Publicité
Kronik KC Ranzé
Homo sapiens, vous croyez ?
Par
Partager cet article
Kronik KC Ranzé
Homo sapiens, vous croyez ?

Vous pensiez que le réétiquetage du golfe du Mexique en «golfe de l’Amérique» relevait de l’enfantillage ? Google Maps, un des principaux cartographes de la planète, une application du groupe Alphabet, ainsi que bien d’autres, dans une logique «transactionnelle» et trumpienne, se sont pourtant platement couchés sur la question. Associated Press, non ! Ce qui lui a valu d’être bannie des conférences de presse du président… Le Mexique poursuit Google devant les cours de justice américaines. L’Associated Press a, quant à elle, poursuivi la Maison-Blanche et a déjà gagné son procès sous le Premier Amendement de la Constitution, qui garantit la liberté d’expression.
Mais Trump n’est ni le seul, ni le premier à vouloir rebaptiser ce qui ne lui appartient pas et à tenter de dénoyauter l’histoire ! Les conseils municipaux ou régionaux en font souvent leur étendard, faute de travail plus concret et… plus difficile ! Le 11 mai dernier, la Chine s’est laissée aller aux mêmes enfantillages en rebaptisant 27 endroits dans l’État indien de l’Arunachal : 5 villages habités, 15 montagnes, 4 cols, 2 rivières, dans une tentative délibérée de «revendiquer» ce qu’elle choisit d’appeler le «Sud Tibet». L’Inde a immédiatement intimé à la Chine de se contenir et de se tenir à carreau, mais c’était la cinquième fois déjà que les cartographes chinois tentaient ainsi de «conquérir» du territoire indien, du moins sur le papier ; le Ladakh ayant précédé l’Arunachal.
En mode «généreux», lors de sa récente visite du Golfe, Trump a proposé de rebaptiser le golfe Persique. À la place, il suggérait «golfe d’Arabie». N’est pas narcissique qui veut ! Et le prochain serait quoi ? L’océan Américain, à cause de Diego ?
Les revendications territoriales sont plus fréquentes qu’on ne le croit, et l’invasion de l’Ukraine n’est pas venue arranger les choses, ayant, entre autres, remis Trump en appétit pour le Groenland et chatouillé sa goinfrerie, même pour son voisin canadien ! Le monde relativement apaisé de l’après-guerre mondiale, qui respectait mieux les frontières — même quand elles étaient souvent largement arbitraires, comme dans les colonies qui se libéraient — semble aujourd’hui être de plus en plus remis en question. Si, comme pour la Russie, les empires passés doivent vraiment être reconstitués, nous serons sans doute lancés dans un véritable désastre planétaire ! Il faut vraiment espérer que ceux qui souhaitent redessiner le monde en fonction de leurs besoins et de leurs appétits retrouvent un peu de bon sens !
La croissance colossale des budgets de la Défense à laquelle on assiste (Europe, USA, Russie, Chine…) ne peut évidemment que se faire aux dépens d’objectifs plus humains, plus progressistes et plus utiles (santé, éducation, aide humanitaire, etc.). Et comme les budgets de «défense» se transforment souvent en appétits guerriers, un éventuel retour aux siècles de guerre sans fin ne peut que signifier la globalisation de la souffrance et une prospérité grandissante pour les généraux et les industries d’armement qui leur fournissent du muscle.
Qui veut de cela, sinon ces chefs qui déjantent ?
Les disputes territoriales ne datent pas d’hier. Wikipédia aide à en faire une liste presque exhaustive. Peu de celles-ci se métamorphosaient en guerre explicite récemment, mais l’exemple russe en Ukraine ou israélien à Gaza pourrait donner le mauvais exemple…
On sait, par exemple, que le Maroc revendique depuis longtemps les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, qui sont sur les terres marocaines. Cependant, Melilla est occupée par l’Espagne depuis 1497, et Ceuta a été reprise aux Portugais par les Espagnols en 1668, après la Reconquista. Le Maroc est devenu protectorat français en 1912, et la France confirma alors la présence espagnole au nord, entre autres. Le Maroc devint indépendant en 1955, mais Ceuta et Melilla restèrent espagnoles, selon l’argument qu’on ne pouvait pas restituer au Maroc ce qui n’avait… jamais été marocain ! Le Maroc veut cependant retrouver son intégrité territoriale. Le Sahara occidental attend toujours le référendum promis.
Sur leurs propres terres, les Espagnols revendiquent Gibraltar, cédé aux Anglais en 1713 par le traité d’Utrecht. À la bonne heure !
En Afrique, on comptabilise, au total, 18 disputes territoriales. La France et Madagascar se disputent les îles Éparses, et Mayotte est revendiquée par les Comores, bien sûr. Quinze autres revendications existent en Afrique, incluant Tromelin, mais les plus conséquentes sont souvent liées aux gisements de pétrole, par exemple au lac Albert (RDC vs Ouganda), ou à cause de la délimitation de la frontière maritime entre la Côte d’Ivoire et le Ghana – ce dernier exploitant seul, pour l’heure, les gisements d’hydrocarbures…
Les Chagos ne sont plus sur cette liste.
En Amérique, on répertorie 27 cas de disputes territoriales, dont les plus connus ou épineux sont les 50 000 km² en contentieux entre Russes et Américains dans le détroit de Béring, le litige de la mer de Beaufort entre le Canada et les États-Unis, la moitié sud du Belize revendiquée par son voisin le Guatemala – dont les cartes géographiques effacent même, du moins poétiquement, le Belize tout entier ! Ajoutons-y les îles Sandwich et les Malouines que se disputent les Argentins et les Anglais – y compris hors des stades de football ; Guantanamo, bien sûr, qui est, depuis 1937, un bail permanent, sauf si les États-Unis et Cuba récusent ce bail simultanément ; et le banc de Serranilla, haut-fond poissonneux revendiqué par la Colombie, les États-Unis, la Jamaïque et le Nicaragua ! Pour le moment, on se dispute seulement avec des filets et des hameçons interposés…
L’Asie-Pacifique semble être la région la plus difficile. Il y existe 34 litiges en tout, dont certains sont particulièrement compliqués.
Le nord de l’Inde est parsemé de disputes. L’Aksaï Chin, une zone du Ladakh, est contrôlée par la Chine et revendiquée par l’Inde. À contrario, l’Arunachal est un État indien que réclame la Chine ! Pour tout complexifier, l’Azad Cachemire est une partie du Cachemire contrôlée par le Pakistan, que l’Inde estime définitivement lui appartenir. Finalement, le Jammu-et-Cachemire est aux mains de l’Inde, ce que le Pakistan n’accepte pas, tandis que le Gilgit-Baltistan est sous contrôle pakistanais, au grand dam de l’Inde. De quoi encore alimenter des décennies d’incursions, de provocations, d’échanges de balles et de négociations passionnées.
D’autant qu’en 1947, quand on partitionnait l’Inde contre la volonté du Mahatma Gandhi, on offrait alors aux États princiers du Jammu et du Cachemire – à 50 % et 90 % musulmans, respectivement – la liberté de choisir leur avenir. Or, le maharaja hindou de l’époque, Hari Singh, choisit d’abord l’indépendance, puis de rallier l’Inde, à qui il demanda de l’aide face à des incursions pakistanaises non provoquées, ce qui déclencha la première guerre indo-pakistanaise. Un plébiscite promis par l’armistice n’eut jamais lieu…
Les trois protagonistes sont évidemment des puissances nucléaires, ce qui rend les escarmouches plus dangereuses qu’en Ukraine, par exemple ; cette dernière ayant transféré 1 700 ogives nucléaires à la Russie en 1994, contre des garanties de sécurité territoriale du Royaume-Uni, des États-Unis… et de la Russie !
Ailleurs, les îles Abu Moussa (Iran vs Émirats arabes unis), Bubiyan (Koweït vs Irak), Kouriles (Japon vs Russie), Paracels (Vietnam vs Chine), Senkaku (Japon vs Chine vs Taïwan), Spratleys (Chine vs Taïwan, Vietnam, Philippines, Malaisie, Brunei), Walpole (Nouvelle-Calédonie vs Vanuatu) et Wake (États-Unis vs îles Marshall) nous rappellent l’importance d’un arbitrage du Tribunal international du droit de la mer, et plus encore, combien il est crucial d’en respecter les jugements — y compris en mer de Chine !
Les deux Corées se disputent aussi quelques territoires, mais les cas les plus graves se trouvent sans doute en mer Caspienne, avec ses immenses réserves d’hydrocarbures, où il n’y a aucune frontière définie entre la Russie, le Kazakhstan, le Turkménistan, l’Azerbaïdjan et l’Iran. Il faut aussi souligner la région du Chatt-el-Arab, qui a aidé à déclencher la guerre Irak-Iran en 1980.
Quiconque croit que la vieille Europe est plus civilisée, doit faire face à l’invasion de l’Ukraine et de la Crimée par les Russes, aux délimitations du plateau continental des îles Féroé (Danemark, Irlande, Royaume-Uni, Islande), à celles de la mer Égée (Grèce vs Turquie), au massif du Mont-Blanc (France vs Italie), ainsi qu’aux litiges de la Croatie : versus la Bosnie pour la rivière Una, versus le Monténégro pour la péninsule de Prevlaka, versus la Slovénie pour le golfe de Piran ou la rivière Mura, et versus la Serbie sur le Danube.
Et ça va maintenant commencer à chauffer (y compris littéralement) en Arctique et en Antarctique !
Décidément, l’Homo sapiens ne fait pas honneur à sa désignation de «sage» et, ceci étant, il assurera, pour au moins longtemps encore, du travail pour… les cartographes du monde entier !
Publicité
Publicité
Les plus récents




