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Kronik KC Ranzé
Époque épique
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Kronik KC Ranzé
Époque épique
Cela vous choque-t-il d’affirmer que nous vivons dans un monde et à une époque qui est particulièrement trouble et dangereuse ! Ce n’est pas que nous vivons ici, à Maurice, au paradis 2.0 ! Car nous avons, nous aussi, nos longs chapelets de défis et de souillures, qui s’égrènent malheureusement avec ferveur. Du népotisme puant, à la glissade de nos valeurs démocratiques, en passant par notre productivité molle, l’indiscipline, ou la corruption ; on boit souvent la tasse au point où l’on ne peut que constater la dégradation constante de notre ‘culture’ locale.
Cependant, nous ne sommes pas les seuls à avoir des problèmes et ailleurs c’est souvent bien pire ! Il faut constamment se le rappeler : il ne s’agit surtout pas de se focaliser négativement sur soi-même ou sur un pays particulier, mais on se doit de constamment saupoudrer de la perspective à ce que nous voyons. D’autant plus que si nous pouvons régulièrement penser que le règne du mal nous enveloppe et nous ravale, il y a aussi, épisodiquement, de quoi nous rassurer et nous conforter… un peu.
Si l’on peut s’enflammer pour ce qui se passe à Gaza avec ses menaces de famine, ses 35 000 morts et à côté, en Cisjordanie, ces saloperies qui, grâce à Netanyahu et ses acolytes, traitent systématiquement les Palestiniens comme des voisins à inférioriser, il ne faut pas, par ailleurs, oublier la honte des Haïtiens, par exemple, face à leurs derniers présidents en exercice et leur terreur à la perspective, à la place, du règne de gangs armés ! Ni oublier la guerre du Soudan qui depuis avril 2023 aura déplacé 6,3 millions de Soudanais en interne et 1,7 million d’autres vers des pays limitrophes. Ni la flétrissure abominable de Boko Haram sur le continent africain qui aura fait 373 000 morts jusqu’ici et qui, depuis le début de mars encore, fort d’une insoutenable suffisance militaro-divine, aura mené au kidnapping de centaines de femmes et d’enfants de plus à Borno et ailleurs.
Les 373 000 morts de Boko Haram, à l’échelle de notre population, ce serait 2 165 victimes ! Vous imaginez ça ici, au pays où l’on ferme les écoles et le service civil (et maintenant le secteur privé ?) pour prévenir des mortalités ‘possibles’ à la suite d’alertes de… fortes pluies ?
On se tue en Birmanie, en Ukraine, en Afghanistan, au Yémen. Les cartels de drogue sévissent et règlent leurs comptes au Mexique, en Albanie, au Brésil, à Anvers(*). Il y aura des présidentielles en Russie, mais les candidats sont soit disqualifiés, soit exilés, soit tout simplement tués(**). La BBC rapporte, de son côté, qu’afin de se donner un semblant de légitimité participative, en Ukraine occupée, les officiers électoraux visitent les électeurs individuellement, accompagnés d’urnes de vote et d’un soldat russe équipé d’un kalachnikov… Heureusement qu’ici, nous n’avons pas encore emprunté ce chemin-là !
La menace de guerre comprend aussi la menace de guerre nucléaire ces jours-ci avec un Poutine menaçant, un Kim Jong Un proprement nucléarisé qui balance, pied de nez infantile, des ICBM en mer du Japon et une Chine revigorée qui se militarise à vitesse grand V. Ce qui aide d’ailleurs à détruire les accords de dénucléarisation longtemps soutenus par les deux superpuissances qu’étaient la Russie et les États-Unis. À quoi servent en effet des accords bilatéraux quand on danse une valse-catastrophe… à plusieurs ?
Vers 1985, il y avait un peu plus que 60 000 têtes nucléaires armées sur la planète. Les premiers accords SALT, signés par Brezhnev et Nixon en 1972, menèrent plus tard, grâce, entre autres, aux réformes de Gorbatchev, à une réduction de cet arsenal terrifiant à moins de 10 000 ogives nucléaires. Malheureusement la course a repris. L’arme nucléaire est aujourd’hui évoquée pour un usage dans l’espace ou de manière agressive en Ukraine et, au-delà des neuf pays officiellement en possession de bombes atomiques ; d’autres, comme l’Allemagne, la Corée du Sud ou l’Arabie saoudite en parlent et y songent…
En quoi cela nous concerne-t-il ?
Principalement, parce que cette course aux armements de la terreur met en relief combien il est dérisoire de perdre son temps avec des débats et des bagarres sur des sujets futiles. À quoi cela sert-il, en effet, de se crêper le chignon sur la supériorité d’une religion sur une autre, ou sur la souveraineté nationale sur la Mer de Chine ou Tromelin ou sur l’apparente priorité de goûter aux plaisirs de la corruption, si, en l’espace de quelques explosions nucléaires, on peut être réduit à un petit tas de cendres radioactif ? Mais aussi, cyniquement, parce que nous sommes hors des circuits où les échanges nucléaires pourraient d’abord se passer et que nous aurons donc alors droit à quelques heures de vie de plus que les autres ! Une excellente raison pour stocker, à tout moment, un bon vin rouge et du fromage ? Au cas où ?
Parmi les menaces qui se préciseront, mais que nous ne saurions éviter ou contrôler, mentionnons les risques de pandémie incontrôlée, sauf confinements dévastateurs ; mais surtout la crise du climat qui est clairement globale et qui impactera toute la planète sans distinction aucune, même si les dégâts vont varier d’un pays a un autre. À cet effet, si l’Ouest a été le principal responsable des gaz à effet de serre du dernier siècle ; aujourd’hui c’est la Chine qui mène le bal avec plus du quart de toutes les émissions, même s’il faut reconnaître que l’Ouest a largement… soustraité sa pollution à la Chine dans le sillage de sa délocalisation industrielle forcenée ! Les efforts colossaux chinois pour réduire leur impact industriel sur le climat (véhicules électriques, énergie renouvelable) va malheureusement jusqu’ici main dans la main avec de la pollution grandissante. Pour illustrer cela, les politiques chinoise de «neutralité carbone» avant 2060 sont déjà jugées ‘hautement insuffisantes’(***). Au taux actuel, les hausses de température prévues seront à 4o C plutôt que 1.5 à la fin du siècle…
Et les migrations planétaires que combattent les pays mieux lotis face aux appétits des moins fortunés peuvent-elles être contenues ? Comment se réconcilier et pallier au vieillissement et à l’effondrement des populations ‘développées’, si on ferme les frontières aux populations jeunes d’ailleurs qui pourraient encore avoir l’envie d’apprendre, de travailler, de soigner ? Les chocs culturels invasifs sont-ils inévitables et donc porteurs de rupture et de confrontations ? Les pays riches vont-ils plutôt privilégier l’intelligence artificielle et se robotiser, y compris aux frontières ? On le saura bientôt ! Ce qui est probable c’est que des pays comme le nôtre pourraient autant bénéficier d’immigration favorable ajoutant de la valeur et cherchant une certaine douceur de vivre, que d’exodes débilitants de citoyens.
Je pars, finalement, de l’hypothèse que la démocratie est, de loin, le système politique préférable, parce que c’est LE système qui nous donne une voix. Qui donne une voix à tous ceux qui en ont une et qui veulent l’assumer. Ce n’est pas peu et ceux qui souhaitent, (c’est sidérant de le dire !), l’avènement démocratique d‘hommes forts’ comme Orban, Erdogan, Duterte ou Trump, feraient bien de soupeser les délices très particuliers d’une théocratie protégée par le divin, comme en Iran, d’une autocratie pure et dure style chinois ou russe ou nicaraguayen ou d’une royauté inébranlable protégée par des lois de lèse-majesté, comme en Thaïlande. Les menaces sur la démocratie sont aujourd’hui fréquentes et gagnent du terrain, comme nous le rappelle les suédois de V-Dem ! De grandes démocraties glissent et, parfois, chancellent. La plus grande de toutes, l’Inde, multiplie les incartades et les dérives, centralisant les pouvoirs, réduisant l’espace d’expression démocratique, handicapant les institutions indépendantes qui sont supposées restreindre et contrebalancer l’hégémonie de l’exécutif au pouvoir, menaçant et pénalisant les minorités. Aux États-Unis, Trump a été explicite. Il veut être dictateur pour… un jour seulement et, avec un mandat électoral, ce sera évidemment suffisant pour s’installer en autocrate… durablement ! Heureusement que nos hommes forts à nous ne sont pas de la même catégorie… même s’ils le souhaiteraient peut-être bien !
Trop catastrophique tout ça, pour un dimanche matin serein ? Pour sûr !
N’empêche que l’époque EST épique et dangereuse et que nous ne semblons pas beaucoup nous en soucier. C’est trop demander ? Or, si nous nous lavons tous les mains de ces défis, n’abdiquons-nous pas notre part de responsabilité dans ce que pourrait être l’orientation du monde ? Haut les cœurs ! Au-delà d’être une simple pièce de l’engrenage massif de consommation folle qu’est devenu le monde, il faut s’engager ! Il faut s’embarquer dans du plus valable que soi !
(*) Le Point l Quand la cocaïne sud-américaine et la violence des cartels déferlent sur l'Europe
(**) Washington Post l Why does Putin always win? What to know about Russia’s pseudo election.
(***) The Economist l Is China a climate saint or villain?
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