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L’Afrique sans lunettes roses
Le nombre de personnes qui nous parlent de l’Afrique comme d’une révélation commence à m’inquiéter sérieusement. D’autant qu’elles semblent toutes porter des lunettes rose bonbon et souffrir d’une petite crise de romantisme. Un exemple récent : après nous avoir rappelé doctement quelques banalités du style « Africa is a vast territorial expanse consisting of… mainland africa (!), its offshore islands as well as the immense exclusive marine zone… » ou encore que l’Afrique a une population d’un milliard d’habitants et que ses consommateurs pèseront 1,4 trillion de dollars bientôt, Siva Palayathan (l’express du 10 avril 2014) nous dit qu’il est espéré que Maurice et ses entrepreneurs – petits et grands – soient de plus en plus sur le circuit des affaires et des « orbites commerciales » en Afrique. Palayathan n’est pas le seul à nous seriner le mantra de l’Afrique vue comme l’eldorado des investisseurs.
On est bien loin de là. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de possibilité africaine d’investissements mirifiques, non plus. Je me permets simplement de rappeler que l’Afrique est difficile et que si les rendements sur investissements y sont plus élevés, c’est qu’il faut d’abord qu’ils réussissent ! Car comme dans tout grand classique de « high risk – high return », on a tendance à évoquer le « high return » quand les investissements sont des succès et à se montrer plutôt discret quand le « high risk » se concrétise en pertes ! Personne ne pavoise pour ses pertes et les rendements supérieurs ne sont donc pas des moyennes, car rarement ou jamais plombées par les défaites…
Si l’Afrique a effectivement fait du chemin, les risques sont demeurés immenses. Reconnaissons aussi que son réveil économique des dix dernières années est surtout suscité par l’intérêt du reste du monde (Chine en tête) pour ses matières premières, pas pour son éthique du travail ou sa science ou sa manufacture. Une bourgeoisie a bien été créée et elle consomme plus, mais l’Afrique n’est pas sans tache. C’est quand même le continent qui a produit les dictateurs que sont Bongo, Déby, Nguesso, El-Béchir, Dos Santos, Abacha, Jammeh, Museveni, Mbasogo, Bokassa, Mugabe, Biya, Kadhafi , Amin Dada, Wade, Mobutu et bien d’autres*. C’est quand même le continent le plus pillé de la planète, à une époque par les marchands d’esclaves et les colonisateurs, maintenant par les fils du sol eux-mêmes, qui tâtent et qui tètent des intérêts économiques étrangers puissants. C’est aussi le continent de la dysenterie, du virus Ebola, de la malaria, du typhus, de la maladie du sommeil (trypanosomiase), de la cécité de rivière (onchocercose), de la bilharziose, de villes entières avec des égouts à ciel ouvert, des « flying toilets » (à Nairobi, et peut-être ailleurs, dans les bidonvilles, on fait ses besoins dans un sac en plastique et puis on le lance… ailleurs !), des trafics de diamants, des derniers génocides connus, des mutilations génitales de femmes, des enfants soldats, de la posologie anti-sida qui consiste à se taper une vierge et à se doucher, des kidnappings d’hommes d’affaires, des crocodiles à qui on sert ses adversaires… L’Afrique n’est pas que cela évidemment et il y a des prospects certains, mais soyons au moins raisonné et circonspect quand on se remue pour se diriger vers l’eldorado !
Deux remarques finales :
(1) Maurice, en comparaison, est un vrai paradis. Même s’il y a eu ici des tentations totalitaires, la société civile, l’opposition du moment et les médias ont été heureusement assez forts pour résister. Mais quand on pense à la réalité de l’Afrique, est-ce vraiment l’échelle de comparaison que nous souhaitons ?
(2) On peut noter que les Mauriciens qui ne sont pas satisfaits de leur pays n’émigrent pas vers l’eldorado africain, mais bien vers (prenez l’exemple de Yashika) la perfi de Albion ou d’autres pays à passé colonial, dont l’Italie, la France et même la Belgique qui coupait pourtant le poignet aux Congolais qui refusaient de faire la récolte du caoutchouc du roi Léopold !
Pourquoi donc ?
*Ajoutons Sékou Touré, Dacko, Keita, Tombalbaye, Obote, Banda, Kaunda, Rawlings, Kolingba, Moubarak, Hissen Habré, Eyadema, Nguema, Nimeiry, Siad Barre, Hailé Mariam, Bagaza, Moi, Kony, Conté, Compaoré, Zenawi, Nuur, N’Krumah, Deo, Sankara, Babangida, Ben Ali, Kagamé, Kabila, Sata, Charles Taylor, Bozizé…
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