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Grande distribution

Grosse affluence mais une consommation dictée par un pouvoir d’achat effrité

3 janvier 2024, 22:00

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Grosse affluence mais une consommation dictée par un pouvoir d’achat effrité

Les shopping malls, ici à Flacq, offrent de plus en plus une panoplie de magasins divers.

Il ne faut pas s’attendre à une explosion du chiffre d’affaires dans la grande distribution en fin d’année. S’il y a eu une grande affluence dans les shopping malls, supermarchés et hypermarchés, cela ne semble pas s’être traduit par des ventes super-élevées, les tendances étant les mêmes que celles de 2022.

Ignace Lam, propriétaire de la chaîne de supermarchés Intermart, au nombre d’une dizaine à ce jour, explique qu’il n’y aura pas de forte croissance dans les chiffres de vente. «C’est le même phénomène que nous observons chaque année. L’inflation des prix d’un certain nombre de produits consommés généralement pendant cette période festive montre que les consommateurs ont été généralement prudents et n’ont pas forcé la note.» Son expérience du secteur le fait penser que la même tendance se répète dans d’autres grandes surfaces malgré les campagnes promotionnelles et la guerre des prix pratiquées par des opérateurs de la grande distribution.

Comme les années précédentes, l’alimentaire représente plus de 70 % des ventes de fin d’année et assure généralement la profitabilité des grandes surfaces durant cette période de l’année. Certes, l’effet de la dépréciation de la roupie face au dollar, soit plus de 22 % depuis le début de 2019, aura plombé le chiffre d’affaires des opérateurs vu qu’ils importent pratiquement tous les produits alimentaires, même si en 2023 avec l’intervention régulière de la Banque de Maurice sur le marché forex, la valeur de la roupie s’est stabilisée autour de Rs 44 à Rs 45 le dollar.

Par ailleurs, stratégie de marketing oblige, les commerçants s’appuient sur les ventes de décembre pour réaliser entre 30 % à 50 % de leur chiffre d’affaires. Et ce, comparé à la moyenne d’un mois normal, précise le propriétaire d’Intermart, dont la chaîne de magasins avait réalisé un chiffre d’affaires de Rs 464 millions en décembre 2021.

Pressions inflationnistes

D’autres enseignes de la grande distribution partagent plus ou moins la même analyse. À l’instar de Seven Seven Co Ltd, opérant la chaîne de supermarchés Dream Price, plus d’une trentaine à travers le pays, placée sous la direction de Nooreza Domun. Son analyse des ventes de fin d’année, rapportée dans la presse, indique qu’elles devraient être supérieures à celle de 2019. Les revenus additionnels accordés aux employés tant du privé que de la fonction publique auront permis que le pouvoir d’achat se rétablisse légèrement. Toutefois, elle est convaincue que «l’influence de l’inflation se fait toujours sentir, bien qu’étant compensée par le boni de fin d’année et les bonus».

L’économiste Rajeev Hasnah pousse la réflexion plus loin. Si le salaire minimum introduit en janvier 2018 était de Rs 8 500, aujourd’hui, après cinq ans, il a été effectivement augmenté à Rs 18 500, plus que le double. Cependant, il note qu’il est «fort probable que le pouvoir d’achat des ménages n’a pas été totalement rétabli malgré cette augmentation vu la perte de pouvoir d’achat conséquente subie pendant ces cinq dernières années». De ce fait, malgré l’augmentation considérable en termes nominaux (c’est-à-dire incluant l’effet de l’inflation) de la consommation ménagère, le montant réel enregistré dans le pays n’a pas encore atteint le niveau d’avant 2019. «Cela veut dire que bien qu’on ait tendance à dépenser plus en roupies, on achète moins en réalité en termes de quantité !»

Les statistiques des comptes nationaux, publiées le mois dernier, montrent d’ailleurs que les dépenses des ménages liées à la consommation n’auraient augmenté que 2,6 % du PIB en 2023, pour atteindre Rs 440,5 milliards contre une hausse de 3,3 % du PIB en 2022. «Notre PIB est tiré généralement à plus de 75 % par la consommation. Ce qui n’est pas sain économiquement car une crise affectant le pouvoir d’achat des consommateurs, comme nous la connaissons actuellement, serait néfaste pour l’équilibre économique du pays. Il faut viser un PIB à base élargie, dopé par les exportations, les investissements et la consommation. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui», ajoute l’économiste.

L’arrivée du Tribeca Mall en décembre 2022, lancé par Hermès Properties, avec ses 200 magasins et espaces de restauration, loisirs et jeux, a permis de hisser le concept de shopping mall à un nouveau palier, proche des grands centres commerciaux internationaux. Cela, en révolutionnant la manière de faire du shopping à Maurice. «Les familles privilégient ce type de shopping depuis un certain nombre d’années où les sorties en famille s’allient aux divertissements et au shopping. D’ailleurs, les grandes affluences à Tribeca Mall, qui s’impose aujourd’hui comme the place to be en cette période de festivités témoigne de cette tendance», explique un spécialiste de la grande distribution. D’où d’ailleurs les recettes engrangées par des hypermarchés dans ces centres commerciaux durant le mois de décembre. Ignace Lam estime que leur chiffre d’affaires est largement supérieur, plus de 55 % durant cette période de fin d’année, par rapport à ceux des autres supermarchés de proximité.

Certes, la concurrence est rude entre les différentes enseignes commerciales, même si selon Ignace Lam, celle-ci a toujours existé car les types de produits proposés sont, selon lui, presque identiques partout. «Tout est une question de la confiance que chaque consommateur entretient dans son enseigne. La qualité des produits et le rapport avec le prix y jouent certainement.» D’autres misent sur un ensemble de services allant de grands espaces de parking aux services d’accueil en passant par le confort d’achat et l’ambiance conviviale pour marquer sa différence, avec en plus de l’animation musicale.

Qui dit consommation de fin d’année dit également circulation d’argent dans le public. Celle de décembre est estimée à plus Rs 58 milliards, selon les projections des experts. Pour ce mois, il faut compter entre Rs 2 milliards à Rs 3 milliards en plus, avec notamment les bonis de fin d’année sous forme de 14e mois ou même de 15e mois dans certaines entreprises sans compter les achats en anticipation de la hausse du salaire minimum couplée à la compensation salariale de Rs 1 500 à Rs 2 000 attendue en janvier.

N’empêche que les commerçants tout comme les opérateurs de grandes surfaces et propriétaires de centres commerciaux ont déjà mis le paquet pour faire exploser leur chiffre de ventes malgré la posture prudente d’une frange importante des consommateurs. Car n’oublions pas qu’à la clé, il y a un marché de plus de Rs 41milliards en jeu, réparti entre 27 opérateurs. Même si selon la récente enquête d’opinion réalisée par Synthèse/l’express en octobre, 79 % des Mauriciens interrogés constatent un effritement de leur pouvoir d’achat avec l’envolée de l’inflation.