Publicité
Les coupables passent aux aveux
Enquête défaillante: un meurtre qui en cache un autre
Par
Partager cet article
Les coupables passent aux aveux
Enquête défaillante: un meurtre qui en cache un autre
Nacir Buckreedun et Sandrine Rathbone,ont été arrêtés mardi pour le meurtre du couple Presram et Indira Sookur.
Les faits : Sandrine Rathbone, 30 ans, et Nacir Buckreedun, 27 ans et pratiquant d’arts martiaux, ont été arrêtés mardi pour le meurtre du couple Sookur. Et, coup de théâtre : ils ont tous deux par la même occasion avoué avoir tué Khatiba Goburdhun, une habitante de Cassis âgée de 57 ans. Pourtant, à la mort de cette quinquagénaire, son époux, Pascal Phonesavanh Chantapanye, de nationalité française, avait alerté la police, convaincu que Khatiba Goburdhun n’était pas morte de cause naturelle... Il avait fait une demande au commissaire de police (CP) pour obtenir le rapport d’autopsie et d’autres résultats d’examens en vue de réaliser une contre-autopsie. Cependant, la police, concluant à l’absence de crime, n’avait rien fait. Ce deuxième meurtre aurait-il pu être évité si les autorités avaient correctement agi dans le premier cas ?
Retour en arrière. Le corps de Khatiba Goburdhun avait été retrouvé au rez-de-chaussée de sa maison à Bain-des-Dames le 3 mars 2022. Pascal Phonesavanh Chantapanye, en vacances à Maurice à ce moment-là, vivait au premier étage. À l’époque, Sandrine Rathbone et Nacir Buckreedun étaient les locataires de Khatiba Goburdhun. Ils avaient alerté l’époux du décès de sa femme en lui racontant que la veille, son épouse s’était tellement enivrée qu’elle ne se contrôlait plus, et qu’ils avaient dû intervenir pour la conduire dans sa chambre où ils l’avaient laissée ensuite. Cette histoire avait rapidement éveillé les soupçons de Pascal Phonesavanh Chantapanye, qui savait que sa femme ne consommait pas d’alcool. En découvrant le corps de son épouse qui présentait une ecchymose sous l’œil, il avait conclu qu’il y avait anguille sous roche. Tout comme dans le cas de Presram Sookur, l’autopsie avait été réalisée par le Dr Shaila Jankee Parsad, qui avait attribué le décès à un œdème pulmonaire, supposé être de cause naturelle.
Pascal Phonesavanh Chantapanye, convaincu du contraire, avait déposé une plainte au poste de police de Baindes-Dames le 24 mars 2022, avec l’aide de Mes Saud Peerun et Shameer Hussenbocus. Cependant, la police avait refusé d’approfondir l’affaire, se focalisant sur la mort naturelle comme le stipulait le rapport d’autopsie. Dans une lettre adressée au CP, Pascal Phonesavanh Chantapanye avait exprimé son intention de demander l’autorisation d’un magistrat pour exhumer le corps de son épouse afin de procéder à une contre-autopsie qui aurait été pratiqué par le Dr Satish Boolell. Il avait également demandé que le rapport d’autopsie ainsi que les résultats des autres examens pratiqués par le Forensic Science Laboratory lui soient communiqués. Le 4 avril 2022, les avocats avaient envoyé une nouvelle correspondance au CP pour signaler que les documents demandés n’avaient pas été fournis, mais n’avaient reçu aucune réponse.
Pascal Phonesavanh Chantapanye maintenait que les détails troublants et les blessures inexpliquées avaient immédiatement éveillé des soupçons, suggérant un possible jeu trouble. Confrontés une fois de plus à l’indifférence de la police, le 4 octobre 2022, les avocats de Pascal Phonesavanh Chantapanye avaient adressé une nouvelle correspondance à la police. Malheureusement, malgré ces requêtes, la police avait choisi de ne pas approfondir l’enquête. Le rapport d’autopsie, crucial pour établir la vérité, leur avait été refusé, laissant planer le mystère. Entre-temps, Pascal Phonesavanh Chantapanye avait dû retourner en France, incapable de faire la lumière sur les circonstances du décès de son épouse. En suivant l’affaire du couple Sookur, il avait reconnu Sandrine Rathbone et Nacir Buckreedun comme ses anciens locataires.
Ce manque d’action a permis aux vrais coupables de rester dans l’ombre, libres de commettre un autre meurtre un an plus tard... Si l’enquête initiale avait été menée correctement, les responsables du premier meurtre auraient pu être identifiés et appréhendés, empêchant ainsi le deuxième crime d’avoir lieu. Le manque de suivi dans ce cas avait non seulement privé les proches de la première victime de justice, mais avait également coûté la vie à d’autres personnes.
******
Foul play : Autopsies vs enquêtes
La semaine dernière, le rapport de l’autopsie de Presram Sookur avait conclu que la cause de son décès ne pouvait être déterminée en raison de l’état avancé de décomposition du cadavre, qui selon la médecin légiste, remontait à au moins trois jours. Peu après, Nacir Buckreedun, suspect dans ce cas, a avoué le meurtre de Khatiba Goburdhun l’année dernière alors que l’autopsie avait conclu à une mort naturelle. Dès lors, plusieurs questions ont été posées. Dans le milieu des enquêteurs, on se demande pourquoi ces rapports comportent des inexactitudes pareilles. Mais dans le milieu médico-légal, l’on balaie d’un revers de main ces accusations, et explications en main, l’on affirme que dans plusieurs cas, les conclusions d’une autopsie prennent en considération les éléments de l’enquête.
Selon le rapport de l’autopsie de Presram Sookur, le décès de la victime remontait à trois jours environ. «Les suspects ont tué les victimes la veille de la découverte. Comment a-t-on pu arriver à des conclusions différentes pour l’époux et l’épouse alors que tous les deux sont morts le même jour ?» soutient d’ailleurs un enquêteur, ajoutant qu’un cadavre se décompose généralement après deux à trois jours, et plus rapidement encore s’il est exposé à l’eau. Ceux qui étaient sur place ont affirmé que Presram Sookur présentait des hématomes visibles sur le corps. Cependant, dans le milieu médicolégal, l’on avance que cette conclusion n’est pas erronée. Sur place, Presram Sookur était sur le lit, sous une couverture, tandis que son épouse, Indira, était au rez-de-chaussée sur le canapé. Le corps de Presram Sookur s’est décomposé plus rapidement car il était au chaud, et d’autres facteurs, comme les comorbidités, auraient pu accélérer la décomposition, rendant l’autopsie plus difficile. Quant à Indira Sookur, la thèse de l’étouffement était plus claire. De plus, d’autres éléments sur la scène ont corroboré la thèse criminelle.
Quelques jours plus tard, Nacir Buckreedun et Sandrine Rathbone, arrêtés pour le meurtre du couple Sookur, avouent celui de Khatiba Goburdhun en mars 2022. L’autopsie avait conclu à une mort naturelle malgré les hématomes présents sur le visage de la défunte. «En l’espace d’une semaine, nous avons vu deux cas. Si ces suspects n’avaient pas avoué, nous n’aurions pas su que les autopsies étaient mal réalisées. Ces cas présentent des négligences !» déclare l’un des enquêteurs, qui s’inquiète de ces lacunes. Mais encore une fois, les experts du domaine médico-légal avancent que pour une autopsie correcte, il n’y a pas que les analyses à prendre en considération. L’autopsie ne peut être concluante si les éléments de l’enquête ne pointent pas vers une intervention criminelle.
Visite des lieux
Lors de la découverte du corps de Khatiba Goburdun, le médecin légiste n’a pas été appelé sur les lieux. Par conséquent, elle n’a pas pu constater l’état de la scène. La police avait rapidement exclu l’intervention criminelle lorsque le corps a été transporté à la morgue en vue de l’autopsie. Malgré tout, une autopsie a été réalisée au lieu d’un examen post-mortem, d’autant plus qu’il était étrange que les locataires aient donné un bain à la dame avant de la coucher, ce qui avait suscité des interrogations lors de l’enquête. Alors que les enquêteurs maintiennent que le cadavre présentait des hématomes au visage, ceux évoluant dans le milieu médico-légal affirment le contraire. Le corps ne présentait aucune trace de blessures, à l’exception de petites abrasions au niveau de la bouche, insuffisantes pour conclure à un meurtre. De plus, l’un des suspects dans l’enquête sur le meurtre du couple Sookur aurait affirmé que Nacir Bukreedun «koné ki bann plas bizin apiyé» en tant que spécialiste des arts martiaux. Les analyses toxicologiques n’ont rien révélé non plus, d’où la conclusion d’un œdème, dont la cause peut être multiple. Dans ce cas, en l’absence d’autres éléments de la scène du crime, de blessures ou de fractures, qui indiqueraient directement un acte criminel, l’autopsie ne peut fournir de réponses, car le médecin ne sait pas s’il y avait, par exemple, des traces de lutte sur place.
En ce qui concerne le couple Sookur, c’est la visite sur les lieux qui a mis l’équipe, y compris le médecin légiste, sur la piste du foul play, avance-t-on. Dans le domaine médico-légal, on explique également qu’il existe des autopsies blanches, lorsque l’examen ne révèle aucune cause de décès, et dans ces cas, il est généralement conclu que la mort est naturelle, encore une fois en l’absence d’autres éléments de l’enquête.
Mais en raison des lacunes dans ces dossiers, un haut gradé explique que les suspects auront une chance de s’en sortir. Cependant, la police enverra le dossier au bureau du Directeur des poursuites publiques pour obtenir des conseils, et l’affaire sera ensuite portée devant la justice. C’est devant le tribunal que le médecin légiste ayant pratiqué l’autopsie devra expliquer comment elle est parvenue à ces conclusions.
Publicité
Les plus récents