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Confusions en heritage

10 septembre 2016, 07:35

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Énième revirement de situation, encore un retournement de veste, une autre de ces valses-hésitations. Heritage City, ce méga projet cher au Premier ministre et au ministre Roshi Bhadain, que le tandem Pravind Jugnauth-Gérard Sanspeur avait enterré au fond du Bagatelle Dam, refait surface ! C’est un peu comme si on déterrait un cadavre après des funérailles grandioses...

Le Conseil des ministres est-il donc devenu une farce ou subit-il les contrecoups d’un règlement de comptes entre un père qui ne veut pas céder du terrain et un fils qui veut reprendre les choses (trop rapidement ?) en main ? Ou est-ce toute autre chose, quelque chose d’inavouable, mêlant sentiments, ego, noeud de vipères, milliards, rapports de forces, clans, héritage et succession ?

Notre cabinet ministériel qui avait, des mois durant, soutenu le projet Heritage City, principalement parce qu’il avait la bénédiction de sir Anerood, n’a pas hésité, une seule seconde, telle une girouette, à couler le projet avec le retour aux Finances de Pravind Jugnauth. Et, aujourd’hui, re-changement de position.

Ce changement constant, cette indécision qui devient chronique, est grave. Nous avons l’impression que les ministres ne réfléchissent plus – «in their own deliberate judgment» – et se contentent de suivre celui qu’ils perçoivent comme le leader du jour. Tout en jouissant, sans entraves, des privilèges attachés à leur poste.

Cela devient évident que le leadership politique vacille de plus en plus. Il est clair que nous avons, ces jours-ci, un semblant de direction bicéphale. Qui passe son temps à se contredire, ou à casser ce que l’autre tente de construire. Tout cela ne se joue pas uniquement dans les coulisses. Le désaccord est public.

Les Xavier-Luc Duval (qui tète le pouvoir des Ramgoolam/ Jugnauth depuis ces 11 dernières années de manière ininterrompue), Ivan Collendavelloo (le «monsieur propre» qui ne pipe mot sur le cas Trilochun), Nando Bodha (qui a intérêt à se faire discret ces temps-ci), et Showkutally Soodhun (qui a lâché Bhadain de manière opportuniste), ont pensé, à tort manifestement, que le nouvel homme fort du gouvernement était Pravind Jugnauth. Et que celui-ci allait, progressivement, prendre la place de son père. En même temps, cela leur permettait de prendre leur revanche sur le bouillant Roshi Bhadain qui leur faisait de l’ombre (entre autres en raison de sa maîtrise des réseaux sociaux) – et dont la proximité avec SAJ n’était pas vue d’un bon oeil, surtout par la clique entourant le leader du MSM.

Que s’est-il donc passé pour que sir Anerood Jugnauth revienne sur la décision d’avorter Heritage City ? Veut-il prouver à son fils et à ses suiveurs que c’est lui – et lui seul – le chef ? Est-ce dû au financement indien que Pravind Jugnauth comptait renégocier ? Est-ce simplement pour détourner l’attention médiatique des allégations sérieuses de Kailash Trilochun ?

Ou alors est-ce un subterfuge pour remettre ce projet de quelque Rs 30 milliards sur les rails mais cette fois-ci sans Bhadain et Soodhun, mais avec  de nouveaux «arrangements» plus «Sun Trust-friendly» ?

***

L’avocat du diable... ou diable d’avocat ? Il n’était pas si fou que cela !

Aujourd’hui, on comprend mieux pourquoi le travailliste Rama Valayden a volé au secours du cousin et beaufrère de Bodha. Alors qu’au départ, on pensait, à tort ou à raison, que Me Valayden défendait Kailash Trilochun pour plusieurs raisons (notamment 1. par esprit de contradiction ou pur plaisir de la pratique du droit; 2. pour l’attention médiatique; 3. pour l’argent; 4. par amitié de «longue date»; 5. par corporatisme; 6. par conviction que l’accusé est innocent), force est de constater que l’avocat-politicien avait, en fait, un plan de com bien ficelé et une stratégie politique bien élaborée quand il a accepté, à la surprise générale, de défendre Trilochun – dont les malheurs initiaux faisaient le bonheur des travaillistes. Après sa riposte contre le MSM, il se place désormais et résolument dans le camp des rouges.

Pour cerner la tactique de Me Valayden, il est intéressant de remonter le fil du temps. Le 17 août, je reçois un appel de l’avocat qui s’insurge des conditions dans lesquelles Kailash Trilochun a reçu un paiement de plusieurs millions de roupies de l’ICTA. Il nous promet de nous envoyer un document confidentiel, soit un courriel de Me Trilochun au board de l’ICTA portant précisément sur une rencontre au PMO relative au paiement des honoraires. Au fil de la conversation, Me Valayden, qui est un bon communicant, et par ailleurs une vieille connaissance, nous donne l’impression d’être un politicien de l’opposition travailliste qui ne fait que s’élever contre la manière de faire du régime Lepep. Dans cette optique et à nos yeux, Me Valayden, connu des salles de rédaction pour être un lanceur d’alerte sur des cas de corruption et d’atteinte aux droits humains, (surtout depuis qu’il avait créé le défunt Mouvement républicain dans les années 90), adopte un discours citoyen. Et réclame même une commission d’enquête...

Le courriel que nous fait effectivement parvenir Me Valayden, daté du 7 avril 2016, peut potentiellement embarrasser le Premier ministre. Le document dit ceci : «The Prime minister made it very clear in the presence of the chairperson that he never asked for my contract as the legal advisor of the ICTA to be revoked. He never said that henceforth the SLO will be the adviser of the ICTA. He has asked that I be instructed as the legal advisor immediately. As a QC himself, he understands that we are running out of time to prepare the case.» Un peu plus loin on peut lire : «Il était convenu que j’allais être payé par heure. » Plus tard quand cette affaire éclate au Parlement, le mardi 9 août, sir Anerood Jugnauth avance : «Je dois dire Madame la présidente, qu’en recevant le montant des honoraires, j’étais choqué...»

Le lendemain de la réception du document confidentiel, soit le 18 août, on apprend que Desiré Candahoo consigne une déposition contre Kailash Trilochun eu égard à l’agression au cutter du Chairman de l’ICTA. Et, à notre étonnement, on apprend que l’avocat de Trilochun n’est autre que Valayden lui-même. Il sera encore plus surprenant d’entendre Navin Ramgoolam venir justifier le fait que Valayden défende Trilochun : «Un avocat doit faire son travail, tout comme un médecin ne peut pas refuser de soigner un patient !»

Aujourd’hui, quand on entend Trilochun tirer à boulets rouges sur les Jugnauth, on peut tenter de «connect the dots going backwards». Ramgoolam savait-il que Trilochun allait faire une sortie contre les Jugnauth et est-ce pour cela qu’il a donné sa pleine bénédiction ? Me Trilochun, qui a déjà comparu  pour la famille Jugnauth, aurait-il des dossiers compromettants contre elle qui justifierait ses propos rebelles ?

En combinant le dossier Heritage City et l’affaire ICTA, il semblerait que nous sommes en train de vivre les premières secousses d’un grave séisme politique qui se profile. Les plaques tectoniques, loin d’être statiques, commencent à bouger de plus en plus vite...dans des sens trop souvent contraires. Ainsi quand l’un dit «fou déor», l’autre dit «revival»…