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Questions à… Bhamini Sreekeessoon

«En exploitant les ressources marines locales, Maurice pourrait aspirer à une plus grande autosuffisance énergétique»

26 décembre 2023, 20:00

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«En exploitant les ressources marines locales, Maurice pourrait aspirer à une plus grande autosuffisance énergétique»

Bhamini Sreekeessoon, chargée de cours en génie électrique.

Après avoir travaillé comme ingénieur électrique, Bhamini Sreekeessoon est aujourd’hui enseignante-chercheuse dans le même domaine à l’université des Mascareignes. Elle s’est distinguée comme l’une des 30 lauréates parmi 632 candidates du Prix jeunes talents Afrique subsaharienne L’Oréal – l’UNESCO pour les femmes scientifiques en Afrique début novembre.

Que représente une telle distinction pour vous ?

Cette distinction est bien plus qu’une simple récompense ; elle symbolise une reconnaissance de mes réalisations, un soutien à mon travail, et une invitation à jouer un rôle important dans la promotion de la science et de la recherche en Afrique subsaharienne et au-delà. Cette distinction est aussi perçue comme un encouragement et un soutien significatifs de la part de la communauté scientifique, de L’Oréal et de l’UNESCO. Cela renforce ma détermination à poursuivre mes recherches et à exceller dans mon domaine. Le Prix jeunes talents m’offre aussi une visibilité internationale, mettant en lumière mon travail scientifique.Cela peut ouvrir des opportunités de collaboration, de partenariat et de partage de connaissances à l’échelle mondiale. En tant que lauréate, je souhaite devenir un modèle inspirant pour les jeunes scientifiques, en particulier les femmes, démontrant qu’il est possible de réussir dans le domaine scientifique et de contribuer de manière significative à la société.

Comment et pourquoi êtes-vous parvenu au choix de vos recherches ?

Le choix de se pencher sur les énergies marines renouvelables à Maurice est motivé par plusieurs facteurs. Maurice, étant une île, est entourée par l’océan, ce qui offre un potentiel significatif pour exploiter les ressources énergétiques marines, telles que l’énergie des vagues, des marées et des courants. Mes recherches s’inscrivent dans la vision du gouvernement d’atteindre 60 % d’énergies renouvelables d’ici 2030. Les énergies marines renouvelables peuvent contribuer à diversifier le mix énergétique de Maurice, réduisant ainsi sa dépendance aux sources d’énergie conventionnelles. En exploitant les ressources marines locales, Maurice pourrait aspirer à une plus grande autosuffisance énergétique et réduire sa dépendance aux importations d’énergie. L’utilisation d’énergies marines renouvelables peut contribuer à réduire les émissions de gaz à effet de serre, aidant ainsi à atténuer les changements climatiques.

Vos recherches ont duré combien de temps, et que conseillez-vous à ceux qui comme vous concilient études avancées et famille ?

Je suis dans ce domaine de la recherche depuis bientôt trois ans et j’ai encore d’autres progrès à faire. Chaque personne et chaque situation sont uniques ; donc il est important de trouver des stratégies qui fonctionnent. Les stratégies qui m’aident à équilibrer ces deux aspects de ma vie sont : la planification où j’établis un calendrier réaliste qui prend en compte mes engagements académiques, professionnels et familiaux. Cela m’aide à optimiser mon temps. Puis, le soutien de la famille, des amis et de mes collègues. Je n’hésite pas à demander de l’aide lorsque c’est nécessaire. Pour finir, il y a la priorisation : j’identifie les tâches et les activités les plus importantes et me concentre sur celles-ci.

Après le concours international «Ma thèse en 180 secondes» à Paris en 2021 (où en tant que doctorante vous avez présenté, en français et en des termes simples, votre sujet de recherche, à un auditoire profane et diversifié), vous êtes récompensée, cette fois-ci, en Afrique…

L’expérience MT180 en 2021 m’a permis de faire connaître mes recherches à un large public. Gagner ce concours m’a également donné l’opportunité, via l’Agence universitaire de la francophonie, de visiter des instituts de recherche à La Réunion qui exploitent les énergies marines renouvelables. D’autre part, le programme L’OréalUNESCO pour les femmes et la science permet à ses lauréates de bénéficier d’un soutien financier pour mener à bien leurs projets de recherche – via des bourses de recherche. La fondation L’Oréal et l’UNESCO réaffirment leur engagement aux côtés des femmes scientifiques, afin de les accompagner, les rendre visibles, et les soutenir dans leurs carrières.

Quel est le potentiel de l’énergie marémotrice de vos recherches pour le pays ?

Il faut comprendre que les types de vagues que nous recevons à Maurice ne sont pas les mêmes que celles des îles Orcades ou de la côte nord du Portugal. Nous ne disposons pas non plus d’un vaste littoral et de ressources houlomotrices abondantes comme ceux de l’Australie. Ces pays sont leaders dans la production d’énergie houlomotrice. L’objectif n’est pas de mettre en œuvre des technologies existantes mais plutôt de développer des moyens locaux, peu coûteux et adaptés aux critères de vagues océaniques dont nous disposons. Les recherches indiquent que Maurice dispose d’une densité de puissance des vagues de 20 à 30 kW/m. En moyenne, des densités de puissance houlomotrice de 15 à 25 kW/m sont nécessaires pour déployer les technologies houlomotrices existantes.

Vous avez fait le tour de l’île dans le cadre de vos recherches. Quel/quels est/ sont le.s site.s idéal.aux pour installer une centrale électrique exploitant les marées à Maurice et pourquoi ?

Le choix du site idéal pour l’installation d’une centrale électrique exploitant l’énergie des marées dépend de plusieurs facteurs. Les sites avec de grandes amplitudes de marées sont plus propices à la production d’énergie. Des études approfondies des conditions océaniques locales sont essentielles. Des courants marins réguliers et prévisibles sont nécessaires pour assurer une production d’énergie stable. Il faut s’assurer que le site choisi offre un accès facile aux infrastructures nécessaires pour la construction et la maintenance de la centrale marémotrice, telles que des connexions au réseau électrique. Les régions du sud-est au sud constituent les emplacements les plus appropriés. Cela est dû aux alizés du sud-est qui influencent les vagues et les rendent plus énergétiques par rapport aux autres régions.

Une telle unité peut-elle être réalisée à Rodrigues, Agaléga, St-Brandon et les Chagos éventuellement ?

Il est essentiel de mener des études de faisabilité et des évaluations environnementales approfondies avant de planifier la mise en œuvre de projets d’énergie marémotrice. Ces études fourniraient des informations cruciales pour déterminer la viabilité technique, économique et environnementale des projets dans ces régions spécifiques. L’île Rodrigues, faisant partie de l’archipel des Mascareignes, pourrait présenter un certain potentiel marémotrice en raison de ses caractéristiques géographiques. Les atolls (tels que Les Chagos et Agaléga) ont une géographie particulière et pourraient avoir un potentiel marémotrice limité. Cependant, des études détaillées seraient nécessaires pour confirmer cela. St-Brandon est un ensemble d’îles et d’îlots. Les caractéristiques géographiques spécifiques de cette région nécessiteraient une évaluation approfondie pour déterminer le potentiel de l’énergie marémotrice.

Maintenant que vous êtes lauréate dans la matière, que vous manque-t-il pour pouvoir concrétiser votre projet d’alimenter l’avenir de Maurice grâce à l’énergie marémotrice et comment les autorités peuvent-elles inciter des scientifiques, chercheurs, comme vous à apporter votre petite pierre aux enjeux nationaux de notre petit État insulaire ?

Il y a plusieurs étapes clés à considérer avant que l’énergie marémotrice ne soit une réalité à Maurice. En premier lieu, une étude de faisabilité doit être réalisée. Cela constitue d’une étude approfondie pour évaluer la faisabilité technique, économique et environnementale du projet dans le contexte spécifique de l’île Maurice. Cela pourrait impliquer des évaluations des ressources marémotrices locales, des coûts d’installation et des bénéfices environnementaux. Il faudrait également impliquer la communauté locale en la sensibilisant aux avantages du projet en termes d’énergie propre, de création d’emplois locaux et de durabilité. Une acceptation sociale accrue facilitera l’approbation réglementaire et minimisera les obstacles potentiels. Les autorités peuvent encourager les scientifiques et chercheurs à contribuer aux enjeux nationaux tels que celui-ci en donnant quelques incitations.

Lesquelles ?

L’établissement des centres de recherche spécialisés, des laboratoires équipés, et d’autres infrastructures pour soutenir la recherche dans des domaines clés. Ensuite, établir des partenariats avec des organismes de recherche, des institutions universitaires, des entreprises spécialisées dans les énergies renouvelables, et d’autres parties prenantes clés.

Votre idée si bien menée pourrait contribuer à quelle échelle à l’objectif national de 60 % d’énergies renouvelables d’ici 2030, un objectif qui semble à ce jour irréalisable, le pays ayant plongé de 21,5 en 2021 à 19,2 % d’énergies vertes en 2022 ?

L’énergie marine renouvelable, y compris l’énergie marémotrice, pourrait potentiellement contribuer de manière significative à l’objectif de Maurice d’atteindre 60 % d’énergies renouvelables d’ici 2030. Cependant, plusieurs facteurs devront être pris en compte pour évaluer le niveau de contribution possible de cette source d’énergie. Les coûts initiaux d’investissement et les coûts opérationnels de l’énergie marine renouvelable doivent être évalués par rapport aux autres sources d’énergie renouvelable disponibles. La mise en place d’une infrastructure adaptée pour la production, la transmission et la distribution de l’énergie marine renouvelable est essentielle. Une réglementation claire et un processus de planification efficace sont nécessaires pour faciliter le déploiement des projets d’énergie marine renouvelable. Cela comprend l’obtention des autorisations nécessaires, la gestion des questions environnementales et la coordination avec d’autres secteurs maritimes. Il est important de noter que les objectifs énergétiques peuvent évoluer en fonction des politiques gouvernementales, des avancées technologiques et des changements dans le contexte économique. Il serait également judicieux d’examiner les raisons pour lesquelles la part d’énergies renouvelables a diminué entre 2021 et 2022, afin d’identifier les défis spécifiques et de formuler des solutions adaptées.

Comment s’assurer qu’une unité énergétique à partir des marées ne représente pas de danger écologique ?

Maurice pourrait avoir des opportunités pour l’exploitation de l’énergie des marées en raison de sa situation géographique, mais il est crucial de mener des études de faisabilité approfondies pour identifier le site optimal en fonction de ces critères. Une collaboration étroite avec les autorités locales, les experts en énergie renouvelable et les écologistes est essentielle pour garantir le succès du projet tout en minimisant son impact environnemental. Il faudrait opter pour des technologies marémotrices à faible impact environnemental. Certains systèmes sont conçus pour minimiser les perturbations dans l’eau et réduire les risques pour la faune marine. On pourrait aussi mettre en place des systèmes de protection pour empêcher les animaux marins de pénétrer dans les zones critiques de l’installation. Cela peut inclure des barrières physiques ou des systèmes d’alerte pour minimiser les risques de collision. Un engagement communautaire est primordial. Il faudrait impliquer la communauté locale dans le processus de planification et de mise en œuvre. Cela consiste à recueillir des avis et des préoccupations des parties prenantes locales, y compris les pêcheurs, les scientifiques et les défenseurs de l’environnement. Il ne faut pas non plus ignorer le fait que le tourisme est l’un des principaux piliers économiques de Maurice. Il faudrait donc sélectionner soigneusement l’emplacement de l’unité énergétique.