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Finance Bill 2025 : Un tournant de rigueur stratégique
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Éclairage
Finance Bill 2025 : Un tournant de rigueur stratégique

Sous ses allures techniques, le Finance Bill 2025 demeure un exercice profondément économique et politique. Derrière le langage feutré des amendements législatifs, ce texte en dit long sur beaucoup des dilemmes d’un gouvernement en quête de réassurance budgétaire, de crédibilité institutionnelle et de souffle économique.
À y regarder de près, ce projet de loi de plus de 330 pages, modifiant plus de 60 textes législatifs, ne se contente pas d’ajuster des taxes ou de clarifier des exemptions. Il tente de corriger certaines dérives passées, d’anticiper des bombes à retardement et de panser des fissures de confiance – tant internes qu’externes. Mais la question centrale demeure : ce texte marque-t-il un véritable tournant stratégique, ou s’agit-il d’un exercice cosmétique destiné à rassurer les bailleurs de fonds, les agences de notation et les économistes critiques ?
Les attentes étaient grandes, surtout du côté des futurs bénéficiaires de la pension universelle, après la réforme annoncée dans le premier budget de l’Alliance du changement. Jugée nécessaire par des économistes indépendants pour éviter une dégradation de la note souveraine, cette réforme a soulevé l’ire des syndicats. Le gouvernement n’a cependant pas totalement cédé à la pression populaire : seuls ceux atteignant l’âge de 60 ans dans les cinq prochaines années recevront un Income Support de Rs 10 000, ce qui reste limité.
Du côté des entreprises financièrement solides ou des contribuables aisés, certains observateurs s’attendaient à une Fair Share Contribution, selon le communiqué du Conseil des ministres du 4 juillet. Mais cette option a été écartée. Le Premier ministre et ministre des Finances redoute probablement que cette contribution ciblée soit perçue comme une injustice par une partie de l’électorat, qui n’aura pas vu son pouvoir d’achat s’améliorer.
Entreprises : Plus de fiscalité, plus de conformité
Plus généralement, le Finance Bill apporte de grands changements pour les entreprises mauriciennes. Il modifie les règles fiscales, introduit de nouvelles obligations administratives et revoit plusieurs mesures sectorielles. Si l’objectif du gouvernement est d’élargir l’assiette fiscale et de renforcer la transparence, les opérateurs économiques devront s’adapter à un environnement plus exigeant.
La mesure phare du Finance Bill est l’introduction d’un impôt minimum effectif de 10 % sur les bénéfices comptables ajustés. Ce dispositif cible les secteurs très rentables – hôtellerie, assurances, banques, immobilier, télécommunications – qui profitaient jusqu’ici de nombreuses déductions fiscales. Désormais, même en cas de faible impôt dû, ces entreprises devront s’acquitter d’un minimum, limitant l’usage des tax holidays et autres incitations.
Autre nouveauté : les entreprises au chiffre d’affaires supérieur à Rs 100 millions verront plusieurs déductions fiscales plafonnées, notamment celles liées à l’investissement, à l’exportation ou à la manufacture.
Dans une logique de transparence, les groupes devront désormais tenir une documentation complète des prix de transfert et déclarer les bénéficiaires effectifs. Par ailleurs, seules les personnes accréditées pourront désormais préparer et soumettre les déclarations fiscales, ce qui renforce la rigueur, mais augmente aussi les coûts de conformité, en particulier pour les PME.
Si le Finance Bill permet aux banques de bénéficier de plus de flexibilité pour proposer des produits liés aux métaux précieux, elles devront en contrepartie verser une contribution fiscale supplémentaire, portant leur charge globale jusqu’à 35 % dans certains cas. L’équilibre entre innovation financière et pression fiscale est encore fragile.
Une nouvelle classification des contracteurs est introduite, tandis que les droits de transfert foncier sont relevés pour les étrangers. Quant aux projets Smart Cities, la voix de leurs opérateurs n’a pas été entendue. Ils y voient leurs avantages fiscaux se réduire, même si certains gains (clause de grandfathering) restent préservés.
Les frais de douane sont par ailleurs doublés pour certaines importations, signe d’un recentrage sur la production locale. Les délais pour les évaluations fiscales sont raccourcis et les obligations en cas d’objection deviennent plus strictes. Cela témoigne d’une volonté de resserrer la gouvernance administrative.
Un nouveau tourist fee de 3 euros€ par nuit sera perçu via les établissements d’hébergement. Cette taxe, bien que modeste, pourrait, selon des spécialistes, affecter la compétitivité à moyen terme. En revanche, les licences touristiques auront désormais une validité de trois ans au lieu d’un an, réduisant la charge administrative.
Dans le numérique, les fournisseurs étrangers de services tels que Netflix, Zoom, etc., devront s’enregistrer à la TVA dès leur première transaction à Maurice, même sans présence physique. C’est une mesure d’équité fiscale. De leur côté, les PME locales bénéficieront d’une déduction allant jusqu’à Rs 150 000 pour leurs investissements en intelligence artificielle.
Les permis de travail et de résidence sont fusionnés en un document unique, accessible via une plateforme électronique. Ce nouveau système vise à fluidifier les procédures, réduire les délais et renforcer la transparence. Par ailleurs, les très petites entreprises , ayant un chiffre d’affaires de Rs 6 millions ou moins, seront exemptées de la PAYE et les pénalités pour erreurs sur les salaires sont réduites de moitié, ce qui leur apporte un peu d’oxygène.
Peut-être le changement structurel le plus significatif est la réforme de la Public Debt Management Act. Désormais, un plafond légal de dette est instauré, soit 75 % du PIB en 2030 et 60 % en 2035. Il s’agit clairement d’un signal fort envoyé aux marchés. Toutefois, sans mécanisme de sanction en cas de dépassement sans transparence accrue sur les engagements hors bilan (comme ceux de la MIC ou des SPV), cette réforme pourrait rester symbolique. Le risque d’une «règle d’or» illusoire existe. La crédibilité viendra d’une discipline politique réelle, même en période pré-électorale.
Le Finance Bill 2025 impose certes des efforts supplémentaires aux entreprises, en particulier en matière de fiscalité et de conformité. Si certaines mesures visent plus d’équité et de transparence, d’autres risquent de compliquer la gestion quotidienne, surtout pour les entreprises vulnérables ou fortement capitalistiques. Pour le secteur privé, ce texte marque un tournant. Il faudra s’adapter, se réorganiser et, dans certains cas, revoir ses projets d’investissement.
Ce texte peut être un tournant, à condition d’être suivi par une exécution rigoureuse, cohérente et équitable. La réforme structurelle exige du courage politique, pas seulement des chiffres sur papier.
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