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Relance de la croissance économique

Entre effort, mérite et solidarité : Quel contrat social pour demain ?

9 juin 2025, 16:00

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Entre effort, mérite et solidarité : Quel contrat social pour demain ?

■ L’aide sociale est-elle bien distribuée ?

Repenser le contrat social. Qui l’aurait pensé, ne serait-ce que pour interpeller Jean-Jacques Rousseau ? C’est une idée qui revient avec insistance, presque comme un aveu collectif que quelque chose ne tourne plus rond. Face à l’inflation, à la précarité, à la crise du logement, à l’âge de la retraite repoussé pour tous et à l’érosion du pouvoir d’achat, les inégalités se creusent, les frustrations s’accumulent. À Maurice, la cohésion sociale semble en suspens. Et dans ce climat, un mot revient : refonte.

Pour être didactique, il faut d’emblée comprendre la définition, la pertinence et l’enjeu du contrat social. Il s’agit d’un accord (souvent implicite) entre les citoyens et l’État. Les individus acceptent de respecter des règles, de payer des impôts, etc. et en échange, l’État, lui, garantit des droits, la sécurité, l’accès aux services (santé, éducation, justice…) et la protection de chacun. Mais que signifie, concrètement, refonder un contrat social ? Est-ce une utopie idéaliste ou une nécessité urgente ? Trois voix se croisent ici : celles d’un économiste, d’un syndicaliste et d’un chef d’entreprise. Leurs visions s’opposent parfois, mais tous s’accordent sur une chose : le modèle actuel est essoufflé. Et il faudra plus que des ajustements techniques et budgétaires pour réparer ce qui s’est rompu.

«Le contrat social ne fonctionne plus»

Narendranath Gopee, président du National Trade Union Congress, ne cache pas son exaspération. À ses yeux, le contrat social mauricien ne protège plus les plus vulnérables, particulièrement dans le secteur privé. «Komite disipliner inn vinn enn lamod dan sekter prive, sa inn kass sa kontra sosial-la. Anploye li depourvu, san soutien.» Il pointe du doigt une forme de brutalité systémique où l’employeur détient tous les leviers, laissant peu de place au dialogue. Pour lui, le cœur du problème est là : l’absence de reconnaissance de l’effort fourni. «Le travail n’est pas très bien reconnu, l’effort pas récompensé et c’est ça la plus grande injustice. Ena bann dimounn ki pe travay, me zot p viv zis o dela sey povrete.»

Il revient aussi sur la question des aides sociales, qu’il juge mal ciblées: «Led sosial li mal distribiye. Ena dimounn ki gagn Basic Retirement Pension (BRP) ki pe touss zis Rs 15 000. Se preske kouma viv dan lamizer.» Le contraste est encore plus choquant, selon lui, lorsqu’on la compare aux pensions de certains hauts cadres dans le public ou le privé : «Occupational pension pou enn patron kapav monte ziska Rs 400 000. Eski BRP pe fer enn diferans dan sa ka-la?»

Pour Narendranath Gopee, il est urgent d’instaurer un mécanisme clair qui définit qui sont ceux qui méritent une aide sociale et sur quels critères. Il alerte aussi sur les effets sociaux d’un contrat social rompu: pauvreté chronique, jeunesse désabusée, montée de la drogue. «Nou pa’nn bliye bann zenes. Se sistem ki finn fayir. Pena enn pasrel ant lekol ek travay. Gouvernman bizin revwar totalman so filosofi lor sa kontra sosial-la.»

«L’argent, c’est comme du fumier…»

C’est par cette citation d’Hemingway qu’un dirigeant d’entreprise résume sa vision du contrat social : «Si vous le laissez en tas, il pue. Il faut le répandre pour qu’il donne quelque chose.» Pour lui, cette image résume aussi l’enjeu: une économie au service du collectif, non pas une machine à concentrer les richesses. Selon lui, certaines subventions ont dévié de leur objectif initial. Il cite en exemple le gaz, censé aider à la cuisson, mais désormais utilisé pour faire rouler des voitures. Autre cas : l’eau, tellement bon marché. Il raconte l’histoire de cet homme qu’il connaît et qui a préféré laisser couler une fuite pour planter du cresson. Même le riz subventionné finit, selon lui, «dans la gamelle des animaux domestiques».

Il dénonce aussi la création d’une culture de dépendance vis-àvis de l’État. Il raconte l’anecdote d’une restauratrice qui n’arrivait pas à recruter : «Les gens préfèrent asiz anba ATM», dit cette dernière. Pour ce chef d’entreprise avec plusieurs années d’expérience, l’État devrait aider ceux qui veulent s’aider eux-mêmes afin d’éviter une mentalité de rente. «On a basculé dans un modèle où attendre une aide devient plus facile que travailler.» Il déplore ainsi une perte de la culture de l’effort, renforcée par une société de l’instantané. Aujourd’hui, certains jeunes préfèrent rester au chômage au lieu d’accepter un job «sous leur niveau». Il plaide aussi pour un équilibre dans les lois du travail : «On protège les travailleurs contre les mauvais patrons, mais qui protège les entreprises contre les mauvais employés ?», critiquant un système où licencier devient un parcours du combattant.

Tout en reconnaissant l’efficacité du secteur privé, motivé par le profit, il insiste sur le rôle essentiel de l’État comme régulateur, pour éviter les abus : «Quand on donne à tout le monde, même à ceux qui n’en ont pas besoin, on gaspille des ressources précieuses.» S’il reconnaît les failles du modèle actuel, il refuse d’adopter un discours fataliste. Le contrat social, insistet-il, reste un idéal à atteindre. C’est de là que naît «la fibre citoyenne», celle qui pousse chacun à avancer ensemble. Il met cependant en garde contre cette dérive inquiétante le parasitisme, où certains «refusent de travailler, mais attendent leur dû». L’argent facile devient un but en soi et l’effort perd de sa valeur.

Face aux inégalités croissantes, il appelle à «remettre en avant l’éthique du travail», tout en garantissant à chacun un accès réel aux opportunités. C’est à cette double condition, c’est-à-dire effort et équité, que le contrat social peut retrouver sa force. Car au fond, dit-il, «sans cette dualité la société durable ne peut exister».

Une refonte ou une réconciliation ?

Rebâtir un contrat social, c’est plus qu’un chantier économique. C’est une volonté collective de recréer du lien, de redonner du sens à la solidarité, à l’effort, à la justice. Cela demande du courage politique, une vision claire, mais aussi une écoute sincère des attentes sociales. À Maurice, le débat ne fait que commencer. Et il faudra plus qu’un slogan pour reconstruire ce qui, lentement, s’est effrité…

«On protège les travailleurs contre les mauvais patrons, mais qui protège les entreprises contre les mauvais employés ?»

N.M

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