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Pôles de croissance

Energie verte : entre ambition et réalités du terrain

8 juin 2025, 18:00

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Energie verte : entre ambition et réalités du terrain

Dans le Budget 2025– 2026, le gouvernement ambitionne de transformer l’économie mauricienne en misant sur quatre nouveaux pôles de croissance. L’un des plus structurants est sans conteste celui de l’énergie verte, dans un contexte où la transition énergétique s’impose comme une nécessité face aux dérèglements climatiques et à la dépendance aux énergies fossiles. Le Budget prévoit quelque Rs 30 milliards d’investissements sur les trois prochaines années principalement dans le solaire et la biomasse.

Toutefois, ces annonces ambitieuses contrastent avec une réalité encore largement dominée par les énergies fossiles. Selon les dernières données annuelles de Statistics Mauritius, en 2023, seulement 9,8 % de la consommation énergétique provenaient de sources renouvelables locales — telles que l’hydroélectricité, l’éolien, le gaz de décharge, le photo- voltaïque, la bagasse, le bois de chauffage et le charbon de bois. En parallèle, 90,2 % de l’énergie consommée dépendait encore des combustibles fossiles importés, principalement les produits pétroliers et le charbon.

Et ce, malgré les objectifs nationaux de porter la part des énergies renouvelables à 60 % d’ici 2030 et d’éliminer progressivement le charbon à la même échéance. Le National Biomass Framework, lancé en 2023, vise justement à accélérer cette transition en valorisant des alternatives locales, notamment les copeaux de bois, comme source d’énergie.

Mais sur le terrain, les retards s’accumulent, alors que la crise énergétique s’aggrave. À court terme, le gouvernement envisage de recourir à un powership pour garantir la sécurité énergétique, dans l’attente de la concrétisation des projets durables annoncés et de la montée en puissance des renouvelables. Dans ce contexte, si l’ambition est bien présente dans le Budget 2025-2026, sa mise en œuvre effective reste à suivre.

Du côté des opérateurs privés, Franck Rivas, directeur général de Corexsolar International, fait ressortir que cette mesure budgétaire vient confirmer la volonté du gouvernement de réduire la dépendance du pays aux énergies fossiles et d’augmenter le pourcentage des énergies renouvelables dans son mix énergétique. Il souligne qu’en se faisant, le pays réduira également de manière considérable son empreinte carbone, qui sera bénéfique pour la planète.

Concernant l’investissement solaire, il estime que «Maurice étant exposée au soleil tout au long de l’année, les fermes solaires pourraient venir pallier de manière considérable le manque d’énergie auquel fait face le pays depuis quelque temps déjà, une conséquence directe du changement climatique». Franck Rivas rappelle également qu’il existe aujourd’hui plusieurs acteurs spécialisés dans la conception, la production et l’exploitation de fermes photovoltaïques à Maurice. «Au niveau de Corexsolar International, nous avons déjà mis en service quelques centrales solaires et la dernière en date est celle de Plaine-des-Roches, d’une capacité de 10MWac, opérationnelle depuis avril dernier.»

Concernant les principales contraintes à revoir pour accélérer le développement de l’énergie solaire dans le pays, et compte tenu des nombreux projets que cet acteur du secteur a mis en place à Maurice et à Rodrigues, ainsi que de ses investissements significatifs dans une dynamique à long terme, le directeur général de Corexsolar International estime qu’«il y a effectivement besoin d’avoir une vision plus claire et détaillée du plan stratégique en ce qui concerne le renouvelable à Maurice, pour les prochaines années. Cela, afin de nous conforter dans les investissements présents et futurs pour poursuivre la dynamique des développements des énergies à Maurice». Franck Rivas considère que le plan stratégique viendrait renforcer la confiance des investisseurs et consolider les projets en cours.

Alors que le solaire capte une grande part de l’attention dans la stratégie énergétique nationale, l’autre pilier mentionné dans le Budget 2025- 2026 est la biomasse. Gregory Bathfield, CEO d’Alteo Energy Ltd – Alteo Milling Ltd, affirme qu’Alteo salue la volonté du gouvernement de positionner l’énergie verte comme un pilier de croissance stratégique. Acteur engagé dans la transition énergétique du pays, il est présent à la fois dans le solaire — à travers la ferme photovoltaïque Helios Beau Champ à Ernest Florent en partenariat avec Qair— et dans la biomasse, notamment via l’utilisation de la bagasse et des pailles de canne issues de leurs opérations sucrières.

Le CEO souligne l’importance de diversifier les sources d’énergie renouvelable, tout en attirant l’attention sur les défis spécifiques liés à la biomasse. «Nous sommes convaincus que le solaire et la biomasse peuvent effectivement être deux piliers de la transition énergétique du pays. Cependant, plusieurs contraintes majeures devront être levées pour que cette transition soit effective. Si la bagasse reste une ressource locale clé, la production de biomasse à partir de bois (woodchips) nécessite une meilleure rentabilité économique. À ce jour, le tarif de Rs 3,50/kWh ne permet pas aux projets de plantation de biomasse d’être viables. Une révision de ce tarif est indispensable pour stimuler les investissements dans ce segment.»

Par ailleurs, indique-t-il, «Maurice ne dispose pas de ressources suffisantes pour produire localement toute la biomasse nécessaire à la substitution complète du charbon. Comme pour le charbon aujourd’hui, une partie devra être importée. Cela pose des défis logistiques complexes, ainsi qu’un coût d’importation bien supérieur à celui des combustibles fossiles. Le développement de cette chaîne d’approvisionnement — de la production locale à l’importation sécurisée — devra donc être un élément déterminant du succès de la stratégie nationale.» Gregory Bathfield soutient qu’Alteo reste engagé à contribuer activement à cette transformation, dans une logique de durabilité, de sécurité énergétique et de souveraineté environnementale.

Rs 30 milliards : pas un rêve

Au-delà des acteurs privés engagés dans le solaire et la biomasse, Khalil Elahee, chargé de cours à la Faculty of Engineering de l’université de Maurice et président du board de la Mauritius Renewable Energy Agency (MARENA), apporte un éclairage complémentaire sur les défis de la transition énergétique. Il indique, premièrement que les Rs 30 milliards d’investissements prévus sur les trois prochaines années dans les énergies renouvelables ne relèvent pas du rêve.

«Nous sommes à la veille d’une révolution énergétique dans le domaine des renouvelables, particulièrement pour le solaire. Il y a une condition essentielle à sa réalisation. Il faut enlever les obstacles qui, jusqu’ici, n’ont pas permis le développement de tant de projets d’énergies propres. Il ne s’agit pas uniquement de grands projets, mais aussi des installations sur les toits des maisons, comme dans le secteur domestique. C’est aussi ainsi que nous allons assurer, avec la maîtrise de la demande aux heures de pointe, non seulement notre transition énergétique mais surtout une nécessaire sécurité énergétique face aux défis que nous connaissons.»

Il souligne l’importance de différentes sources d’énergie renouvelable et les impératifs à prendre en compte pour réussir cette transition. «Il y a le solaire, sans doute au moins 150 MW additionnels à prévoir, mais aussi la biomasse qui, elle, peut nous assurer une fourniture continue. Ce sont des solutions sur le moyen terme et le long terme, même pour le court terme pour les panneaux photovoltaïques sur les toits des maisons ou dans les entreprises et les hôtels. Cela n’exclut pas d’autres sources dans ce mix énergétique et doit être aussi décentralisé, démocratisé et digitalisé que possible, et bien sûr décarboné. Il faut ne jamais oublier la maitrise de la demande, qui n’est pas que les économies d’énergie ou de la pure conservation énergétique. L’efficacité énergétique nous permet d'avoir plus de productivité avec moins d’énergie, y compris celle qui est renouvelable.»

Disposons-nous des ressources humaines, techniques et naturelles suffisantes pour déployer et optimiser ces projets sur les trois prochaines années ? C’est le grand défi, affirme-t-il. Il cite en exemple : «A la MARENA, nous recrutons des spécialistes, y compris un Chief Executive Officer, car il nous faut des personnes compétentes. Mais il faut aussi adopter une approche systémique. Par exemple, la formation des installateurs de panneaux photovoltaïques est indispensable. Il est essentiel que toutes nos institutions de formation s’engagent dans cette révolution énergétique. Il faudra également s’assurer que nos pays partenaires nous soutiennent non seulement dans le transfert de technologies, mais aussi dans le partage de savoir-faire. La recherche, qui est d’ailleurs mentionnée dès le début du discours budgétaire, est cruciale si nous voulons réduire notre dépendance aux consultants étrangers et appliquer des solutions durables adaptées au contexte local.»

En ce qui concerne le risque que ces mesures ne soient qu’un effet d’annonce plutôt qu’un réel changement structurel, compte tenu du retard de Maurice dans la production d’énergie renouvelable et de la part encore faible de ces sources dans notre mix énergétique, Khalil Elahee estime que ce risque est aujourd’hui moindre. Selon lui, il existe une véritable volonté d’opérer une transition énergétique plus radicale, car le temps presse. Il nous faut avoir aussi, dit-il, the «right person in the right place». «Le leadership a fait défaut dans le passé. A la MARENA, nous sommes déterminés à tout faire pour accompagner, encadrer et même réguler s’il le faut cette révolution énergétique en marche, mais il nous faut l'appui de tous, y compris du secteur public et du secteur privé. Nous présenterons bientôt un nouveau plan stratégique après une consultation nationale, le Renewable Energy Strategic Plan qui clarifiera le rôle de chaque stakeholder.»

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