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«Smart City Scheme»

Enjeux économiques, critiques sociales et avenir incertain

14 mai 2025, 16:00

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Enjeux économiques, critiques sociales et avenir incertain

Le Smart City Scheme, lancé en 2015 par le gouvernement de l’alliance Lepep, a suscité de nombreuses discussions sur ses implications économiques, sociales et environnementales. Ce programme ambitieux, destiné à encourager la création de villes intelligentes à travers l’île, repose sur des exonérations fiscales généreuses accordées aux promoteurs immobiliers. Alors que le gouvernement se penche aujourd’hui sur une analyse approfondie des différents programmes de développement, notamment le Smart City Scheme, la question de l’efficacité de ces incitations fiscales et de leur impact sur les finances publiques devient primordiale. Dans cette optique, le débat sur l’avenir du Smart City Scheme est plus que jamais d’actualité, avec des critiques portant sur ses effets sur le paysage urbain, l’inclusion sociale, ainsi que sur la gestion des terres agricoles.

Lors d’une interpellation de la députée Babita Thannoo à l’Assemblée nationale mardi dernier, il a été révélé que le montant total des exonérations fiscales accordées dans le cadre du Smart City Scheme depuis son lancement en juin 2015 s’élève à Rs 6,61 milliards. Ce programme a permis aux promoteurs immobiliers de bénéficier de nombreuses exonérations, telles que la TVA sur les bâtiments et infrastructures, les exonérations de droits de douane sur les matériaux et machineries importés pour la construction, ainsi qu’une exonération de l’impôt sur le revenu pendant huit ans pour les revenus générés par les activités immobilières au sein des smart cities. D’autres avantages incluent des exonérations de droits d’enregistrement, de taxes de transfert de terrain dans une société de smart city, de taxes sur le morcellement et de taxes de conversion de terres pour des développements non résidentiels. Ces incitations fiscales ont pour but de favoriser le développement de villes intelligentes et durables sur l’île. Cependant, à la lumière de la situation économique actuelle, exposée dans le rapport gouvernemental publié en décembre 2024, le ministère des Finances a lancé une analyse approfondie du Smart City Scheme et d’autres programmes de développement afin d’en évaluer l’efficacité et limpact sur les finances publiques. Dans ce cadre, il envisage de revoir, voire de supprimer certaines exonérations fiscales accordées aux entreprises dans le cadre de ce programme.

Une nouvelle vision de l’urbanisme à Maurice

Le Smart City Scheme marquait un tournant majeur dans l’aménagement du territoire lors de son lancement en 2015. Porté par l’Economic Development Board (EDB), ce programme a pour objectif de créer des villes intelligentes et durables dans le pays, connectées par une vision d’innovation urbaine et une logique de décentralisation économique.

L’objectif ? Repenser l’urbanisme mauricien en intégrant dans un même espace les fonctions résidentielles, professionnelles, commerciales, éducatives et culturelles, tout en misant sur les technologies vertes, la mobilité douce et une gestion intelligente des ressources. Chaque Smart City repose sur le concept Live, Work & Play, avec des infrastructures modernes adaptées aux besoins d’aujourd’hui.

Ce modèle, à la fois écologique et inclusif, s’inscrit dans une stratégie plus large de transformation de Maurice en un hub international des affaires et de la finance. Les investisseurs, locaux ou étrangers, bénéficient d’avantages fiscaux attractifs, comme l’exonération d’impôt sur le revenu ou la possibilité d’obtenir un permis de résidence sous conditions.

Au-delà des incitations économiques, le programme impose des critères rigoureux. Les promoteurs doivent soumettre à l’EDB un plan directeur détaillé, intégrant l’urbanisme durable, l’innovation, la qualité de vie et des initiatives citoyennes. Chaque ville intelligente est ainsi pensée comme un écosystème à part entière, capable de produire ses propres ressources, de réduire les embouteillages grâce à des transports intelligents, et de renforcer l’inclusion sociale via des projets éducatifs, culturels et communautaires.

Les Smart Cities, qui disposent chacune de leur site web, se veulent aussi des vitrines de la modernité mauricienne. Ces plateformes détaillent les projets en cours, les infrastructures disponibles, les services proposés, ainsi que les opportunités d’investissement. Elles servent également à promouvoir la participation citoyenne et à renforcer l’ancrage local des initiatives urbaines.

Le Smart City Scheme se veut comme l’un des piliers de sa stratégie de modernisation et d’ouverture économique.

«Moka Smart City» : un modèle de développement intégré

Parmi les exemples les plus emblématiques de cette transformation urbaine, Moka Smart City s’est imposée comme un modèle. Porté par ENL Property, ce développement intégré a vu le jour bien avant le lancement officiel du Smart City Scheme. Depuis près de 15 ans, Moka se structure autour du concept Live-Work-Play, avec des infrastructures modernes, un environnement verdoyant, une offre éducative de qualité, et une forte attractivité économique.

Savannah Connected Countryside : Une «Smart City» rurale et respectueuse de l’environnement

Forte de ce succès, ENL a choisi de reproduire cette approche dans une autre région de l’île. En 2022, l’entreprise a lancé Savannah Connected Countryside, une Smart City rurale implantée au sud, dans un vaste domaine de 7 000 arpents, dont 440 arpents sont dédiés à ce nouveau projet. Savannah se distingue par sa volonté de préserver l’identité du sud : forêts endémiques, terres agricoles, élevage et nature préservée forment la trame d’un village intelligent. Le projet se veut à taille humaine, respectueux de son environnement, tout en intégrant des fonctions économiques, sociales et culturelles.

«Beau Plan Smart City» : Inclusion sociale et durabilité

Beau Plan Smart City va au-delà d’une simple ville intelligente en visant à créer une «région intelligente», avec l’inclusion sociale et la durabilité comme moteurs de croissance. Les piliers de son développement sont : Live, Work, Play, Learn and Create. Le pilier Live se concentre sur la création d’une qualité de vie durable avec des quartiers résidentiels arborés, des trottoirs, des pistes cyclables et des routes sûres qui favorisent la vie communautaire tout en préservant l’intimité. Le pilier Work propose un environnement de travail moderne et inspirant, avec des bureaux modernes, un cadre naturel verdoyant, des infrastructures et des commodités à proximité. Sous Play, Beau Plan offre une gamme d’activités de loisirs, comme la Mahogany Shopping Promenade, le musée de L’Aventure du Sucre, ainsi que des événements et des infrastructures sportives comme le paddle-tennis et l’équitation. Le pilier Learn comprend des établissements éducatifs de qualité, de la crèche au secondaire, afin d’accompagner les jeunes dans leur parcours scolaire. Enfin, Create met l’accent sur la créativité dans la construction de la ville, son approche urbaine et son programme culturel, incitant ses habitants à imaginer et transformer leur quotidien.

«Mont Choisy Smart City» : Vivre, travailler, se détendre et apprendre dans un écosystème durable

Mont Choisy Smart City vise à offrir un cadre de vie intelligent et durable en combinant innovation, inclusion sociale et qualité de vie. Son développement repose aussi sur les piliers Live, Work, Play, et Learn and Create. Le pilier Live favorise un mode de vie harmonieux à travers des quartiers résidentiels paisibles, des espaces verts et une mobilité douce. Avec Work, la smart city propose un environnement professionnel fonctionnel et moderne, bien intégré à son cadre naturel, tout en étant proche de services essentiels. Sous Play, Mont Choisy met à disposition une variété d’activités de loisirs et d’infrastructures pour les familles, les enfants et les jeunes, incluant des espaces commerciaux, culturels et sportifs. Le pilier Learn intègre des établissements éducatifs pour accompagner le parcours scolaire d’enfants de tous âges.

«Montebello Smart City» : En harmonie avec la nature

Montebello Smart City vise à créer un lieu en harmonie avec son environnement, tout en préservant le patrimoine naturel existant. Chaque décision d’aménagement est prise dans le respect de la nature : le master plan se structure autour de trois zones distinctes, intégrant le Saint-Louis Rivulet, un corridor végétal et des arbres centenaires. Le site s’étend sur 120 arpents, où la densification naturelle est favorisée, notamment par la conservation d’espèces endémiques et une pépinière de plus de 2 000 plantes. La durabilité est au cœur de ce projet. L’ensemble des espaces – résidentiels, commerciaux et de loisirs – est connecté par des sentiers piétonniers sécurisés, aménagés dans un cadre paysager propice aux rencontres et à la détente. L’objectif est d’offrir un mode de vie plus simple, moins dépendant de la voiture, pour passer davantage de temps avec ses proches. Montebello innove avec un quartier entièrement piétonnier, une première à Maurice. Son centre névralgique comprendra plus de 9 500 m² de commerces, 40 boutiques sélectionnées et un Food Hall animé, dans un lieu où l’architecture sert un mode de vie durable.

«Mon Trésor Smart City» : Relance d’un projet stratégique

La Mauritius Investment Corporation (MIC), filiale de la Banque de Maurice, s’est engagée à relancer le projet de ville intelligente dans le Sud du pays, après avoir racheté l’ensemble du projet Mon Trésor Smart City, initialement lancé par le conglomérat Omnicane. Ce dernier avait dû abandonner le développement, entamé en 2016 avec un investissement prévu de plus de Rs 20 milliards, en raison de graves difficultés financières accentuées par la pandémie de Covid-19. En février 2022, pour faire face à une crise de liquidités, Omnicane a cédé ses terres à la MIC pour un montant total de Rs 4,45 milliards. Cette transaction comprend 282,95 arpents de terres agricoles et résidentielles à Plaine-Magnien et Britannia, ainsi que 220,57 arpents de terres agricoles supplémentaires. Au total, la MIC détient désormais 503,52 arpents. Selon la MIC, un nouveau master plan est en cours d’élaboration afin de donner une nouvelle impulsion à ce projet.

Lalit avait déjà tiré la sonnette d’alarme

Derrière l’image moderne et séduisante du concept de Smart Cities se cache, selon Lalit, un projet aux contours inquiétants. Dès 2015, le mouvement politique, sous la plume d’Alain Ah Vee, dénonçait un plan qui, loin d’être un «miracle technologique» ou une «solution verte», cachait une opération de revalorisation foncière au bénéfice de quelques-uns, au détriment de l’intérêt collectif.

Lalit y voyait une reconversion des controversés projets IRS et RES – ces enclaves de luxe destinées aux étrangers – en un emballage plus «vendable». Sous couvert de développement technologique et durable, le gouvernement aurait, selon Lalit, engagé des milliards de fonds publics dans un secteur qui n’offre, au-delà de la phase de construction, que des emplois subalternes. Les grands bénéficiaires ? Les barons des terres sucrières et les milliardaires étrangers, à qui on offrait résidence et citoyenneté en prime.

Le projet, présenté comme un levier pour faire grimper artificiellement le revenu moyen du pays afin de lui faire atteindre le statut de pays à hauts revenus, prévoyait l’arrivée de quelque 150 000 nouveaux résidents fortunés – soit 15 % de la population actuelle. Une «recolonisation», dénonçait Lalit, qui risquait d’aggraver les inégalités et de fragiliser davantage les classes populaires.

Autre source de préoccupation : l’artificialisation des terres agricoles. Jusqu’à 7 000 arpents de terres riches, autrefois sous culture, seraient transformés en zones résidentielles et commerciales fermées. Pour Lalit, c’est une double perte : d’une part, la destruction du potentiel de souveraineté alimentaire, et d’autre part, la privatisation de la planification territoriale.

Car les Smart Cities ne sont pas que des projets immobiliers. Elles sont dotées de leur propre cadre légal, avec des entreprises privées – les Smart City Developers – qui contrôlent le développement urbain, l’énergie, l’eau, la gestion des déchets. Via les Investment Promotion Regulations 2015, l’État aurait transféré une partie de sa souveraineté à ces entités privées. Une forme de «mini-colonies», autonomes, déconnectées du reste du pays.

Lalit dénonçait aussi les généreuses exemptions fiscales accordées aux investisseurs étrangers : pas d’impôt sur le revenu pendant huit ans, pas de TVA sur les équipements, pas de taxe sur les transferts fonciers ni de taxe de morcellement. Tandis que les Mauriciens paient, d’autres construisent leur paradis fiscal. Dans ce modèle, l’avenir de l’aménagement du territoire ne serait plus entre les mains des autorités locales, mais bien des grandes entreprises issues du secteur sucrier. Lalit y voyait un danger majeur pour la démocratie. Avec ces «zones spéciales» gouvernées par des entités privées, l’État abandonne peu à peu son rôle régulateur. La population, elle, se retrouve exclue des décisions, de l’aménagement du territoire jusqu’à l’accès aux ressources.

Enfin, Lalit avertissait : ces enclaves de luxe, bardées de technologie, pourraient aggraver la fracture sociale. Un pays à deux vitesses, où les riches vivraient dans des villes intelligentes bien entretenues, pendant que le reste du territoire sombrerait dans l’abandon. Une évolution qui, selon le mouvement, ne peut que mener à une explosion sociale. Dix ans plus tard, alors que plusieurs Smart Cities ont vu le jour, les questions posées par Lalit résonnent avec toujours autant d’acuité.

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