Publicité
Rendez-nous la monnaie de notre pièce !
Par
Partager cet article
Rendez-nous la monnaie de notre pièce !
Aux effigies qui ornent les pièces de monnaie depuis toujours, la tradition s’est compliquée après l’introduction des billets de banque. Ces illustrations choisies, qui possèdent un cachet symbolique, diffèrent selon les époques et les cultures. Selon des historiens et des anthropologues, la monnaie est bien plus ancienne que le capitalisme ou le marché. L’Histoire des billets de banque à travers le monde, une formidable épopée en soi, se découpe en grandes périodes qui suivent plus ou moins chronologiquement les principales étapes de la fabrication ou du style. Chez nous, les billets de banque riment surtout avec communalisme, politique et affaires qu’on tente d’étouffer.
Nos crises monétaires à nous ne sont pas économiques – même si elles impactent sérieusement sur l’économie. Nos crises monétaires se focalisent (bien) moins sur l’intérêt ou non d’une roupie forte, le niveau des réserves nationales (en or ou en argent liquide), la dévaluation du sterling, que sur le besoin de rendre grâce à des chefs de tribus politiques.
Il y a quelques années, soit en 1992, beaucoup se sont indignés de voir sur des coupures de Rs 500 l’effigie du Premier ministre Anerood Jugnauth et celle de son épouse sur le fameux billet de Rs 20 (retiré de la circulation après avoir provoqué un scandale digne de l’euroloan de Vishnu Lutchmeenaraidoo). Le gouvernement a été soumis à une pression intenable de la part du public. À tel point que sir Anerood est venu admettre son erreur sur la coupure de Rs 20. «Je n’ai pas assez réfléchi avant d’accepter la proposition de Vishnu Lutchmeenaraidoo, ancien ministre des Finances, et du gouverneur de la Banque centrale d’alors, sir Indur Ramphul.» MM. Ramphul et Lutchmeenaraidoo pensaient faire plaisir au seigneur Jugnauth en plaçant l’effigie de son épouse sur ce billet de triste mémoire. C’est le contraire qui s’est produit. Les Jugnauth ont sans doute vécu, lors de cet incident, l’un des pires moments de leur vie, victimes qu’ils étaient de moqueries du public – qui n’hésitait pas à recouvrir les billets de Rs 20 de toutes sortes d’insanités. Billets qu’on a dû détruire par la suite.
En 1998, Maurice vit une autre crise monétaire intense, qui ébranle le pays tout entier. Cette fois-ci, ce n’est pas sur les effigies que porte la polémique (car entre-temps on a compris qu’il fallait choisir des personnages qui sont déjà morts et qui sont donc peu susceptibles de prêter à la controverse), mais sur un changement dans l’ordre des inscriptions sur les billets de banque. Quelqu’un a pensé qu’il fallait mettre le libellé en hindi avant son équivalent en tamoul. Et cela a donné lieu à une impressionnante mobilisation des organisations socioculturelles tamoules, rejointes par la suite par d’autres groupes de pression.
Cet épisode nous a révélé le meilleur et le pire de notre société pluraliste, qui repose sur un délicat équilibre qu’il nous faut respecter, tout en allant de l’avant. L’ampleur de la revendication des Tamouls (qui ne voulaient pas qu’on relègue au second plan leur place dans l’histoire) a aussi permis d’éclairer un pan important de notre histoire commune : les premiers ouvriers libres sont venus de Pondichery en 1729 – ce qui fait d’eux les premiers immigrés indiens à s’installer sur l’isle de France. C’est un fait historique, reconnu par nombre d’historiens. Face au poids de la revendication – et de l’histoire – l’État, d’abord hésitant à faire réimprimer de nouveaux billets de banque (en raison du trou que cela laissera au Trésor public), a fini par céder. Et le gouverneur de la Banque centrale de l’époque, Dan Maraye, a dû prendre la sortie. Et aujourd’hui, quand Pravind Jugnauth vient nous dire que c’est en raison de Rs 600 millions qu’il souhaite bloquer les nouveaux billets que la Banque centrale comptait lancer, on a un peu de mal à le croire. Dans certains quartiers, on le dit du reste sans détour : il y aurait une tentative d’effacer les traces de Ramgoolam – présent sur le billet de Rs 2 000 – et que c’est pour cela qu’on souhaite de nouveaux designs. Toutefois, comme les choses sont toujours un peu plus compliquées chez nous, on avait oublié qu’il y avait aussi l’effigie de sir Gaëtan Duval – sur le billet de Rs 1 000, qui est le billet le plus populaire ! Et gageons que le PMSD ne voulait pas qu’on gomme son leader historique des poches des Mauriciens. D’où les tensions intergouvernementales – qu’on dé- ment à l’hôtel du gouvernement. Ce n’est pas une priorité, nous explique-t-on. Pourtant, de Rundheersing Bheenick à Ramesh Basant Roi, la Banque centrale, pour des raisons de sécurité et de rationalité économique – pourquoi avoir un billet de Rs 25 et une pièce de Rs 20, par exemple – essaie de publier cette nouvelle famille de billets. Mais les descendants de Ramgoolam, Duval et Jugnauth, sans compter les Mohamed, Seeneevassen et Ah Chuen, ne vont pas se laisser faire aussi facilement. Pas facile, Maurice…
* * *
M. Xavier-Luc Duval nous a énergiquement fait part de son agacement au téléphone cette semaine. Non content qu’on ait mentionné un «soi-disant» rapprochement des bleus avec les rouges, et d’avoir publié les comptes d’AML, il nous a accusé de ne pas… l’aimer ! Il n’a pas tort. Mais il n’a pas raison non plus ! Et quand il avait fini sa longue tirade contre nous, on lui a demandé ce qu’il pensait des billets de banque. Il n’a pas souhaité élaborer et nous a donné rendez-vous pour un déjeuner.
Publicité
Les plus récents