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Conservateur, restaurateur, artiste
Emmanuel Richon : Le Blue Penny Museum, c’est fini
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Conservateur, restaurateur, artiste
Emmanuel Richon : Le Blue Penny Museum, c’est fini

Photos: Aline Groëme-Harmon
Comme un timbre que l’on décolle. Sans bruit. Mais pas sans douleur. Depuis le 22 mai, Emmanuel Richon vit «un temps suspendu», suite à la fin abrupte de son contrat de conservateur du Blue Penny Museum, après 19 ans de service.
■ Depuis le 22 mai, vous n’êtes plus au Blue Penny Museum. Vous ne souhaitez pas regarder en arrière. Que faites-vous pour dessiner l’avenir ?
Le 31 juillet, je serais à la retraite, après 19 ans au Blue Penny Museum. Je suis dans un temps suspendu. Il m’a servi à ça. (NdlR, il désigne la série de tableaux en cours d’achèvement dans son salon).
■ La prochaine étape est artistique ?
Je suis disponible. Je peins. Citez-moi un artiste mauricien, un peintre, sculpteur du 19e siècle (NdlR, sur le coup, rien ne vient). Maintenant, si je vous demande dix noms de peintres ou de sculpteurs français du 19ᵉ siècle, les noms vont fuser. C’est incroyable. Une fois que l’on évoquait cette situation, quelqu’un a répondu : c’est normal, parce que ça n’est pas dans la tradition mauricienne. Là, je l’ai alpagué. Verbalement. Je lui ai dit, je ne vous veux pas de mal, mais la boucle est bouclée. Parce qu’un jour, pour l’art vocal, on aura oublié Max Moutia. On dira, mais non, le théâtre, ce n’est pas mauricien. Alors que si.
Attendez un peu et vous verrez que ça sera la même chose pour les autres arts. On finira par croire qu’il n’y a jamais eu d’artiste mauricien au 18ᵉ et au 19ᵉ siècle. J’avais une liste sur mon bureau, de 200 noms d’artistes du 19ᵉ . Bien sûr, il n’y a pas que des Mauriciens. Il y a des Anglais de passage, mais ils ont fait des trucs admirables.
■ Pourquoi cette situation ?
Parce qu’on est l’un des très rares pays au monde à ne pas avoir de National Art Gallery (NAG). Le pire, c’est qu’il y en a une, mais elle n’existe pas (NdlR, en mai 2019, Emmanuel Richon a démissionné en tant que membre du conseil d’administration de la NAG). Évidemment, plus vous remontez dans le temps, plus il y aura d’artistes blancs. Il ne faut pas se voiler la face. Il faut l’assumer. Pourquoi estce qu’on gommerait des paysagistes anglais, français, etc. Je ne vois pas où est le mal. Il ne faut pas oublier que Prosper d'Épinay est l’un des plus grands sculpteurs mondiaux. On l’associe souvent à son papa, Adrien d'Épinay, mais il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain.
■ Adrien d'Épinay que l’on a voulu déboulonner du jardin de la Compagnie.
En oubliant que l’œuvre est de Prosper d'Épinay. La première constitution de la municipalité de Port-Louis a été rédigée par Prosper d'Épinay, qui était un artiste. C’est dire qu’il était important. Des sculptures de Prosper d'Épinay, il y en a au musée de l’Ermitage, à Saint-Pétersbourg, au Musée d’art moderne de New York, à la British High Commission à Paris. Il y a la sculpture de Stevenson devant l’Hôtel du gouvernement, la statue d’Edward VII au Champ-de-Mars, la statue de Paul et Virginie. Mais personne n’en parle. Après Rodin et Carpeaux, pour moi, il y a Camille Claudel et Prosper d'Épinay.
■ Vos connaissances en histoire de l’art mauricien vous mènent où ?
J’aimerais être faussement modeste, mais je n’y arrive pas parce que c’est vrai que les Mauriciens n’ont pas eu cette chance. Il n’y a pas de NAG. Ce qui manque, c’est la volonté politique.
■ Durant un précédent mandat travailliste, en 2011, un projet de galerie d’art nationale avait été lancé dans le store de l’ex-hôpital militaire. Il n’a pas abouti.
Des tableaux à côté du port, ce n’est pas trop bien. Il y a de meilleurs endroits, dignes de l’art à Maurice. Je me garde de les nommer. Jusqu’à présent, il n’y a pas eu de volonté politique. Ceux qui sont là sont nouveaux, peutêtre qu’ils l’auront. Peut-être qu’on n’a pas su convaincre les autres avant. Attention, ce n’est pas forcément la faute du politique. Moi-même, j’aurais pu essayer de convaincre à plusieurs reprises. Le problème, c’est que l’art, c’est la cinquième roue du carrosse. Parce qu’on pense toujours – à juste titre – qu’il faut d’abord remplir son ventre. Ce qui veut dire que l’art, les artistes, on n’y croit pas trop. Alors que c’est un secteur économique important. Malheureusement, on s’est focalisé sur l’art musical, parce que ça permettait réellement à des gens de s’en sortir. Pour les autres secteurs, il n’y a pas grand-chose jusqu’à présent.
À Maurice, la plupart des collections de tableaux anciens, sont au Mauritius Museums Council, pas à la NAG. Certains décideurs n’ont pas compris ce que c’était qu’un musée, d’une galerie d’art nationale. La NAG, c’est pour montrer essentiellement le passé artistique de l’île Maurice. Le précédent ministre des Arts a fait acheter des œuvres d’artistes d’aujourd’hui. Ce qu’il s’apprêtait à faire, c’était une galerie d’art contemporain. Ce n’est pas ça une galerie d’art nationale. N’en déplaise aux artistes qui aimeraient bien exposer.
Il y a beaucoup de galeries privées. Mais ça ne veut pas dire que parce que le privé s’est emparé du créneau, que tout va bien. C’est que justement, en matière de politique publique pour l’art, l’État n’a pas rempli son rôle. Les galeries privées ne vont pas montrer qui était Prosper d’Épinay. Même Malcolm de Chazal, qui est mort il y a environ 40 ans, devrait y en avoir facilement des visibles puisque l’État en possède.
■ La fondation est dans un état d’abandon.
C’est pour ça qu’il faut résoudre tous les problèmes à la fois. Ce n’est pas la peine d’avoir une fondation si c’est pour rester fermé ou pire, voir se dégrader les tableaux. Il n’y a rien de plus choquant que de savoir que l’on ne peut pas acheter un disque de Ti Frer dans le commerce.
■ Le Blue Penny Museum a consacré une expo à Ti Frer avec un CD d’inédit.
Je m’en honore. Je n’étais pas tout seul. Philippe Forget était là, pour ce CD avec des morceaux inédits. Au début, j’appréhendais beaucoup. Je voyais le Blue Penny Museum comme un musée philatélique. Je ne suis pas du tout philatéliste. Enfin, très peu. [rires]
■ Quel bilan faites-vous de vos 19 ans au Blue Penny Museum ?
Je suis un homme de musée depuis 1982. Un musée, c’est un outil. Je me suis dit qu’il fallait trouver quelque chose qui corresponde à la culture mauricienne. Étant un étranger au départ – je connais Maurice depuis 1979 –, j’avais remarqué qu’il y a beaucoup de sujets de culture mauricienne qui ne passent pas. Par exemple, il y a des Mauriciens qui sont allergiques au sega. Je me suis dit, tout ce qui a été dénigré, tout ce qui fait quand même notre culture, linguistiquement, musicalement, dans la cuisine, tous les sujets auxquels on ne s’est pas intéressé, tu vas le faire.
■ Vous avez proposé des expos internationales avec Picasso, Matisse et Malcolm de Chazal.
Symboliquement, j’ai fini avec Malcolm de Chazal. Après l’exposition Malcolm de Chazal à Paris, j’étais particulièrement fier parce que je m’étais dit, après Matisse, tu as fait venir le nec plus ultra ici, mais fais venir le nec plus ultra mauricien là-bas et j’ai réussi.
■ Il y a aussi eu l’expo Kaya à l’occasion des 20 ans de sa disparition.
Pour l’exposition Kaya, plutôt que de commémorer uniquement la mort, nous avons commémoré le chanteur. Je connaissais l’œuvre de Caroline Mandron, elle a accepté de prêter les tableaux. Avec Véronique Topize aussi, ça a bien marché. À chaque fois, des gens ont prêté des éléments. Pour l’exposition sur les bonnets de prière, 200 personnes que je ne connais pas ont prêté un bonnet.
J’en ai aussi fait une sur Sona Noyan et le gamat, c’est de la culture populaire en train de crever. Comment ne pas le voir ? Ce qui est vraiment génial, alors que les chanteurs s’envoient des ordures, c’est que ça fait rire tout le monde. Tu as beau ne rien comprendre, tu ris aussi. Peut-être que c’est cathartique. À Maurice, il y a quand même beaucoup de rivalité, de tensions. Avec le gamat, les gens s’insultent dans un contexte amusant. Ça désamorce la nervosité dans la société.
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