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De Piketty à Sithanen : l’exigence du savoir
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De Piketty à Sithanen : l’exigence du savoir
Une fois n’est pas coutume, l’information économique reprend une place centrale au sein de l’espace public mauricien. Tant mieux. La nomination de Pravind Jugnauth aux Finances (le 26 mai 2016), en remplacement d’un Premier ministre déjà débordé et dépassé, qui, lui-même avait repris le bâton d’un Vishnu Lutchmeenaraidoo passablement déphasé (le 14 mars 2016), ainsi que l’annonce de la présentation imminente du Budget (ce 29 juillet) précipitent les questions de l’homme de la rue et remettent sur le tapis les choix et orientations d’ordre économique et politique.
Depuis l’arrivée au pouvoir de Lepep, le public attend, certes avec de moins en moins d’espoir, ce «deuxième miracle économique». Dans une large mesure, les signes d’une reprise demeurent invisibles. Un seul indicateur-clé, celui mesurant la croissance, suffit pour illustrer la déroute de Lepep. Alors qu’on nous avait promis une progression du Produit intérieur brut qui se situerait dans une fourchette de 5,3 % en juin 2016 à 5,7 % en juin 2017, à juin 2015, presque tout le monde avait saisi qu’on n’était pas du tout «on target», pire qu’on s’enfonçait dans le marécage des smart cities, sans une réelle stratégie d’ensemble pour accroître la compétitivité et la productivité et encourager l’innovation et la technologie. Bref qu’au lieu d’aller de l’avant (sauf pour le tourisme), on ne fait que patauger dans la semoule.
Toutefois, malgré cette conjoncture en apparence défavorable, le ministre des Finances actuel possède un solide atout (que Lutchmeenaraidoo n’avait pas) : il est aussi le leader du plus grand parti au pouvoir. À ce titre, il peut potentiellement apporter cohérence et stabilité à l’action gouvernementale. À ce jour, on a trop souvent la singulière impression que chaque ministre, chaque parti, de l’assemblage Lepep tire dans une direction, chacune pas la même ! Les remous au sein du comité parlementaire, cette semaine, prouvent bel et bien que sir Anerood n’arrive plus à contrôler ni ses troupes ni les travaux parlementaires…
Entre-temps, que ce soit dans le privé ou dans le gouvernement, il y a unanimité à reconnaître que les défis économiques (croissance négative pour la zone franche, le secteur de la canne et l’investissement privé, entre autres) qui guettent le pays tant sur le plan local que mondial sont multiples et complexes. C’est dans une démarche – citoyenne – de cerner la nébuleuse situation économique et les chocs externes (Brexit, prix du brut, chômage, dette, éclatements de bulles, etc.) que l’express a choisi d’approcher l’ancien ministre des Finances et économiste Rama Sithanen. «Pravind Jugnauth aura un double dé- fi à relever : d’abord celui de relancer la machine économique et, en même temps, résoudre le problème de la pauvreté et diminuer les inégalités. Le ministre dispose de cinq principaux outils pour résoudre ces problèmes, notamment la politique budgétaire et monétaire, la fiscalité, le taux de change et les réformes structurelles. Chaque ministre des Finances utilise ces outils de différentes manières», souligne Sithanen en avant-propos de la série d’articles qu’il consacre, en partenariat avec notre groupe de presse, au Budget 2016-2017 (voir en page 16 et sur lexpress.mu).
Sollicité de part et d’autre pour jouer au décrypteur de service, Sithanen, qui observe l’évolution économique de Maurice depuis quatre décennies, et qui a eu diverses expériences politiques (dont certaines malheureuses), est conscient que le public et les médias se posent de multiples questions. Comme nous, il sent cette exigence du Mauricien lambda de savoir, ce besoin citoyen de débattre des faits économiques (que d’aucuns tenteraient d’escamoter).
Cette exigence de savoir se révèle en fait un phénomène mondial. L’économiste Thomas Piketty, l’auteur du Capital au XXIe siècle, est le premier surpris que son pavé sur l’histoire du capitalisme (épais de 1 000 pages) se vende à plus de 2 millions d’exemplaires dans le monde. Ceux qui ont parcouru l’ouvrage réalisent à quel point il devient essentiel de revenir aux sources de la théorie économique pour mieux saisir, par exemple, l’inégalité des revenus qui se creuse au sein d’un système capitaliste. Patrick Chabert, responsable éditorial de Capital, va plus loin : il y a lieu de relire les écrits des grands penseurs de l’économie, dit-il. Dans un numéro spécial de Capital, Chabert explique que «nous avons sélectionné trente penseurs, d’Adam Smith, né en 1723, le philosophe devenu économiste, considéré comme le père des sciences économiques modernes, à Thomas Piketty, né en 1971, l’économiste devenu auteur de best-sellers, à qui nombre de collègues ont déjà prédit le Nobel». Comme John Kenneth Galbraith l’affirmait, «il n’existe aucun processus ni problème économique qui ne puisse être formulé en langage clair, et mis ainsi à la portée du lecteur cultivé et intéressé».
Si les économistes sont plus présents dans le débat public, cela est dû au fait que l’économie se retrouve, sans doute, davantage dans la vie des gens qu’il y a vingt ou quarante ans. Probablement encore plus depuis la crise financière. Et de Piketty à Sithanen, l’on ne peut, donc, que se réjouir que les meilleurs économistes participent, avec un souci de vulgarisation, au débat public. Ce serait bien que les politiques au pouvoir oublient leur agenda de politiciens et s’inspirent des travaux de recherches pour changer les lois et parvenir, enfin, à relancer la croissance.
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