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«Bientôt le pouvoir ne pourra plus arrêter le pouvoir»
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«Bientôt le pouvoir ne pourra plus arrêter le pouvoir»
Mon cher Roshi,
En premier lieu, je te considère comme un ami et je n’oublie pas que tu as aidé Dis-Moi (Droits Humains Océan Indien) à décoller durant ses premiers mois, toujours délicats pour une association. Je sais que tu es sincèrement dévoué à l’amélioration de la vie de la cité, d’où ton entrée en politique. Depuis la prise de pouvoir de ton nouveau parti, le MSM, les circonstances ont fait que nous n’avons jamais communiqué.
C’est donc par le truchement de la presse écrite que je choisis de t’adresser cette lettre ouverte. Lorsque tu subis de plein fouet l’arbitraire de la police partiale de Ramgoolam, j’étais pratiquement le seul à prendre ma plume pour te défendre, camarade, et je n’ai pas hésité à proclamer dans la presse ma «solidarité totale avec Roshi Badhain». Je suis venu te rendre visite chez toi et tu m’as donné tous les détails scabreux de ton arrestation loufoque car notre police nationale sait être grotesque parfois. Dans cette lettre au journal l’express, j’ai fait un plaidoyer pour que les institutions, de l’ICAC à la police, puissent fonctionner de manière indépendante et ne soient plus des instruments politiques, des paillassons du pouvoir car les citoyens mauriciens méritent mieux que cela.
Car, nous le savons depuis Spinoza, un bon État n’est pas un État dirigé par une bonne personne, mais un État qui reste bon et juste, qu’il soit dirigé par une bonne ou mauvaise personne. Nous en avons discuté et tu étais toi aussi d’avis que la vertu doit être implantée dans les institutions et qu’elle doit survivre à la dégradation du niveau des dirigeants d’un État.
Lorsque ton nouveau parti, contre toute attente, prit le pouvoir et te nomma ministre de la Bonne gouvernance, je me suis dit, avec l’angélisme qui peut parfois me caractériser, que la République allait enfin établir ou consolider certaines institutions fondamentales pour notre jeune démocratie. Le devoir de réserve me rendit plus observateur que commentateur de la chose politique. On ne juge pas un gouvernement élu en 2-3 mois…
INSTRUMENTS DU POUVOIR
Je commençai à froncer les sourcils lors de l’épisode ubuesque Yerrigadoo-Bhadain-Jugnauth junior dans le rôle de ministres enquêteurs aux petites heures du matin, plissai du front au hasard de tes passages à la radio où tu démontrais clairement que ton brillant intellect était inversement proportionnel à ton intelligence émotionnelle et, je dois l’avouer avec peine, à ton arrogance (nouvelle ?) et finis par secouer ostensiblement la tête ces dernières semaines lorsque tu semblais tout à fait (trop même !) à l’aise avec la police de Mario Nobin ou l’ICAC qui, des instruments du pouvoir sous Ramgoolam, étaient devenus par miracle les institutions les plus indépendantes de notre pays ! Il n’y a pas de pires aveugles que les politiciens, c’est connu, mais les amis, les vrais, sont ceux qui n’ont pas peur de nous dire le fond de leur pensée, sans concession aucune.
Nous sommes d’accord que nul n’est au-dessus de la loi et ceux qui l’enfreignent doivent en subir les conséquences mais tu seras d’accord, je l’espère, que l’escalade de cette dernière semaine envers le DPP, puis le judiciaire n’augure rien de bon pour la séparation des pouvoirs. Au rythme où vont les choses, tu feras Montesquieu se retourner dans sa tombe et réaliser qu’à Maurice «le pouvoir ne pourra bientôt plus arrêter le pouvoir».
Puisque englué dans l’exercice du pouvoir tu ne peux voir l’évidence, je préfère te dire ce que moi – il est vrai dans ma zone de confort – je constate. La police de Nobin est très mal partie (et moi qui naïvement pensais que ce Monsieur allait se démarquer de son prédécesseur notoire). Au pire, elle dépassera celle de Rampersad dans le rôle de paillasson du pouvoir et je pèse mes mots, au mieux l’égalera. Quant à l’ICAC, la cause est entendue, tant que ses responsables seront nommés par le pouvoir en place comme cela a été le cas ces dernières années, sans consultation aucune avec le leader de l’opposition, je n’aurai aucune confi ance en son indépendance.
PRENDRE CONSCIENCE
Tu me vois donc très déçu de ton rôle en tant que défenseur de nos institutions jusqu’ici et j’espère seulement que tu prendras conscience que la société civile ne laissera personne salir les institutions de la République sans réagir. Toi et tes amis politiciens au pouvoir sont bien placés pour savoir que la roue tourne et que le peuple de Maurice a de hautes aspirations démocratiques… pas cette caricature qu’elle nous livre ces tempsci. La vendetta n’a jamais mené un État bien loin (et je ne parle pas de Ramgoolam !) et il est encore temps de te ressaisir toi et les tiens.
Ce serait une exagération de parler d’État policier à ce stade ou d’État voyou car notre judiciaire est encore crédible, notre presse est encore insolente et la société civile dans son ensemble, même si elle a été plus spectatrice que commentatrice jusqu’ici, reste vigilante.
À ce stade, je préfère ne pas te rencontrer. Si tu veux me répondre, tu pourras le faire par presse interposée.
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