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Hubris

20 septembre 2023, 10:48

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Alors que l’on s’apprête à aborder le quatrième trimestre, les indicateurs macroéconomiques montrent les signes manifestes d’une embellie. Les dernières estimations de Maurice Stratégie, think-tank opérant sous la tutelle de l’Economic Development Board, et celles de la Banque de Maurice laissent à penser que nous sommes sur la voie d’une croissance robuste, avec des projections un cran au-dessus de celles de Statistics Mauritius et des institutions internationales.

Analysons d’abord les prévisions de Maurice Stratégie dans son Economic Review and Outlook pour le mois de septembre. Calqué sur le modèle de France Stratégie, cet organisme nouvellement créé, qui répond directement au ministère des Finances, est chargé notamment de l’évaluation des politiques publiques, d’élaborer des documents de recherche et des notes d’information sur des sujets d’importance économique en vue de donner aux pouvoirs publics des métriques empiriques et fiables pour les aiguiller dans leur stratégie.

Fondamentalement, l’équipe de recherche de Maurice Stratégie anticipe une croissance du PIB réel de 7,3 % en 2023, toutes choses restant constantes par ailleurs. Alors que la croissance nominale (une mesure qui prend en considération l’inflation) est calculée à 15,9 %. Des estimations qui désarçonnent quelque peu les analystes les plus aguerris, sceptiques par rapport à l’ampleur du rebond. D’autant plus que Statistics Mauritius prévoit une croissance de 5,3 %, soit 2 % de moins. Alors que la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et la Banque africaine de développement se montrent encore plus précautionneux, prévoyant une expansion de l’économie réelle de l’ordre de 4,7 %, 4,6 % et 5 % respectivement. Qu’est-ce qui explique ce grand écart, cette attente que l’économie va surperformer qui amène certains observateurs à parler d’hubris, pour ne pas dire de démesure ? Pour Maurice Stratégie, ce gap s’explique par le fait que le Budget 2023-2024 a été un game-changer dans le sens qu’il a permis d’accélérer la reprise de l’activité économique, avec des effets de second tour attendus.

Sur la base des dernières données qu’elle a compilées, Maurice Stratégie affirme qu’on assiste à un renforcement des fondamentaux économiques. Elle prévoit ainsi que les investissements publics devraient augmenter de 19 %, que les investissements privés totaliseront Rs 103 milliards, que les investissements directs étrangers s’élèveront à Rs 30 milliards, que les dépenses de consommation augmenteront de 8,5 %, que les exportations de services croîtront de 13,5 % et que les exportations de marchandises avoisineront les Rs 110 milliards.

Sur le plan du chômage, là encore, les estimations statistiques pointent vers une amélioration de la situation. S’appuyant sur les chiffres officiels qui indiquent que le taux de chômage a régressé, atteignant 6,7 % au premier trimestre de 2023, contre 8,7 % au trimestre correspondant de 2022 et 6,8 % au dernier trimestre de 2022, Maurice Stratégie ne manque pas de faire ressortir que le rebond de l’économie nationale a stimulé la croissance de l’emploi.

Par rapport à l’inflation, Maurice Stratégie anticipe un assouplissement sur ce front dans les mois à venir, résultant notamment de la pression à la baisse sur les prix de l’alimentaire, du fret et de l’énergie à l’international. L’inflation globale devrait ainsi tourner autour de 8 % pour 2023. Une prévision qui tient la route quand on sait que pour la première fois depuis le début de l’année, l’inflation globale n’affiche plus un double chiffre et est calculé à 9,7 % pour le mois d’août.

Environ trois ans et demi après l’éclatement de la crise, c’est sans doute la première fois que les grands équilibres macroéconomiques sont alignés. Tout comme Maurice Stratégie, la Banque de Maurice observe un raffermissement des fondamentaux économiques. Ce sont d’ailleurs ces bons signaux qui ont convaincu le comité de politique monétaire de maintenir le Key Rate à 4,5 % au lendemain de l’annonce de la Banque centrale européenne qu’elle relevait ses taux directeurs de 25 points de base. Abondant dans le même sens que Maurice Stratégie, le Gouverneur de la Banque de Maurice, Harvesh Seegolam, estime que la croissance du PIB réel devrait se situer entre 6,5 % et 7,5 % pour 2023. Il observe que l’économie nationale a continué à croître solidement au premier trimestre après avoir enregistré une forte performance en 2022, soutenue par le dynamisme des secteurs économiques clés, notamment le tourisme, les services financiers et la construction.

Au chapitre de l’inflation, la Banque centrale est encore plus optimiste et s’attend à une inflation globale de 7 % d’ici à fin décembre. De l’avis de Harvesh Seegolam, le processus de normalisation des taux (le taux directeur a été relevé de 1,85 % à 4,5 % entre mars et décembre 2022) a joué un rôle pivot dans la maîtrise de l’inflation de base. Les effets de la politique de resserrement monétaire devraient se prolonger dans le temps. De plus, la Banque de Maurice prend le pari que le nouveau cadre de politique monétaire devrait également permettre de mieux ancrer les attentes en matière d’inflation.

La volonté de la Banque de Maurice de ne pas se laisser influencer par la stratégie des autres banques centrales est, par ailleurs, révélatrice du dialogue constant entre l’autorité monétaire et le Trésor public et d’un objectif commun qu’il est nécessaire d’aligner la politique fiscale et la politique monétaire. Cette posture envoie également le bon signal aux opérateurs économiques et aux marchés financiers à l’effet que la Banque de Maurice ne prendra pas de décision inconsidérée pouvant casser la dynamique de croissance.

Si les dernières prévisions de Maurice Stratégie et de la Banque centrale laissent les analystes dubitatifs, il est un fait qu’il y a définitivement un feel good factor parmi les agents économiques. La confiance est bien ancrée. Et ce sentiment de positivité dépasse le cadre des argumentations techniques selon lesquelles les projections macroéconomiques seraient surfaites.