Publicité

Chagos : pourquoi Maurice finira par gagner...

2 juillet 2016, 07:46

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

David contre Goliath (x 2). Cette légende planétaire d’un petit berger (David) qui se bat contre un puissant guerrier armé jusqu’aux dents (Goliath) s’applique aisément au ton et à la teneur injustes du communiqué CONJOINT des Américains et des Britanniques destiné aux Mauriciens. Dans ce combat mythique entre forces inégales, c’est le plus faible qui gagne alors que le plus fort finit, le plus souvent, par mordre la poussière. Ce sera aussi le cas pour nous.

Avant de revenir sur la victoire tactique de David, attardons-nous sur le communiqué conjoint qui est – et on le concède tous ici à Maurice – insultant, intimidant et menaçant à plus d’un titre. Nous avons voulu savoir qui en est à l’origine : est-ce un drafting à l’américaine ou à l’anglaise, où chacune des deux parties a rédigé un paragraphe ? Nous avons donc appelé les deux numéros de téléphone qui se trouvent au bas du communiqué pour en savoir plus. Bien évidemment on n’en saura rien sur le «writing process» et/ou les «writers». On nous a expliqué, de manière tantôt laborieuse, tantôt gênée, que c’est un travail d’équipe, fait à «haut niveau», entre Londres et Washington, DC. Au niveau de Port-Louis, nous a-t-on assuré, on a surtout fait de la «coordination» et de la «diffusion».

Selon nos renseignements, Washington, DC, ne s’est pas mêlé de la question de souveraineté par principe et par tradition. «C’est un litige entre Londres et Port-Louis et on ne se mêle pas normalement de cette question», nous a expliqué, au téléphone, une source bien placée de l’US State Department, qui connaît le dossier chagossien. Selon cette source de Washington, DC, eu égard seulement à la phrase (un petit détail mais qui a une importance capitale ici) «...which have been British since 1814», le drafting ne peut PAS être d’origine américaine, mais certainement britannique. Au niveau des Britanniques, personne ne peut/veut dire à quel niveau le communiqué a été rédigé, en raison, entre autres, du remue-ménage provoqué par le Brexit.

Au-delà du blabla officiel du communiqué, qui évoque tour à tour les relations entre ces deux grandes nations et Maurice, un peu d’histoire pour ancrer la souveraineté britannique sur les Chagos, l’importance militaire de cet archipel pour la paix dans le monde, donc bénéfique aussi pour Maurice et la possibilité de le céder... à Maurice quand sa militarisation ne sera plus de mise, il y a une grosse contradiction. Pourquoi céder à Maurice les Chagos alors que notre pays n’en est pas souverain (paragraphe 2, paragraphe 3) : «Whilst neither the UK nor USA recognises the Republic of Mauritius’ claim to sovereignty of that Territory....»; «Referral of this matter to the International Court of Justice would cause lasting damage to Mauritius’ bilateral relations with both the UK and the USA».

S’ils refusent de reconnaître notre souveraineté et nous déconseillent de faire appel à la justice internationale, alors que nos minces cartouches sont épuisées, pourquoi tant de bonté de leur part ? Bien entendu, parce que c’est un leurre : ne nous poursuivez pas au tribunal, et si vous le faites nous vous cèderons peut-être un jour les Chagos. Peut-être, un jour...

Là c’est la carotte, que l’on retrouve également au paragraphe 4, première phrase («from which Mauritius will gain the benefit of friendly bilateral relations»). Mais ces deux ambassades manient aussi le bâton, et c’est la partie la plus intéressante, car c’est le coeur du communiqué et son objectif premier : la menace, l’intimidation, et c’est une salve en une phrase courte qui fait un paragraphe entier, car il n’y a que ça de primordial à dire (paragraphe 3).

Alors pourquoi cette menace, pourquoi cette intimidation ? Parce que le non-dit est que UK et USA ont peur que Maurice saisisse la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye. Est-ce une peur feinte ou est-elle réelle ? Si elle est réelle, il faut qu’on se penche TOUS (gouvernement, oppositions, société civile et journalistes, étudiants en droit et en relations internationales, citoyens d’ici et de la diaspora éparpillée sur la mappemonde) sur les voies et moyens pour saisir la CIJ afin d’avoir son «Advisory Opinion» – qui sera un atout de taille pour les négociations futures. Il faut solidement ficeler le dossier mauricien, mobiliser nos amis de la région, des SIDS, de la Francophonie, du Commonwealth, des espaces créolophones, en vue de la nouvelle résolution à être introduite à l’assemblée générale de l’ONU. Avec les résolutions 1514 et 2066 déjà en poche mais mal exploitées jusqu’ici, ce nouveau soutien onusien nous ouvrira les portes de La Haye.

Bientôt un demi-siècle après notre indépendance, il nous faut nous rendre à l’évidence : dans l’affaire des Chagos, les Britanniques et les Américains n’ont jamais joué cartes sur table. Il faut dès lors multiplier les stratégies contre les deux superpuissances et les attaquer sur d’autres plans et en même temps aussi. Après l’attaque simultanée des Américains et des Britanniques, il est opportun que les trois anciens PM (Jugnauth, Bérenger et Ramgoolam) s’assoient autour d’une même table pour accorder leurs violons – est-ce trop leur demander que de mettre leur ego de côté afin de discuter d’une stratégie nationale qui devrait être au-dessus des guéguerres politiques internes ? Peut-être pourraient-ils discuter du point soulevé par le diplomate-écrivain Jean-Claude de l’Estrac qui, dans une récente interview accordée à l’express, a pris plus d’un à contre-pied en affirmant : «On sait que la compétence de la Cour internationale est essentiellement facultative, que le recours nécessite l’accord des États en litige, que le Royaume-Uni ne donnera jamais son accord. Il est toujours possible de demander à un organe des Nations unies de saisir la CIJ mais à quoi bon puisque cet avis n’a aucune force contraignante. Voilà pourquoi, je ne comprends pas cette subite agitation».

Autre point intéressant sur lequel on devrait se pencher, celui du légiste Parvez Dookhy : «Deux possibilités s’offrent tant aux victimes de la déportation qu’à l’État de Maurice : une plainte auprès de la Cour pénale internationale portant sur la déportation des Chagossiens. Je considère que la Cour est compétente pour juger ces faits car le «crime se poursuit» (an ongoing crime) tant que les Chagossiens n’ont pas le droit au retour (v. mon article en 2008 à ce sujet dans l’express). Et l’ouverture d’une enquête chez nous, à Maurice, pour crime contre l’humanité dans cette affaire. En effet, depuis la loi mauricienne de 2011, la justice (mauricienne) a compétence pour juger des crimes contre l’humanité dès lors qu’un Mauricien en est victime ou que le crime ait été commis sur le territoire mauricien (ce qui est le cas en l’espèce)». Selon Me Dookhy, l’action mauricienne doit être dirigée contre la reine Elizabeth, l’autorité suprême en matière des colonies !

***

Revenons à l’histoire biblique David contre Goliath. Pour comprendre pourquoi les faibles et petits sont plus à même de gagner, il faut lire le journaliste Malcolm Gladwell (qui travaille au NewYorker). Dans son récent livre, «David et Goliath, l’art de contourner les règles du jeu», il déconstruit les idées reçues et soutient une thèse enthousiasmante (pour nous, mais peut-être pas pour les Chagossiens britanniques) : ceux qui se trouvent en principe désavantagés ont autant de chances de réussir, sinon plus, que les favoris. «De Martin Luther King à Lawrence d’Arabie, d’un avocat dyslexique devenu un orateur hors pair à un entraîneur de basket-ball qui fait gagner la pire équipe de sa ligue»... Comme les exemples de Malcolm Gladwell, la nation mauricienne peut se muer en de véritables battants qui peuvent faire évoluer une situation difficile à notre avantage. Sans les Chagos, notre indépendance ne sera pas complète ! Et si, en 1967, nous étions divisés sur la voie à emprunter, aujourd’hui, sur LA QUESTION de souveraineté, nous sommes tous derrière sir Anerood Jugnauth. C’est notre David national ! Et ensemble on fera tomber deux géants de ce monde… Ce but ultime a ceci de bon : il nous permet de fédérer la nation autour d’un projet commun. «As one people, as one nation».