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Rodrigues
Franceau Grandcourt: D’aubergiste à chef commissaire
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Franceau Grandcourt: D’aubergiste à chef commissaire
L’alliance majoritaire lors de la prestation de serment.
Le nouveau chef commissaire de Rodrigues, Franceau Grandcourt, a prêté serment le mercredi 6 mars à La Ferme, son village natal, devant le président de la République, Pradeep Roopun. Le 12 mars, il a été décoré. Vendredi, il a présenté son premier Budget. Qui est le nouvel homme fort de celle que l’on surnomme la «Cendrillon des Mascareignes» ?
Franceau Grandcourt est né le 20 septembre 1976 à Montagne Croupier, à quelques kilomètres du village de La Ferme, d’extraction modeste, comme beaucoup de Rodriguais, d’un père charpentier et d’une mère au foyer d’une fratrie de cinq dont il est le seul garçon, avantdernier de surcroît. La famille ne crevait pas de faim ; mais les temps étaient durs. L’école était loin surtout pour le petit Franceau qui fut envoyé à La Ferme pour pouvoir en quelques minutes atteindre la St.-Esprit RCA de la région pour ses études primaires. Son enfance se passe sans encombre. Il se souvient encore de comment sa grand-mère le réveillait aux aurores – une coutume à Rodrigues – pour faire le tour de la cour afin de ramasser les nombreux «dizef kanar» pour les repas….
Nouveau sacerdoce
En ce mois de septembre 1976, un autre Rodriguais aussi se réveille très tôt. Il a pour nom Serge Clair. Il avait délaissé sa soutane de prêtre pour embrasser un autre sacerdoce : celui de la politique. Histoire de faire sienne cette pensée de Jean Paul II à l’effet que c’est la plus haute forme de charité. Serge Clair est revenu en catastrophe de l’Australie justement pour respecter le délai de présence sur le territoire afin d’être éligible pour la consultation du 20 décembre 1976.
Quand Serge Clair, après avoir créé l’Organisation du peuple rodriguais (OPR), se casse le nez lors de ses législatives au profit de deux éléments du PMSD, Franceau Grandcourt est encore dans ses langes ; il a trois mois seulement. C’est dire qu’il n’est pas de la génération OPR. Après le primaire, il termine ses études secondaires au Rodrigues College et devient enseignant au collège Le Maréchal à 19 ans et se lie d’amitié avec d’autres collègues à l’instar d’Alex Nancy et Johnson Roussety. C’est ainsi qu’il commence à s’intéresser à la politique. En 2002, c’est tout naturellement qu’il se joint au Mouvement rodriguais de Nicolas Von Mally/Johnson Roussety et commence à labourer le terrain électoral à La Ferme. Pour ses déplacements, il chevauche son scooter, une Suzuki TS 125 bleue, d’une valeur de Rs 60 000, achetée de Mme Ruby Wong You Cheong, plus connue comme «Mme Vespa», figure féministe emblématique de Rodrigues, décédée tout récemment à l’âge de 88 ans.
Le Muvman rodriguais (MR) ne pouvait trouver meilleur agent. Franceau Grandcourt jouit non seulement d’un solide et profond ancrage à La Ferme par rapport à sa famille, mais bénéficie aussi de la sollicitude de l’opinion de la région qui le considère comme le fils spirituel du Révérend Père Alleaume, devenu au fil des années son mentor ; car le jeune Grandcourt ne rate pas sa messe dominicale et participe aux activités de l’église de La Ferme.
L’heure de vérité
Le 12 octobre 2002, c’est l’heure de vérité pour Rodrigues. Depuis 1982, Serge Clair s’est installé à la tête du pouvoir durant de nombreuses années. L’OPR a mené une véritable croisade pour l’autonomie, bénéficiant d’un double soutien à Maurice, celui de sir Anerood Jugnauth et de Paul Bérenger. Pour Serge Clair, c’est en quelque sorte l’aboutissement de tout un combat. Le projet de loi pour l’installation de l’autonomie a été voté et ne manquait que le sceau populaire. Aussi, personne ne fut surpris d’apprendre que le leader de l’OPR ait pris la décision, pour mener sa troupe au combat, de choisir la région no 1 – La Ferme – réputée la plus difficile pour le parti. Un peu contre l’avis de ses proches qui ne voulaient pas qu’il rate son rendez-vous avec l’Histoire. Et aussi pour faire comme son rival direct Franceau Grandcourt qui a privilégié la party list. A-t-il péché par orgueil devant l’admiration exprimée pour son audace ? Bien des années plus tard, il m’a confié, sans aucune amertume, avec le rire gras qui est le sien, que c’était son devoir.
Bien que la campagne s’annonce dure, l’issue de la bataille ne faisait aucun doute. L’OPR ne pouvait perdre cette joute. Quand les résultats tombent, c’est la grosse douche froide. L’OPR l’emporte certes comme prévu. Mais le prix à payer est énorme. Serge Clair tombe sur le champ d’honneur. Comme Moïse, la Terre Promise lui sera interdite. Du moins pour l’instant. Son tombeur n’est autre que Franceau Grandcourt sur la party list. Il vient de fêter ses 26 ans. «Li finn touy toro», chantet-on dans les rues de La Ferme car Serge Clair avait été ainsi surnommé par ses partisans. C’est le cadeau d’anniversaire que s’offre Franceau Grandcourt. Mais aussi une formidable rampe de lancement pour sa carrière politique.
Toutefois, comme pour rétablir une certaine justice historique, Serge Clair profitera de la démission d’un élément de l’OPR, Jean Daniel Spéville, et d’une élection partielle à St.-Gabriel cette fois, pour retrouver le siège qui fut le sien ; mais désormais à la tête d’une île Rodrigues autonome. L’OPR allait régner sans partage, souvent avec une forme d’autoritarisme. En revanche, c’est l’opposition MR de Nicolas Von Mallay, qui est secouée et qui est drossée sur les récifs en février 2020 avec une scission provoquée par Franceau Grandcourt et quatre autres élus verts : Nicolas Volbert, Rosaire Perrine, Marie Thérèse Agathe et Zepth Félicité. C’est tout naturellement que Franceau Grandcourt devient alors le minority leader. Le temps de faire ses armes. Pour les prochaines échéances.
Les élections de 2022 relèvent d’un scénario presque surréaliste en termes d’alliances. L’éparpillement des oppositions, annonçant une lutte à trois voire à quatre, ouvre un boulevard pour l’OPR qui célèbre déjà la victoire en affichant les ambitions des uns et des autres. C’est in extremis que ces forces oppositionnelles disparates et fragmentées, à savoir l’UPR, le MR, le MMR, le FPR et le PMSD, parviennent à se fédérer après le nomination day et à la faveur de la proportionnelle pour arracher à l’OPR, K.-O debout, une fragile et surprenante victoire de neuf députés contre huit. Ce qui permet à Franceau Grandcourt d’accéder au poste suprême en 2024 à la faveur d’un arrangement à l’israélienne avec Johnson Roussety, qui prend en premier le poste de chef commissaire.
Depuis, toutes les planètes se sont alignées pour Franceau Grandcourt. Après avoir occupé tous les postes au sein de l’Assemblée – sauf la présidence – il a prêté serment le 6 mars dernier comme chef commissaire ; le 12 mars, il a présidé les activités du 56e anniversaire de l’Indépendance et du 32e anniversaire de la République, au Stade de Grande-Montagne, avec à son revers sa nouvelle médaille de Grand Officer of the Order of the Star and Key of the Indian Ocean – GOSK pour faire simple. Et le 19 mars, c’est entre le Premier ministre, Pravind Jugnauth et le vice-président Eddy Boissézon, en première rangée, qu’il assiste à l’installation de Michel Moura comme évêque de Rodrigues à la cathédrale St.- Gabriel. Et vendredi à 15 heures, il a présenté son premier Budget à l’Assemblée régionale de Rodrigues. Des événements qui le propulsent sous les projecteurs. Il prend tellement de lumière qu’il chausse régulièrement des lunettes noires !
Premières secousses
Pour les observateurs politiques, il n’est pas étonnant que les premières secousses au sein de la fragile majorité viennent du chef commissaire adjoint et du leader du Front patriotique rodriguais écologique – Johnson Roussety – au motif que ses consignes, avant son départ, pour la distribution des cartes de pêcheurs n’avaient pas été suivies et qu’il avait été traité avec désinvolture parce qu’il n’avait pas été informé par le chef commissaire qu’il n’aurait pas la gestion des commissions des Infrastructures, du Logement et de l’Environnement. Comme Johnson Roussety bénéficie du soutien de Christiane Agathe (commission des Femmes), il y a des risques que le Budget ne soit pas voté ; que Franceau Grandcourt se retrouve ainsi en minorité et donc totalement vulnérable pour affronter une motion de blâme de la minorité OPR. Reste à savoir si Johnson Roussety est capable d’aller jusqu’au bout de sa logique : déstabiliser la majorité, provoquer la chute de ce gouvernement et des élections anticipées avec à la clé sa disparition de la scène politique. Il peut traîner la réputation d’être un éléphant dans un magasin de porcelaine, excessif dans son langage et provocateur ; mais on ne lui prête pas pour autant des instincts suicidaires. Une telle tentative le contraindrait à un autre départ, cette fois définitif, pour l’Australie.
C’est ainsi que depuis la menace de son adjoint de briller par son absence pour le discours du Budget et de son intention de ne pas le voter, Franceau Grandcourt donne le sentiment que cela ne risque pas de secouer la majorité, car dit-on dans les milieux de l’Union du peuple de Rodrigues, Johnson Roussety ne peut se permettre ce luxe, «car il aura tout à perdre». Tout au moins, «il pourra de temps en temps faire du chantage pour obtenir quelques miettes afin de satisfaire son ego», nous dit un observateur politique de Rodrigues. Ce en quoi, il n’a pas totalement tort, car malgré ses menaces de boycott, c’est la queue entre les jambes que le chef commissaire adjoint s’est rendu à l’Assemblée régionale vendredi. Ce scénario ne manquera pas de se répéter car une majorité fragile est constamment menacée. Déjà en décembre 2022, une motion de blâme contre le président de l’Assemblée, avec les mêmes mathématiques, n’a pas mis en péril la majorité.
Tous ceux qui le côtoient depuis de nombreuses années s’accordent à dire que Franceau Grandcourt rappelle, à bien des égards, son adversaire direct, Serge Clair, pour lequel il a un profond respect ; et il n’hésite pas à le dire publiquement. Sa vie privée est un long fleuve tranquille aux côtés de Crystelle (née Ong Tone), originaire de Mangue. Une femme qui en impose de par son élégance, sa taille et sa personnalité et qu’il a connue alors qu’elle était enseignante et qu’il a épousée en 1999. Crystelle Grandcourt se précipite sur les routes à 7 heures tous les matins pour se rendre à l’administration où elle est acting departmental head. Ils se partagent la gestion du Domaine de la Paix, un complexe d’une dizaine de bungalows sur les hauteurs de Terre-Rouge, avec une vue imprenable sur Grand-Baie et Baladirou d’une part et d’une verdoyante vallée d’autre part. Un véritable havre de paix où il se réfugie contre le bruit et la fureur de la politique.
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