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Fitch, Moody’s et S & P : Face au Big 3 mondial, l’Afrique veut noter autrement…
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Fitch, Moody’s et S & P : Face au Big 3 mondial, l’Afrique veut noter autrement…

Face aux critiques croissantes sur le traitement réservé aux économies africaines par les grandes agences de notation, l’Union africaine (UA) prépare sa riposte avec une agence continentale. Mais une notation plus équitable suppose aussi une gouvernance plus rigoureuse. Décryptage d’un débat où souveraineté et discipline doivent aller de pair.
Le débat sur la légitimité des grandes agences de notation dans l’évaluation des économies africaines ressurgit à chaque forum international sur le financement du développement. Cela a été encore le cas lors des 32ᵉ assemblées annuelles d’Afreximbank à Abuja, au Nigeria. En cause : les Big Three – Fitch Ratings, Moody’s et S&P Global Ratings – sont souvent accusées d’avoir une lecture biaisée des réalités africaines, nourrie par des stéréotypes ou des réflexes post-coloniaux. Des chefs d’État du continent, tout comme des économistes de renom comme Jeffrey Sachs, contestent ce cadre d’analyse. Ils rejettent notamment le principe du sovereign ceiling, selon lequel aucune entité domestique ne peut obtenir une meilleure note que celle de son État.
Le projet d’une agence africaine de notation, porté par l’UA et attendu dans les mois à venir, répond à la volonté de rééquilibrer une architecture financière mondiale jugée défavorable. Mais au-delà de cette initiative politique, il faut comprendre les critères réels qui déterminent une notation souveraine. Et surtout, se demander comment les pays africains peuvent améliorer leur note tout en affirmant leur souveraineté économique.
Dans une récente interview accordée à Jeune Afrique, Guy Deslondes, directeur général de S&P Global Ratings pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique, a livré un éclairage précieux. À la tête d’une équipe de 250 analystes notant plus de 1 500 entités dans 85 pays, il rappelle une chose essentielle : la notation souveraine ne juge pas un continent, mais la qualité de la gouvernance de chaque pays. Contrairement à une idée répandue, une bonne note ne récompense pas nécessairement la performance économique brute. Elle ne repose ni sur la taille du PIB, ni sur la croissance à court terme, ni sur l’abondance de ressources naturelles. Ce qui pèse réellement, ce sont les fondations : cadre institutionnel, stabilité réglementaire, capacité à générer des revenus durables et surtout, gouvernance.
Les agences privilégient ainsi le PIB par habitant, jugé plus pertinent pour évaluer la soutenabilité du développement. Une croissance dopée par des hausses ponctuelles des prix du pétrole ou des matières premières, fréquentes en Afrique, est perçue comme fragile. La qualité l’emporte ainsi sur la quantité. En cas de défaut de paiement par un État souverain, explique Guy Deslondes, le problème tient rarement au manque de croissance. Il résulte plutôt d’une gouvernance instable, peu prévisible ou opaque. Ce que recherchent les agences, c’est une croissance régulière, ancrée dans plusieurs secteurs, soutenue par des investissements publics et privés, et encadrée par des institutions solides.
C’est pourquoi certains pays comme le Botswana, le Maroc, la Côte d’Ivoire ou encore le Bénin sont cités en exemple. Non pour leurs taux de croissance spectaculaire, mais pour la qualité de cette croissance : mieux répartie, mieux pilotée et fondée sur des institutions crédibles.
Cette reconnaissance se traduit par un meilleur accès aux marchés financiers et donc, par des taux d’intérêt plus bas. C’est cette logique que cherchent à réformer les promoteurs d’une agence africaine, en réduisant la fameuse «prime de risque africaine» – ce surcoût que doivent supporter les États du continent pour emprunter, souvent jugé exagéré.
Mais pour obtenir une notation favorable, encore fautil inspirer confiance. Cela passe par la qualité des données économiques fournies, leur régularité, leur transparence et la fiabilité des interlocuteurs institutionnels. En l’absence de données précises ou de canaux de communication clairs, la note en pâtit.
Il ne suffit donc pas d’avoir de bons indicateurs macroéconomiques. Il faut aussi une administration crédible, proactive et ouverte à l’évaluation. Sur ce plan, certains pays africains – comme la Côte d’Ivoire ou le Bénin – ont enregistré de nets progrès. D’autres restent freinés par un manque de coordination ou par une culture de l’opacité.
Critères occidentaux de gouvernance
Les critiques formulées contre les agences de notation pointent régulièrement une certaine subjectivité. Elles leur reprochent d’imposer des critères occidentaux de gouvernance ou d’ignorer les spécificités sociopolitiques africaines. Mais à en croire Guy Deslondes, la notation est surtout un miroir : les pays qui maîtrisent leurs fondamentaux sont récompensés. L’Afrique ne souffre pas tant d’un préjugé systémique que d’un déficit de rigueur dans la gestion publique et dans la communication économique. Une agence africaine, pour être crédible, devra aussi intégrer cette exigence.
Créer une alternative locale avec une agence de notation entièrement africaine ne suffira donc pas à effacer les vulnérabilités structurelles. Le vrai enjeu ne se joue pas dans les agences, mais dans les couloirs de l’administration : élaboration de politiques budgétaires solides, discipline fiscale, indépendance des institutions statistiques, transparence des comptes publics.
Dans ce paysage contrasté, le cas de Maurice mérite un éclairage particulier. Le pays est souvent salué pour la solidité de ses institutions, sa stabilité macroéconomique et sa gouvernance relativement efficace. Pourtant, la hausse de la dette publique, les tensions budgétaires persistantes et les controverses politiques récentes peuvent remettre en cause ces acquis. La menace d’une dégradation de la note Baa3, avec une perspective négative par Moody’s, plane sur le pays. Cette révision est attendue dans les 12 à 18 mois. Elle pèsera lourd sur la marge de manœuvre du nouveau gouvernement dans l’application de son programme budgétaire.
Il faut reconnaître que certains éléments objectifs peuvent justifier l’attention accrue de l’agence américaine. L’héritage économique du précédent gouvernement, combiné à la contestation de la fiabilité de données-clés – comme le PIB, la croissance ou les ratios de dette – par l’ancien ministre des Finances, alimente le scepticisme.
Certes, on ne peut ignorer totalement le prisme de lecture occidental qui continue de dominer ces institutions. La perception d’un certain biais reste vivace, notamment dans les cercles africains. Le débat devient d’autant plus sensible dans le contexte actuel, où la réforme des retraites, annoncée dans le Budget 2025-2026, provoque une forte opposition des syndicats et d’une partie de la population. Cette réforme vise à répondre aux attentes des institutions internationales en matière de rigueur budgétaire.
Dans cette situation, un peu de lucidité s’impose. Il faut dépasser les réactions passionnelles ou émotionnelles pour aborder la question avec méthode et rationalité.
Pour préserver une notation favorable, Maurice devra redoubler d’efforts en matière de gestion des finances publiques, de transparence institutionnelle et de résilience économique, surtout dans un environnement mondial de plus en plus concurrentiel et incertain.
Au-delà, l’Afrique doit redéfinir les règles du jeu financier mondial. Mais cela ne dispense pas les États de faire leur part. La notation, diront les économistes, n’est pas une sanction : c’est une lecture technique de la gouvernance. Et cette gouvernance, elle se construit de l’intérieur.
La future agence africaine de notation pourra jouer un rôle utile si elle évite les logiques d’autosatisfaction. Car pour sortir de la dépendance, il faut d’abord faire preuve de discipline. La souveraineté financière commence par la crédibilité.
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