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Un intuitif aux affaires
On peut aimer ou pas, respecter ou pas M. Vishnu Lutchmeenaraidoo, mais il faut quand même lui donner le crédit d’être un esprit novateur qui ne craint pas de casser le moule, de prendre à contre-pied, de provoquer la réflexion. Et comme lui-même le décrivait lors de son passage à l’express jeudi, il s’engage souvent sur une intuition profonde, une conviction, plutôt qu’une analyse quantifiée, ou, comme il le dit, «des seuls chiffres».
Dans les années 80, il a eu l’intuition que pour libérer les forces entrepreneuriales du pays, il fallait enlever le corset fiscal qui affichait le message tant consternant qu’improductif que plus vous en ferez, plus vous serez taxé ; plus votre salaire sera fort, plus l’Etat y aura droit ! Le pays était pourtant dans une passe économique extrêmement difficile suggérant plus d’austérité, mais même les commentaires raccourcis, l’accusant de récompenser ceux qui étaient déjà moins à plaindre, ne l’ont pas alors dévié de son intuition. Ayant stimulé l’investissement, et donc l’emploi, il y rajoutait ce pour quoi il est sans doute plus reconnu : la baisse des droits de douane afin de démocratiser les possibilités d’accès à la consommation, notamment de biens durables et son fameux «no-tax budget», un «youpi» annuel qui dopait la confiance et stimulait la croissance. On connaît le résultat.
Le clavier fiscal n’est plus disponible en 2015, Rama Sithanen étant passé par là, à son tour, avec sa taxe uniforme à 15 %. Mais Lutchmeenaraidoo affirme toujours ses intuitions et comprend crucialement que la confiance est l’élément clé d’un renouveau économique. Son équation confiance, il l’ancre d’abord sur une compensation salariale de Rs 600 et une pension de vieillesse à Rs 5 000, mais le «nettoyage», s’il est nécessaire et largement bienvenu, noie le message du Budget et relègue l’item économique dans la conscience quotidienne de la population, les telenovelas de BAI, Terre-Rouge– Verdun, Betamax, Ramgoolam, DPP, Pravind Jugnauth, Bhadain, Subron ou Soornack accaparant les projecteurs et massifiant les regards ailleurs. L’Economic Mission Statement doit être compris comme une tentative de remettre l’agenda économique au centre des préoccupations de la nation. Pour ce faire, le PM se mobilise. Dommage que le débat dérape pour se focaliser non pas sur le «rêve» et les moyens mis en place pour le concrétiser, comme élaboré par Sithanen le 26 août dans les colonnes de l’express, mais sur un chiffre, c.-à-d. la moyenne de croissance de la période 2006 à 2014. L’erreur est certes grossière, Kronik elle devrait honnêtement être reconnue, mais, à vrai dire, 4,2 % ou 3 % ne changent rien à notre situation actuelle et aux défis qui nous guettent…
Les peuples, c’est bien connu depuis l’Empire romain, ont souvent été assoupis par des jeux de cirque et du pain. Le cirque, on en a eu notre dose sans doute, comme jamais auparavant ! Et même si le pain ne manque pas, littéralement, le peuple commence à grogner un peu parce que ses soucis premiers – emplois, pouvoir d’achat amélioré, chantiers divers – ne se voient pas beaucoup pour l’instant. Ce qui fait dire à Lutchmeenaraidoo que cela relève de l’impatience de ceux qui sont à la recherche de la gratification instantanée. Il devrait savoir que cela découle d’une évolution profonde du mode de vie du pays, dans le sillage de celui de la planète ! Si, à l’époque, on épargnait dur avant de se payer quelque item, aujourd’hui, on peut se payer beaucoup plus en prenant du crédit, même de manière imprudente. De même, les mondes virtuels d’Internet promettent de plus en plus cette gratification instantanée (même si souvent irréaliste !).
On peut ainsi facilement «chatter» avec une fille ou insulter quelqu’un sur un blog sous le couvert de l’anonymat, par exemple, alors qu’en chair et en os, il y a seulement quelques décades, ce n’était pas un cap à passer aussi simplement… Les «couillons» de l’industrie de la crédulité en rajoutent et vont coûter très cher ! En 2015, n’importe quel «n’importe» peut même gérer Manchester United et obtenir, invariablement, de meilleurs résultats que Van Gaal…
Parmi les intuitions de Lutchmeenaraidoo, celle d’accepter l’invitation de la rédaction de l’express jeudi. Une courageuse grande première. Le ministre, pour reprendre une image footballistique, était venu pour «monopoliser le ballon» et réussissait cela plutôt bien : en effet, si vous minimisez les occasions de possession de ballon de l’adversaire, les chances pour ce dernier de scorer diminuent ! Bien ! Mais faut-il encore que cette possession ne soit pas stérile et même s’il a souvent été au score, il a aussi parfois défait son emprise sur le jeu, avec des longueurs verbales et quelques répétitions énervantes. Mais en gros, les messages sont passés : Lutchmeenaraidoo ne se voit pas en chef d’orchestre, mais en instrument ; il s’impatiente lui aussi sur l’improductif et le factice, il a besoin de deux mois encore pour finaliser les investissements sur le port, il sent la fin des Double Taxation Agreements et s’active à y trouver des parades, notamment en Afrique (et note, à cet effet, que le protocole sucrier avec l’Europe était souhaité perpétuel aussi…). Il concède le moins que parfait sur l’affaire BAI, mais argue avoir ainsi «acheté la paix sociale», il dit que la vague d’investissement sera visible l’an prochain, il invite TOUTE la population à s’activer et à s’investir dans le rêve à concrétiser et, nous le prendrons au mot, dit que les forces économiques du pays doivent toutes être conjuguées ensemble, sans discrimination aucune, surtout pas partisanes.
Dimanche dernier, cette chronique se terminait en demandant, face à l’incohérence apparente entre l’Economic Mission Statement de SAJ et ce qui s’est pratiqué huit mois durant, quel est le vrai gouvernement auquel on a affaire ? Et d’ajouter : «Car il faut savoir. Pour croire.»
M. Lutchmeenaraidoo nous dit qu’il faut croire d’abord. Et qu’on verra ensuite ! Allons croire !
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