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G20 : le coup de maître de Modi
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G20 : le coup de maître de Modi
Sans doute, l’Inde a réussi son pari au terme du 18e sommet du G20 au Bharat Mandapam Exhition Centre, à New Delhi, le week-end dernier. Cela s’est accompli malgré l’absence médiatisée de Xi Jinping et de Vladimir Poutine. Ce qui aurait pu potentiellement diminuer l’attrait et le rayonnement de cette grand-messe annuelle des puissants du monde, qui représentent à eux seuls 80 % du PIB mondial, 75 % du commerce international et 80 % de la population planétaire.
Or, la diplomatie indienne, exécutée habilement par Narendra Modi, qualifiée d’ailleurs de «Modidiplomatie», a permis d’arracher un consensus autour d’un texte, discutable pour certains, ne condamnant pas frontalement l’agression de la Russie à la grande déception de l’Ukraine et se contentant de rappeler vaguement les souhaits des chefs d’État d’agir ensemble «face aux répercussions négatives de la guerre sur l’économie mondiale». Et d’accueillir favorablement toute initiative pertinente et constructive en faveur d’une paix globale, juste et durable en Ukraine, qui respecte pleinement les buts et principes de la Charte des Nations unies afin de promouvoir des relations pacifiques, amicales et de bon voisinage entre les nations selon la devise «une seule planète, une seule famille, un même avenir».
Toutefois, rappeler la guerre en Ukraine sans mentionner le nom de la Russie de Poutine ou encore sans le condamner directement relève d’un exercice d’équilibriste dont seul le Sherpa indien du G20, Amitabh Kant, connaît le secret, ayant pu coucher ce texte dans la Déclaration de New Delhi avec, probablement, la complicité du Premier ministre indien et de son ministre des Affaires étrangères, S. Jaishankar, fin diplomate. Et, du coup, certains spécialistes s’interrogent sur cette prise de position des leaders mondiaux, allant jusqu’à qualifier ce sommet de «complaisance» à l’égard de la Russie de Poutine.
Pour autant, ce sommet de New Delhi marque certains points à mettre sur le compte de Modi, qui semble en être sorti grandi, s’imposant aujourd’hui comme le leader affirmé du Sud Global, un ensemble de pays en développement et émergents s’étendant de l’Asie à l’Afrique en passant par l’Amérique latine. En outre, l’intégration de l’Union africaine (UA) au sein du G20 constitue un signal fort pour l’Afrique et représente une victoire diplomatique pour le Premier ministre indien, qui s’est efforcé de faire accepter ce nouveau groupe de pays aux dirigeants de ce club des plus grandes économies mondiales. Basée à Addis-Abeba, la capitale de l’Éthiopie, l’UA compte 55 membres, totalisant un PIB de trois mille milliards de dollars. Jusqu’à présent, ce continent n’était représenté au G20 que par un seul État, l’Afrique du Sud du président Cyril Ramaphosa. Cependant, à l’approche du prochain sommet prévu en novembre 2024 au Brésil, qui a pris le relais de l’Inde dimanche dernier, la question se pose de savoir si l’Afrique sera en mesure de constituer une véritable force politique et de parler d’une seule voix.
Vijay Makhan, ancien secrétaire aux Affaires étrangères et ancien commissaire de l’UA, s’interroge sur la position de ce bloc au sein du G20. «Bien que nous devions nous réjouir de la présence du continent africain au sein de ce groupe, il est légitime de se demander quelle marge de manœuvre il aura, compte tenu de la spécificité de chaque État, de son niveau de développement et de l’instabilité politique qui y règne, avec de fréquents coups d’État dans cette partie du monde. Il y en a eu deux récemment, au Gabon et au Niger, et auparavant, au Mali et au Burkina Faso. Il est probable qu’il y en aura d’autres à l’avenir. Estce cette image de l’Afrique que nous allons présenter au Brésil l’année prochaine ?» s’interroge l’ancien diplomate de carrière. Il se demande si ce continent ne risque pas finalement de se retrouver en simple figurant au sein de cette instance. Il estime que l’Afrique, avec ses 1,3 milliard d’habitants, serait mieux représentée au sein du G20 si ses États étaient davantage «empowered» après avoir suivi un processus démocratique.
Sous le thème «Vasudhaiva Kutumbakam», traduit comme «Une seule planète, une seule famille, un même avenir», le sommet de New Delhi a abordé les grands enjeux sociétaux et économiques susceptibles d’accélérer la croissance afin de la rendre plus «forte, durable, équilibrée et solidaire». Cela est d’autant plus important, ont noté les dirigeants mondiaux du G20, étant donné que la croissance mondiale et la stabilité continuent de faire face à des vents contraires. Leur constat : des difficultés et des crises successives qui compromettent sérieusement les progrès réalisés dans la réalisation du Programme de développement durable à l’horizon 2030 ; une augmentation des émissions de gaz à effet de serre (GES) et leurs effets sur les changements climatiques ; la hausse des prix des matières premières, de l’énergie et des produits alimentaires, contribuant à l’augmentation du coût de la vie, alors que des enjeux mondiaux tels que la pauvreté, les inégalités, les changements climatiques, les pandémies et les conflits touchent de manière disproportionnée les femmes, les enfants et les personnes les plus vulnérables.
Face à ce constat, des engagements fermes ont été pris sur le front du changement climatique pour respecter l’objectif de l’Accord de Paris, qui consiste à limiter l’augmentation de la température à 1,5°C d’ici 2030, ce qui implique une réduction durable des émissions de GES de 43 % à l’échelle mondiale au cours de la même période. De plus, des mesures ont été prises concernant la problématique de la croissance mondiale, visant à mettre en place des «politiques monétaires, budgétaires, financières et structurelles bien calibrées pour réduire les inégalités et maintenir la stabilité macroéconomique et financière». En outre, la Déclaration de New Delhi propose de réglementer les activités liées aux cryptomonnaies et de mettre en avant l’utilisation de l’intelligence artificielle au service de l’intérêt public, parmi les 78 résolutions de la Déclaration de New Delhi.
Nouvelle posture
Au-delà de ce sommet et de ses avancées, l’Inde affirme fermement ses ambitions à l’échelle mondiale. En plus de son positionnement au sein du Sud Global, elle se prépare à devenir la troisième puissance économique mondiale dans deux ans, selon les projections d’institutions financières internationales. Parallèlement, face aux risques que la Chine puisse glisser vers la catégorie des pays à revenus intermédiaires, avec une estimation de croissance inférieure à 5 % cette année, et étant confrontée à une crise immobilière et financière ainsi qu’à une spirale déflationniste, l’Inde se positionne comme un acteur clé dans l’atelier numérique mondial en opposition à la Chine.
Certes, Modi cherchera à tirer profit de cette nouvelle posture et du succès de ce sommet pour obtenir des gains politiques l’année prochaine lors des élections de juin 2024. Il n’est d’ailleurs pas passé inaperçu que le Premier ministre indien a utilisé ce sommet comme un outil de promotion personnelle. De même, le Premier ministre Pravind Jugnauth, invité par Narendra Modi, tout comme huit autres dirigeants, à y participer, a été accueilli avec des superlatifs à la télévision nationale pour qualifier son arrivée en Inde, ses deux interviews et ses réunions bilatérales avec certains dirigeants du G20. Comme Narendra Modi, Pravind Jugnauth aura rendez-vous avec l’électorat l’année prochaine, et tout indique qu’il ne manquera pas l’occasion de redorer son blason.
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