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Salariés et entrepreneurs

Entre rêve et réalité

5 novembre 2024, 20:00

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Entre rêve et réalité

Tandis que certains voient un levier pour le pouvoir d’achat, d’autres redoutent les répercussions financières.

La proposition d’introduire un 14e mois de salaire, payable dès la fin de cette année, revient sur le devant de la scène. En effet, dimanche, lors d’un grand rassemblement à Phoenix, le Premier ministre sortant, Pravind Jugnauth, a annoncé qu’en cas de victoire de l’Alliance Lepep, le 11 novembre, cette mesure serait mise en place. Cette annonce suscite à la fois scepticisme et enthousiasme : certains doutent de sa faisabilité, tandis que d’autres voient déjà une avancée significative.

En novembre 2023, Xavier-Luc Duval, alors leader de l’opposition, avait proposé, lors d’une Private Notice Question, d’offrir un 14e mois aux salariés touchant moins de Rs 50 000 mensuellement. Le ministre du Travail, Soodesh Callichurn, n’avait pas écarté l’idée, mais avait souligné la nécessité de consulter toutes les parties prenantes avant de se prononcer. Un an plus tard, c’est le Premier ministre sortant qui relance la proposition et celle-ci n’est pas passée inaperçue.

Un responsable des ressources humaines confie que, face à cette possibilité évoquée depuis quelque temps, plusieurs directeurs des ressources humaines ont déjà prévu des provisions pour assurer ce paiement. «Ils attendent de connaître la formule qui sera adoptée pour concrétiser cette mesure.» Pour le paiement du 13e mois, la formule est bien définie : il s’agit des revenus de l’année, divisés par 12. «Nous attendons des précisions pour le 14e mois. S’agira-t-il de doubler le montant du 13e mois ou d’utiliser le salaire de base comme référence pour ce 14e mois ? Ce sont les différents scénarios que nous envisageons.» La grande question est de savoir si cette mesure aura un impact direct sur les salariés. Notre interlocuteur explique que, selon certaines rumeurs, ce serait la Mauritius Revenue Authority, qui pourrait prendre en charge les paiements pour les salaires jusqu’à Rs 50 000. «Si c’est le cas, cela n’affectera pas la trésorerie des entreprises, mais représentera une forte motivation pour les employés. Cela positionnerait également Maurice à un niveau élevé en termes de relations humaines et industrielles.»

Cependant, le responsable syndical des petits commerces ne partage pas cet avis. Pour Raj Appadu, président du Front commun des commerçants de l’île Maurice, il s’agit d’une manœuvre qui risque d’étouffer davantage les petits commerces. «Nous sommes déjà dans le rouge. On ressent un manque de protection de la part du gouvernement sortant alors que les grandes enseignes semblent s’en sortir beaucoup mieux.» Là où le bât blesse, c’est la dépréciation de la roupie. «Notre roupie est presque équivalente à celle de l’Inde et l’écart est encore plus grand avec la Chine. Aujourd’hui, les petits commerces n’emploient plus de personnel. Ils doivent se fournir localement, mais les grossistes offrent les mêmes prix aux détaillants et aux particuliers, ce qui pousse les Mauriciens à acheter directement auprès des grossistes.» La vente en ligne constitue également une source de perte de revenus. «Tout le monde devient marchand en ligne et beaucoup opèrent illégalement. Les clients achètent parfois des produits qu’ils ne reçoivent jamais…»

Compte tenu de tous ces éléments, Raj Appadu estime qu’il sera très difficile de verser un 14e mois aux employés. «En plus, on nous parle d’un financement sans intérêt pour les petites et moyennes entreprises (PME). Mais il serait nécessaire que des représentants bancaires viennent expliquer concrètement comment ce processus va se dérouler. On ne peut pas simplement accepter toutes sortes de promesses. Pour attribuer un 14e mois, ne faudrait-il pas que cela passe d’abord par le Conseil des ministres ? Ensuite, il y aurait un débat, puis le projet de loi devrait être adopté et publié dans la Gazette du gouvernement. Tout cela prend du temps et la population doit comprendre que tout ce qui est annoncé lors d’un rassemblement ne se concrétise pas nécessairement.»

Pour Stéphane Maurymoothoo, président du Regroupement artizan morisien, l’augmentation du revenu minimum garanti a déjà été un véritable coup de massue pour les commerçants. «Nous avons dû réduire nos marges pour préserver les emplois de ceux qui travaillent avec nous. Et ironie du sort, lors du dernier Budget, rien n’a été prévu pour encourager l’investissement des petits commerces et aujourd’hui, on nous parle de prêts sans intérêt.» Il souligne le fait que, étant enregistré et détenteur d’un Business Registration Number, il paie non seulement la Contribution sociale généralisée pour lui-même mais aussi pour ses employés. «Nous faisons des provisions pour le 13e mois, mais ce ne sera pas possible pour un 14e mois. Dois-je donc subir des pressions de la part de mes employés parce que je n’ai pas prévu un tel versement ?» Il reconnaît que cela représente un coût supplémentaire pour le pays et se demande comment les caisses seront renflouées. «Est-ce que cela impliquera une hausse des prix des carburants, une augmentation du coût de la vie ? Est-ce que cela signera la fin des PME ? Autant de questions qui suscitent de l’inquiétude pour l’avenir…»

D’ailleurs, tout porte à croire que ce 14e mois ne sera pas une mesure temporaire (one-off) et pourrait devenir obligatoire, au même titre que le 13e mois à Maurice. L’argent que le gouvernement sortant envisage de percevoir grâce à la «location» de la base mili- taire de Diego Garcia pourrait bien jouer un rôle important dans cette affaire…