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Petits pays, gros mots
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Petits pays, gros mots
«Fils de pute, je vais te porter malheur…» a assené, en début de semaine, Rodrigo Duterte à Barack Obama . Le président philippin voulait, par ces gros mots, démontrer que son pays, malgré sa petite taille relative, est souverain, que le colonialisme était fini, qu’il n’est pas un «American puppet». Hier, toutefois, le président Duterte, sous la pression, a choisi de s’excuser, se fendant d’un communiqué :«Je regrette que mes remarques devant la presse aient causé une telle controverse internationale.» Mais la violence verbale était déjà sortie de ses tripes, et la relation bilatérale entre les Philippines et les États-Unis avait déjà pris un sale coup. Qu’à cela ne tienne ? Pas vraiment…
Depuis son accession au pouvoir en juin 2016, Duterte, un vrai Rambo des temps modernes, multiplie les insultes contre les autorités US, menaçant de rompre diplomatiquement avec Washington, DC, et de quitter l’ONU, surtout depuis qu’il s’est attiré des critiques pour avoir incité ses concitoyens à tuer eux-mêmes les toxicomanes et dealers, afin d’éradiquer le fléau de la drogue aux Philippines. Ces exécutions extrajudiciaires auraient déjà fait près de 2 000 morts!
Même s’il ne parvient pas à de tels extrêmes, sir Anerood Jugnauth, non plus, n’a pas sa langue dans sa poche. Pas content que le rapport d’État américain sur les droits humains épingle régulièrement Maurice, notre Premier ministre, sur les caisses de savon du 1er mai dernier, à Vacoas, avait lancé ceci, sur les ondes et sur la Toile : «Bé si sa lorganizasion-la pé mouy dan k*k*, mwa osi mo bizin mouy dan k*k* ? Eski linn fer lanket linn gété ki lavérité ladan ? Bé ki respé mo pou éna pou enn lorganizasion parey ? Kan mem lé ÉtatsUnis kan mem ki kouyon li été…»
Cette vulgarité de la part du PM avait choqué le public en général, et les chancelleries et les diplomates en particulier. Peut- être pas autant dans le fond – puisqu’on connaissait les écarts de langage de SAJ et surtout parce que les États-Unis, comme la Grande-Bretagne, la France, la Chine, la Russie, ou beaucoup d’autres «grands» pays, ne sont pas forcément des exemples à brandir en termes de respect des droits humains et du droit international – mais c’était surtout la forme qui provoquait gêne et embarras dans le monde feutré et soyeux de la diplomatie. Surtout quand les attaques sont sous la ceinture, vulgaires, obscènes. On attend d’un chef d’État, d’un grand comme d’un petit pays, qu’il prenne de la hauteur. Qu’il fasse son point avec panache, à l’instar d’un Mandela, d’un Nehru, voire d’une Thatcher. Stephen Walt, professeur en relations internationales à Harvard, aime souligner que «the problem with entrusting one’s fate to ‘Great Leaders’ is that we are all human, and no one is infallible. With great power often comes hubris, and hubris unconstrained is a recipe for disaster».
Les relations internationales comportent cette part d’obscurité humaine, qui les fait avancer ou reculer. Elles restent rarement statiques, car le monde évolue constamment. À force d’échanges et de commerce, on peut tenter d’expliquer les stratégies globales pour faire repartir la croissance macroéconomique, les compétitions de puissance, les conflits internationaux, les errements du capitalisme, les ratages de la mondialisation, mais l’on peut difficilement cadrer et prévoir les comportements sociaux et humains. Il existera toujours, dans certains pays plus que d’autres, des ego politiciens surdimensionnés qui, à la tête de leur front national, pensent pouvoir œuvrer en dehors du système international. Et ce malgré le fait que le dernier sommet du G20, tenu les 4 et 5 septembre en Chine, reconnaît unanimement que l’on progresse économiquement ensemble, il «nous faut soutenir le système d’échanges commerciaux multilatéral (…) et revitaliser le commerce et les investissements internationaux».
Pour gagner du temps, les États essaient d’opposer à la complexité des constructions multilatérales le pragmatisme des relations bilatérales, basées, dit-on, «sur des bases égalitaires», ou «sur un vrai partenariat», nonobstant le fait que les États, de tout temps, n’ont que des intérêts, pas vraiment d’amis. Certes chaque pays a un vote au sein de l’ONU, mais, dans la pratique, cette typologie égalitaire s’avère un mythe. Dans le cas des Chagos, par exemple, on le réalise de plus en plus, face à l’arrogance de Londres, et le rôle volontairement effacé que joue Washington, DC – qui place le bouclier britannique entre ses besoins sécuritaires et nos revendications territoriales – et surtout l’impotence de l’ONU.
L’histoire nous rappelle que les liens entre peuples et pays sont tissés sur un canevas de domination, de puissance, d’intérêts géostratégiques. Avec la mondialisation, les frontières sont quasi inexistantes, le protectionnisme un rempart vain. La vérité c’est que la séparation entre l’interne et l’externe, entre le local et le mondial, disparaît, alors que les gros mots, eux, resteront sur Internet, aussi longtemps que celui-ci existera...
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