos installations pour produire de l’énergie, permettant par ce biais de réduire sensiblement notre consommation de charbon. Et depuis l’année dernière, les copeaux de bois produits localement sont venus se rajouter à notre mix énergétique pour compléter notre palette de combustibles renouvelables.»

Dans quelle mesure l’utilisation de copeaux de bois pour produire de l’électricité est une solution durable à Maurice ?

Jean-Marc Iweins répond que dans le cadre des travaux sur le National Biomass Framework, il était prévu de développer sur des terres non exploitées ou dites «marginales» des plantations d’arbres à cycle de repousse rapide pour alimenter la filière bois local pour la production de copeaux de bois.Une fois arrivé à maturité, le bois est découpé et taillé pour être ensuite transformé en copeaux avant d’être livré à la centrale thermique. La souche restée en terre repousse alors pour produire à nouveau du bois au bout de quatre à cinq ans.

Cette démarche se voulait vertueuse et durable par la mise en place d’une nouvelle filière agro-industrielle permettant de créer de la valeur sur l’ensemble de la chaîne, de l’emploi et d’économiser de la devise, tout en produisant un combustible renouvelable en quantité pour les centrales thermiques.Cependant, le soutien financier proposé aux exploitants forestiers et aux propriétaires terriens n’est aujourd’hui pas suffisant pour rendre viable cette activité, qui peine à décoller. Des ajustements devraient être envisagés au niveau des mécanismes de soutien, en complément des efforts déjà entrepris dans le cadre du National Biomass Framework.

Le bois actuellement utilisé et transformé en copeaux à destination de Terragen est du bois de récupération, constitué d’un mélange de bois en provenance de différentes sources locales : centres de tri de déchets, entretien de forêts, bois de palettes usagées, nettoyage de terrains… Il ne présente pas de conflit avec d’autres filières comme la construction ou l'agriculture ; il s’agit d’une valorisation de ressources jusquelà non exploitées, fait ressortir le Power Plant Manager. «Qu’il soit issu de la récupération ou de gisements forestiers exploités de manière durable, le bois de source locale représente un potentiel très significatif pour remplacer une partie du charbon utilisé dans les centrales thermiques de l’île Maurice. La filière locale ne sera néanmoins pas suffisante pour éliminer entièrement le charbon et il devra être envisagé, à moyen terme, de venir en complément avec de la biomasse importée, durablement sourcée, pour assurer la continuité et la stabilité de l’approvisionnement, tout en préservant les objectifs environnementaux du pays.»

Des biomasses de différentes natures peuvent être utilisées comme combustible pour produire de l’électricité. Au niveau de Terragen, des études sont régulièrement menées sur l’utilisation de différents produits, tels que les coques de noix, l’eucalyptus, le macadamia et les broyats verts afin de vérifier leur compatibilité technique avec les installations tout en s’assurant qu’ils répondent aux critères environnementaux et socio-économiques du pays. «Nous allons prochainement conduire une nouvelle étude avec du bois d’acacia géant», souligne Jean-Marc Iweins.

Défis à une adoption plus large de la biomasse à Maurice

Pour une adoption plus large de la biomasse,Jean-Marc Iweins indique que certains défis techniques apparaîtront, comme la gestion de nouveaux flux logistiques pour préparer, stocker et transporter la biomasse, mais que ce n’est en rien insurmontable. Toutefois, comme pour toute transition vers des énergies renouvelables, des adaptations économiques, aux dires de notre interlocuteur, seront nécessaires pour accompagner ce changement. Par exemple, les chaudières des centrales thermiques devront être adaptées et modernisées afin de pouvoir recevoir toute la biomasse nécessaire à la conversion des unités de production. Néanmoins, cela s’inscrit dans une démarche de durabilité à long terme, avec des retombées positives pour la souveraineté énergétique du pays, soutient le Power Plant Manager.

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Questions à... Grégory Bathfield, CEO d’Alteo Energy Ltd – Alteo Milling Ltd

«Pour le woodchip, il faut mettre en place plusieurs filières d’approvisionnement afin de maîtriser les risques liés à une éventuelle pénurie de biomasse»

Alors que le pays vise une réduction significative de l’utilisation du charbon dans la production d’énergie, Alteo Energy Ltd travaille sur des solutions pour intégrer davantage de biomasse dans son mix énergétique. Grégory Bathfield, «Chief Executive Officer» (CEO) d’Alteo Energy Ltd, fait le point sur la stratégie de l’entreprise.

Quel est le mix énergétique actuellement d’Alteo Energy pour produire de l’électricité ?

À l’heure actuelle, chez Alteo Energy, nous utilisons du charbon et de la biomasse (composée majoritairement de bagasse et d’un peu de paille). Près de 35 % de l’électricité produite est issue de la biomasse.

Quelle est la position d’Alteo Energy face à l’objectif national de réduire l’usage du charbon et quelles sont les solutions concrètes que vous envisagez pour accélérer votre transition énergétique ?

Nous sommes alignés sur cet objectif de réduire la part du charbon. Alteo travaille sur un projet de nouvelle centrale thermique 100 % biomasse depuis quelque temps. Le défi reste l’approvisionnement en biomasse pendant l’entre-coupe, lorsque la bagasse et la paille, disponibles pendant la période de la coupe de la canne, ne le sont plus. Aujourd’hui, pendant cette période, nous brûlons du charbon. Avec ce nouveau projet, il nous faudra remplacer le charbon par de la biomasse majoritairement importée, autrement appelée woodchips.

Le woodchip n’est pas une commodité comme le charbon qui, lui, est disponible en grande quantité en Afrique du Sud, pas très loin de chez nous. Pour le woodchip, il faut mettre en place plusieurs filières d’approvisionnement afin de maîtriser les risques liés à une éventuelle pénurie de biomasse. La première étape est donc de sécuriser cet approvisionnement en woodchips. Sans ce security of supply, un nouveau projet ne serait pas bancable. Le woodchip est moins dense et moins calorique que le charbon. Par conséquent, les volumes requis sont bien plus importants, ce qui demande donc une logistique beaucoup plus complexe que pour le charbon. Il y a des études en cours pour évaluer les divers marchés de biomasse ainsi que les facilités nécessaires en termes d’infrastructure portuaire, de moyens de stockage et de transport routier.

Quelles sont les prochaines étapes prévues ?

Dans un premier temps, nous aimerions augmenter la part d’électricité produite à partir de la paille de canne et aussi des woodchips disponibles localement. Dans un deuxième temps, il s’agira de mettre en œuvre le projet 100 % biomasse décrit dans le point ci-dessus.


Khalil Elahee, chargé de cours à la «Faculty of Engineering» de l’UOM

«Il faut une approche holistique sur toute la question»

Si les industriels se disent prêts à intégrer les copeaux de bois dans leurs procédés, pour Khalil Elahee, chargé de cours à la Faculty of Engineering de l’université de Maurice, les enjeux dépassent largement la simple substitution du charbon. «Les copeaux de bois locaux, comme d’autres sources de biomasse localement disponibles telles que la bagasse, sont des énergies renouvelables. La question est bien le business model que nous voulons adopter car pour les valoriser, il faut accepter de payer un prix juste, par exemple aux petits planteurs qui les fournissent. Mais au-delà de la dimension économique, il faut aussi évaluer l’impact sur la sécurité alimentaire.»

Selon les dires de Khalil Elahee, il faut une approche holistique sur toute la question. «La Mauritius Renewable Energy Agency (MARENA) revoit en ce moment le plan stratégique sur les énergies renouvelables dans un souci d’intégrer sur le long terme les dimensions économiques, environnementales et sociales de notre politique énergétique. Tous les stakeholders doivent être appelés à y participer.» Il rappelle que l’élimination du charbon est un engagement pris lors du Sommet de Paris. À la COP 26 en 2021, au moins 23 nations ont pris de nouveaux engagements pour sortir progressivement de l’énergie au charbon. «Mais concrètement, dix ans se sont écoulés mais il n’y a eu rien ou presque en guise d’action pour matérialiser cette transition énergétique axée sur le remplacement du charbon. Nous avons au contraire renouvelé à plusieurs reprises les contrats des centrales vétustes et dépassées brûlant le charbon, souvent de manière inefficace et polluante.»

Atteindre 60 % d’énergies renouvelables d’ici 2030 : mission quasi impossible

Pour atteindre désormais les 60 % d’énergies renouvelables d’ici 2030 – une mission que Khalil Elahee qualifie de quasi impossible –, il faudra également agir sur la maîtrise de la demande énergétique, avance-t-il. «Par exemple, nous ne pouvons aveuglément introduire 100 000 climatiseurs chaque année et nous attendre que ce soit au Central Electricity Board (CEB) seul de fournir l’électricité.» Pour accélérer la transition énergétique, Khalil Elahee met en avant les 4D : décentralisation, démocratisation, décarbonisation et digitalisation de notre système énergétique, y compris pour le transport. «Si nous nous tournons vers l’importation de la biomasse, puisqu’il n’y en a pas suffisamment localement, cela ne doit pas être au détriment d’un juste et équitable engagement des plus petits producteurs, ce qu’on appelle les prosumers du secteur résidentiel, par exemple, avec les panneaux photovoltaïques sur les toits des bâtiments.»

Il conclut en soulignant que la mission de la MARENA est de promouvoir les énergies renouvelables pour tous, dans l’intérêt de tous. Pour y arriver, dit-il, elle a besoin de se renforcer, ce qui est sa priorité immédiate au niveau opérationnel. Toutefois, il faut que tous les stakeholders, du CEB au secteur privé, s’engagent dans la même direction.

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