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Propriétaires de circonscriptions

11 octobre 2014, 07:31

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Propriétaires de circonscriptions

«VINN isi dan n° 20», «revinn dan n° 18», «pa poz laba dan n° 19», ou encore «gard mo plas dan n° 4 ou dan n° 6». Vous avez entendu ces défis que l’on se lance à la ronde entre ex-conjoints politiques. Ils émanent des politiciens qui se prennent pour des propriétaires (ou héritiers) de circonscriptions. Ils savent qu’ils ont des «dépôts fixes», c’est-à-dire des moutons d’électeurs qui les suivront aveuglément, peu importe avec qui ils sont en alliance, peu importe les idées qu’ils défendent ou qui leur font défaut. Ces défis qu’ils se lancent, en prenant les électeurs pour marchepied, sont les pires insultes qu’ils peuvent faire à l’intelligence des citoyens. Mais ces derniers sont souvent responsables de leur propre sort car ils tendent à valider des «pie banann» qui leur sont imposés...

 

Après une défaite (en 1987) due au remodelage de la circonscription n° 18 (devenue moins urbaine), Paul Bérenger a migré au n° 19 (en 1991), où il avait l’assurance d’être élu précisément à cause du phénomène de «dépôt fixe». D’ailleurs, le leader mauve n’hésite pas à se bomber le torse, dans un entretien avec notre collègue Abdoollah Earally : «Je suis le seul à avoir participé à neuf élections générales, là ce sera la dixième fois!» Ce même Bérenger, qui n’a pas planifié la succession au sein de son parti, veut maintenant conquérir les jeunes. Mais il s’y prend tellement mal. La dernière fois, face à la presse, il a placé à côté de lui Jenny Adebiro, de son aile jeune. Tout le monde pensait qu’il allait avoir le courage de mettre à la retraite l’un de ses dinosaures (il a le choix entre les vieux vétérans Ganoo et Bhagwan, et autres jeunes vétérans comme Obeegadoo et Navarre-Marie) pour faire de la place à la présidente de son aile jeune. Mais non, Jenny Adebiro a été invitée pour faire office de vase à fleurs : elle ne pourra pas aspirer à un ticket à cause des vétérans. La vérité c’est qu’il faut réussir, d’abord, à avoir un ticket d’un propriétaire de parti (comme Bérenger, ou Ramgoolam, ou Jugnauth, ou Duval, voire Dhanrajsingh Aubeeluck), puis suivre (encore une fois) aveuglément la ligne en zig-zag du parti pour tenter de devenir un propriétaire de circonscription, et ainsi asseoir son pouvoir pendant des décennies.

 

Accrochés aux propriétaires de circonscription, il y a aussi toute une série d’autres petits chefs au bout de la chaîne d’une campagne électorale. Il y a des chefs agents, des chefs tapeurs, des chefs colleurs d’affiches, des animateurs d’autobus loués pour remplir les meetings, etc. Ces chefs profitent tous de l’économie occulte des campagnes. Des centaines de millions de roupies changent de mains : du propriétaire de parti au propriétaire de circonscription, du chef agent au président du club de 3e âge, les millions ne se comptent pas. L’Electoral Supervisory Commission n’y voit que du feu. D’ailleurs, il aura fallu que Raj Ringadoo apporte lui-même des preuves pour forcer un procès afin d’obtenir la condamnation d’un Ashock Jugnauth. Mais Maurice étant ce qu’il est, et Ashock Jugnauth devenu rouge, il ne faut guère s’étonner que le fils de sir Veerasamy Ringadoo aille faire campagne pour le frère de sir Anerood au n° 8, lui qui n’aura pas de ticket cette fois-ci, mais certainement une nomination quelque part, petit cadeau du propriétaire de parti.

 

***

Le phénomène de «Think Tanks» commence lentement mais sûrement à gagner du terrain à Maurice. C’est une bonne chose que des idées un tant soit peu objectives et fouillées remplacent ces sempiternels agitateurs de notre paysage politique, ces «self-appointed » chefs de tribus. Dans cette optique, l’idée émise par Democracy Watch de fédérer les nouveaux partis pour barrer la route à un 60-0 ou empêcher la majorité de trois quarts est intéressante, sauf dans sa mise en application proposée, c’est-à-dire rejoindre l’alliance Lepep de sir Anerood. C’est comme si on demandait à des joueurs de volleyball d’intégrer une équipe de football car il n’y a pas d’autre ligue dans laquelle jouer. Mais les pauvres, ils ne sont pas équipés pour jouer au foot contre ceux qui vont les balayer de leurs caisses de savon. Ces nouveaux visages sont rentrés en politique afin de réinventer notre démocratie et ses règles de jeu, mais on les invite à aller applaudir – en 2014 – sir Anerood et Vishnu Lutchmeenaraidoo, deux personnes qui ont maintes fois raccroché leurs crampons et qui persistent à jouer les  prolongations, apparemment pour notre bien collectif...