Publicité

Au pays de Dimitri

11 juillet 2016, 07:43

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

À l’heure où s’écrivait cet édito hier, soit avant 23 heures, devant un écran géant à double-face, au Barachois de St-Denis (La Réunion), Dimitri Payet venait tout juste de fouler le Stade de France. À chaque foulée de l’enfant-péi, nos cousins réunionnais écarquillaient les yeux, arrêtaient tout bavardage et dégustaient, en direct, cet instant magique par procuration, à travers Dimitri.

Né dans le Sud sauvage de l’île intense, au pied du volcan, à quelques jets de St- Pierre, Dimitri est devenu, malgré lui peut-être, le rassembleur de La Réunion et, dans une moindre mesure, avec Griezmann et Pogba, le rassembleur de cette France cosmopolite, hétérogène, outre-mer. Dix-huit ans après 1998, les Réunionnais sont de nouveau en communion avec leur équipe black-blanc-beur, version 2016. Même si cela ne dure que le temps d’un tournoi.

À 29 ans, même si Payet n’a pas encore gagné de titre majeur, il est devenu le joker de La Réunion, l’idole des jeunes et des vieux, le symbole de cette équipe de France bariolée qui triomphe dans cet Euro 2016. Grâce à lui, toute La Réunion est devenue une immense Fan Zone. Et même si cela ne dure, au moins il y a eu ce frémissement collectif.

Les journalistes et historiens ici expliquent ce phénomène de rassemblement par le contexte : la France et, davantage peut-être, La Réunion passent par une période de crises diverses, de clivages de toutes sortes, de troubles économiques, politiques et sécuritaires, voire identitaires. Émerge alors naturellement ce besoin d’homme providentiel. Ce besoin de se regrouper derrière un symbole provenant surtout d’une incapacité collective à prendre son destin, comme nation, en main.

Fait notable : Dimitri est, de tous les Bleus sur le Stade de France, le joueur qui vient du Sud le plus lointain. À 15 ans, il avait été pratiquement arraché de son village natal de St-Philippe pour aller perfectionner son football (appris dans la rue) au centre de formation du Havre, «en métropole, chez les zorey». L’adolescent n’était pas préparé psychologiquement pour cela. Il en a souffert avant, puis a su transformer ses origines réunionnaises en atout – en termes de diversité – et ainsi surmonter les douleurs du déracinement.

C’est connu : la force du collectif stimule. Cela s’applique aussi bien à une personne qu’à un collectif. Plusieurs études démontrent qu’à travers le monde de l’entreprise ou à l’échelle d’un pays, la même logique l’emporte sur le repli sur soi : l’hétérogénéité et la différence sont les éléments essentiels du progrès humain. «La force collective est plus importante que la somme des forces de chaque participant.»

Alors que le Royaume-Uni vient de voter le Brexit et que des mouvements populistes et séparatistes ne cessent de se répandre depuis, des expériences liées au sport peuvent sérieusement questionner les thématiques du protectionnisme et du renfermement sur soi.

À l’heure où nous écrivions ces dernières lignes, Dimitri Payet n’avait pas marqué contre l’équipe de Cristiano Ronaldo, l’issue du match était encore certaine, mais le talent de l’idole de l’île soeur avait déjà atteint un but retentissant : tous les tricolores sur les murs éclairés et les visages rayonnants de La Réunion, hier soir, faisaient flotter dans l’air un doux parfum de revanche sur les forces divisionnistes qui ébranlent de temps en temps les sociétés plurielles. Et aussi ce questionnement essentiel, existentiel : pourquoi, chez nous, à Maurice, notre diversité, au lieu de faire progresser notre football, l’a tout bonnement assassiné ?

***

À 3 heures du matin, toutes les voitures étaient au garage, les rues étaient désertes, les bars et les verres vidés, les Dyonisiens n'ont pas fait la fête jusqu'à six heures. Ce matin, encore, une voiture, une seule, a klaxonné joyeusement à travers la ville. Elle devait être maudite par l'ensemble de La Réunion qui se réveille avec une gueule de bois. Dimitri n'a pas marqué, la Réunion a perdu, mais toute l'île a gagné, le temps de l'Euro 2016, ce sentiment d'appartenance derrière un drapeau. C'est déjà pas mal ! Pour sortir d'autres grands jeux et atteindre d'autres enjeux.