Publicité
Hommage à Frantz Fanon, figure de l’émancipation de la pensée coloniale
Par
Partager cet article
Hommage à Frantz Fanon, figure de l’émancipation de la pensée coloniale

Il y a 100 ans, le 20 juillet 1925, naissait à Fort-de-France, sur cette terre martiniquaise à la beauté blessée par l’histoire, un homme dont la voix allait traverser les continents, bouleverser les consciences et jeter une lumière crue, mais salutaire, sur les plaies du colonialisme, du racisme et de l’aliénation : Frantz Fanon. À l’occasion du centenaire de la naissance de Frantz Fanon, franc-maçon, psychiatre, militant antiraciste et anticolonialiste intransigeant, je souhaite saluer sa mémoire et son héritage intellectuel et humaniste qui continue d’être une source d’inspiration pour des générations d’intellectuels, de militants et de militantes. Sa pensée résonne plus que jamais dans notre époque confrontée aux défis du racisme systémique, des inégalités sociales et des violences héritées du colonialisme. Par ses ouvrages majeurs – Peau Noire, Masques Blancs et Les Damnés de la Terre –, Frantz Fanon a porté une parole à la fois puissante et subversive, invitant à repenser la condition humaine et les dynamiques du pouvoir.
Ils sont encore nombreux à Maurice à se souvenir des réunions des années de braises du Club des Étudiants militants mauriciens, à écouter les Dev Virahsawmy, Jooneed Jeeroobarkhan, Amédée Darga, Bernard Wiéhe, Allen Sew, Hervé Masson, etc. discuter de Frantz Fanon et des courants de pensée tiersmondistes et à analyser ses études postcoloniales et leurs conséquences psychologiques de la décolonisation sous les angles sociologique, philosophique et psychiatrique.
Honorer Frantz Fanon aujourd’hui, c’est affirmer la continuité de son combat pour la Justice et l’Égalité dans un monde encore traversé par les discriminations. C’est témoigner que la pensée critique et la quête d’émancipation des femmes et des hommes demeurent des luttes contemporaines au cœur même du projet humaniste. Mais Fanon n’a jamais été seul.
Et en ce centenaire, je veux aussi saluer ses compagnons de route. Ces sœurs et frères d’hier, qui comme lui, ont choisi la clarté du combat plutôt que le confort du silence.
Je pense à Aimé Césaire, son aîné martiniquais, le poète de la négritude, celui qui nous a appris que la parole peut redevenir puissance.
Je pense à Amílcar Cabral, le stratège-paysan de Guinée-Bissau et du Cap-Vert, qui disait : «Tant que les Africains ne produiront pas leur propre culture, leur libération ne sera qu’illusion.»
Je pense à Patrice Lumumba, frère congolais foudroyé trop tôt, dont la voix résonne encore sur les places d’Afrique comme un chant de justice trahi.
Je pense à Thomas Sankara, le capitaine incorruptible, celui qui rendait la dignité contagieuse et qui disait que «l’esclave qui n’est pas capable d’assumer sa révolte ne mérite pas qu’on s’apitoie sur son sort». Et je pense aussi à ceux et celles qui marchent à nos côtés aujourd’hui, dans l’ombre parfois, dans les écoles, les rues, les hôpitaux, les prisons, les campagnes et les bidonvilles. Ces militants, éducateurs, femmes debout, jeunes en feu, gardiens de la mémoire et semeurs d’avenir. Nous sommes des milliers, silencieux parfois, mais résolus.
Hommage militant pour son centenaire
Cent ans. Frantz Fanon n’a pas vieilli. Il n’a jamais été un ancêtre figé dans la pierre. Il est une braise vive. Un militant que je n’ai pas seulement lu, mais que j’ai senti, entendu, porté dans mes engagements. Je n’ai pas rencontré Fanon dans les salons ou dans les bibliothèques froides. Je l’ai rencontré dans la poussière des combats, dans les silences rageurs de ceux qu’on n’écoute pas, dans les cris étouffés des peuples qu’on voudrait maintenir à genoux. Je l’ai rencontré quand je me suis levé pour défendre les droits humains là où on les piétine avec une morgue tranquille. Je l’ai rencontré quand j’ai compris que l’éducation que l’on nous avait donnée n’était pas la nôtre, qu’elle avait été construite pour nous faire admirer nos chaînes et douter de nos racines. Frantz Fanon nous a légué le langage du refus. Le droit sacré de dire non. Non à la domination, non à l’aliénation, non aux modèles imposés. Il nous a aussi offert le courage du oui : oui à la dignité, oui à l’identité reconstruite.
Il nous a appris que la libération ne commence pas par les armes, mais par l’âme. Que l’aliénation est un virus mental, transmis de génération en génération par l’école, la langue, la religion, le mépris déguisé en bienveillance. Fanon nous a donné des mots pour ce que nous ressentions sans pouvoir le dire : cette fracture intérieure entre ce que nous étions et ce qu’on nous avait appris à désirer.
C’est lui qui a poussé les Européens à se battre pour une éducation décolonisée, non comme un simple rêve académique, mais comme une nécessité politique et spirituelle. Une éducation qui ne soit plus une imitation servile, mais une élévation enracinée. Une éducation qui ne reproduise plus la domination, mais qui ouvre à la création, à la souveraineté, à l’affirmation.
Médecin, psychiatre, écrivain, combattant de la liberté, penseur de la décolonisation, Fanon fut tout cela – et davantage encore. Il fut une conscience en révolte, un esprit incandescent, un homme qui n’a jamais dissocié la pensée de l’action, ni la parole de la dignité. À l’image de ce qu’il écrivait dans Les Damnés de la Terre, son œuvre est un cri, mais un cri articulé, chargé d’espérance et de lucidité, dirigé non contre un peuple, mais contre l’oppression, où qu’elle soit. Nourri de philosophie, de psychanalyse et de combat, Fanon incarne cette rare alchimie entre engagement intellectuel et engagement existentiel. Il n’a jamais pensé dans les marges du monde, mais au cœur brûlant de ses contradictions : celles de l’homme noir dans un monde blanc, du colonisé face au colon, du patient psychiatrique confronté à une société elle-même malade de son racisme.
«Le Noir n’est pas un homme», écrivait-il, «il en devient un». Par cette phrase, il mettait en lumière le travail de reconquête intérieure que doit entreprendre celui qu’on a réduit à une couleur, à une altérité, à une infériorité construite. Et ce travail, disait-il, n’est pas seulement individuel : il est collectif, politique, révolutionnaire. Aujourd’hui, en célébrant le centenaire de sa naissance, nous ne commémorons pas une mémoire figée, mais une pensée vivante. Car Fanon parle encore. Il parle aux peuples en quête de libération. Il parle aux esprits en lutte contre les nouvelles formes de domination – économiques, culturelles, identitaires. Il parle aux jeunes générations qu’il invite à «découvrir leur mission, la remplir ou la trahir».
Mais Fanon ne fut pas seulement un penseur du combat ; il fut aussi un penseur de la guérison. Lui, le psychiatre qui, à Blida, en Algérie, essayait de reconstruire des âmes brisées par la guerre et l’exil, croyait en la capacité de l’humain à renaître. À se transformer. À briser les chaînes, non seulement extérieures, mais aussi intérieures.
Fanon, c’est une parole qui dérange, mais qui élève. C’est une parole exigeante, mais jamais désespérée. Il n’a jamais appelé à la haine, mais à la dignité. À la vérité. À la justice. Il nous rappelle que la liberté n’est pas un don, mais une conquête. Qu’elle se paie du prix de la lucidité, du courage, et parfois du sacrifice.
En ce centenaire, rendons hommage non seulement à l’homme qu’il fut, mais à l’horizon qu’il nous lègue. Un monde où chaque être humain, quelle que soit sa couleur, son origine ou son histoire, puisse se tenir debout, regard clair, cœur ouvert, et dire : je suis un homme, une femme, une conscience – et je suis libre.
Frantz Fanon, frère en humanité; son combat est encore le nôtre. Sa voix ne s’est pas tue. Elle résonne, forte, dans les vents de l’Histoire. Cent ans après sa naissance à Fort-de-France, Frantz Fanon n’est pas une figure du passé. Il est vivant. Vivant dans les luttes. Vivant dans les colères justes. Vivant dans les regards de ceux qui refusent de plier.
Quand je l’ai lu pour la première fois – Peau noire, masques blancs, puis Les Damnés de la Terre –, j’ai senti une secousse intérieure. Ce n’était pas un livre. C’était un miroir. Un électrochoc. Une convocation à me tenir debout. «Un dialogue permanent avec soi-même, un narcissisme de plus en plus obscène n’ont cessé de faire le lit à un quasi-délire où le travail cérébral devient une souffrance, les réalités n’étant point celles de l’homme vivant, travaillant et se fabriquant, mais des mots, assemblages divers de mots. Les tensions nées des significations contenues dans les mots», écrit-il dans la conclusion du livre Les Damnés de la Terre.
Dans nos combats pour les droits humains, dans nos appels à la décolonisation de l’éducation (Le grand combat de Dev Virahsawmy), Fanon n’a jamais été loin. Il nous a appris que la liberté n’est pas un mot, mais une lutte. Une lutte intérieure d’abord – contre les réflexes de soumission – puis une lutte collective – contre les systèmes qui brisent, effacent, exploitent.
Nous savons, comme Fanon l’a crié, que «chaque génération a une mission historique». La nôtre est claire : réparer, transmettre, construire. Décoloniser les esprits. Décoloniser le savoir. Décoloniser les politiques. Redonner voix et puissance à l’Afrique, à ses diasporas, à ses enfants debout. Fanon était un éclaireur. Pas un gourou. Comme Socrate, un aiguillonneur. Il ne versait pas un savoir tout fait dans un disciple vide. Pas un dogmatique. Un éclaireur qui disait : «Chaque génération doit découvrir sa mission, la remplir ou la trahir.» Ces mots, il faut les porter comme une boussole.
Aujourd’hui, à l’heure où les vents mauvais soufflent encore – racisme systémique, néocolonialisme, pauvreté organisée, identités blessées –, la voix de Fanon reste une arme de construction massive de dignité. Il nous a transmis une rage claire. Une rage qui n’est pas haine, mais énergie. Une rage qui ne détruit pas, mais bâtit des consciences et ouvre des brèches dans les murs. Une rage qui cherche la justice, pas la vengeance.
«Chaque génération doit découvrir sa mission, la remplir ou la trahir.» Cette phrase est gravée comme un pacte. Ma génération n’a pas le droit d’oublier. Elle n’a pas le droit d’abandonner les pays à la dette, aux dogmes importés, aux élites mimétiques, à l’éducation servile. Elle doit se lever, penser par elle-même, parler sa langue, guérir ses plaies, dire son propre nom. Aujourd’hui, nous lui rendons hommage – non pas pour célébrer un passé révolu, mais pour raviver le feu qu’il a allumé.
Il est là chaque fois qu’un enfant apprend à penser en sa propre langue!
Publicité
Publicité
Les plus récents




