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Manière de voir : Bhadain détonateur ou feu de paille ?

5 novembre 2016, 09:39

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Manière de voir : Bhadain détonateur ou feu de paille ?
Le ministre de la Bonne gouvernance (à. d.) a reçu Megh Pillay, l’ancien CEO d’Air Mauritius, jeudi.

Longtemps silencieux dans le domaine de la bonne gouvernance, Roshi Bhadain éveille les soupçons de par sa réaction dans l’affaire Air Mauritius. Réelle promotion de la bonne gouvernance ou manœuvre tactique ? Seul le temps saura le dire.

Quand Roshi Bhadain se mêle de l’affaire Megh Pillay-Air Mauritius, que cache vraiment une telle démarche ? Bhadain émule-t-il le leader du PMSD, qui est passé maître dans l’art d’avoir le beurre, l’argent du beurre et la culotte de la crémière ? Ou se positionne-til pour l’après-Anerood Jugnauth, pouvant même jouer le détonateur de bien d’événements politiques susceptibles d’ébranler le nouveau  Premier ministre ?

L’affaire Air Mauritius a scandalisé le pays et les actes de condamnation de la façon dont Megh Pillay a été débarqué de la compagnie d’aviation nationale ont été si nombreux que des membres de l’establishment comme Marc Hein et Bissoon Mungroo ont voulu nager avec le courant, créant l’impression qu’ils n’approuvaient nullement ce limogeage. Seulement, l’avocat Hein s’est vite exposé à de vives critiques sur son propre comportement vendredi dernier quand, bien que sachant que Pillay allait être congédié, il a choisi de ne pas assister à la fameuse réunion du board.

Ce nominé du PMSD a néanmoins aidé les Mauriciens à mieux comprendre le power game activé derrière le limogeage de Pillay. C’est lui qui a situé le rôle de Pravind Jugnauth dans toute cette affaire. On savait que des forces occultes étaient à l’œuvre mais ce membre du board d’Air Mauritius, proche du leader du PMSD mais ami aussi des Jugnauth, a bien défini le rôle du prince héritier Pravind dans ce coup de force.

Si les réactions du PMSD se sont limitées à quelques formules caressant dans le sens du poil la réprobation populaire, tout en se gardant de franchir le pas de la rupture, Bhadain a conçu un spectacle pour être médiatisé. Il a invité Pillay et le Chairman Arjoon Suddhoo à le rencontrer, un peu à la manière d’un président américain qui recevait Yasser Arafat et le Premier ministre israélien à la Maison Blanche. Une occasion d’images inespérée pour l’un des ministres les plus impopulaires de ce gouvernement, à en juger par l’avalanche de critiques sur les médias sociaux. Pillay s’y rend,  Suddhoo, non.

Le Chairman a-t-il voulu dire au ministre qu’il n’est redevable qu’envers les actionnaires d’Air Mauritius et non à un politicien ? Ou fort de son appartenance au clan de la famille royale, s’est-il permis de snober le ministre jugé d’ailleurs «petit» par Ivan Collendavelloo, devenu expert dans le domaine des tailles. Par les temps qui courent, un petit geste d’arrogance n’est pas interdit  dans le sérail.

«Mainmise du clan royal»

De cette rencontre entre Bhadain et Pillay, ce qu’on retiendra surtout, malgré les apparences, c’est que le ministre n’a pas catégoriquement pris position en faveur de l’ex-CEO d’Air Mauritius. Il s’est contenté d’expliquer que les règles de la bonne gouvernance n’ont pas été observées. Au fait, en décryptant les propos du ministre, on doit comprendre que si le Chairman s’était limité à présider le comité de direction et si une motion visant à limoger Pillay avait été présentée en bonne et due forme, Bhadain n’y aurait rien à redire.

Tout en jouant à l’ayatollah, quoique tardif, de la bonne gouvernance dans ce cas précis, Bhadain a profité de l’occasion pour régler ses comptes avec les Advisers. Prakash Maunthrooa frontalement mais aussi les autres, dont Gérard Sanspeur qui fait d’ailleurs l’objet d’une enquête du CCID suivant une plainte déposée par le ministre lui-même. Bhadain évoque là un sujet qui suscite beaucoup d’indignation chez les Mauriciens. En effet, les conseillers et les présidents des corps parapublics jouissent dorénavant d’une très large marge de manœuvre, renforçant de ce fait la mainmise du clan royal sur les affaires du pays.

Même le Chairman Suddhoo, qui jouait profil bas et soft, et respectait les normes de la bonne gouvernance dans ses fonctions sous de précédents gouvernements, s’est transformé en acteur féroce dans le nouvel environnement politique. Les conseillers surdimensionnés comme Maunthrooa et Sanspeur se comportent en décideurs dans des institutions de premier plan du pays, présidant des boards ou siégeant au sein de comités de direction. Sanspeur, par exemple, a monté une opération pour abattre le projet Heritage City qui avait pourtant la faveur du Premier ministre lui-même.

Si Bhadain a décidé de s’occuper de la bonne gouvernance, il serait souhaitable qu’il ait une petite conversation avec son propre père, Chand Bhadain, qui agit comme le président-directeur général de la Development Bank of Mauritius (DBM). On croirait que la DBM fait partie d’un héritage familial. Existet-il un vrai directeur général à la  DBM ? Si un tel personnage existe, il mériterait le premier prix du déguisement de théâtre.

Comme Chand Bhadain, on a aussi vu pousser à l’ombre du Sun Trust nombre de Chairmen superpuissants qui contrôlent toujours, malgré les recommandations du ministère de la Bonne gouvernance, le day-to-day management des institutions, dont de régulation. À l’ICTA, une instance suprême de régulation dirigée par un Chairman superpuissant, on a fait partir deux directeurs généraux, l’un après l’autre. Cette même ICTA est allée jusqu’à payer Rs 19 millions au beau-frère d’un ministre. Peut-être qu’au nom de la bonne gouvernance, le ministre Bhadain s’intéressera-t-il – mieux vaut tard que jamais – aux circonstances qui ont mené au licenciement de Krishna Oolun et de Sunjiv Soyjaudah comme Executive Directors de l’ICTA. Cette instance était d’ailleurs placée sous la supervision de Bhadain pendant un certain temps. Pourquoi n’y a-t-il pas introduit les règles de la bonne gouvernance en vigueur depuis janvier 2015, d’après ses propres dires ?

Pour avoir été si longtemps silencieux dans le domaine de la bonne gouvernance, le show médiatisé du ministre autour de l’affaire Air Mauritius éveille des soupçons. Mais seul le temps dira si le ministre, qui n’est plus tenu d’utiliser toute son énergie à construire une nouvelle ville à la gloire de Jugnauth, y compris un Bollywood corner, ferait preuve de la même détermination en s’appliquant à la promotion tous azimuts de la bonne gouvernance dans les institutions et les entités de l’État. Par exemple, comment expliquer que Maunthrooa, poursuivi dans une affaire de corruption, occupe de si importantes fonctions dans des institutions aussi sensibles qu’Air Mauritius et la State Bank, en sus d’être Senior Adviser au bureau du Premier ministre ? Pourtant, sur la base de simples allégations, le ministre Raj Dayal a été débarqué.

«Positionnement tactique»

Certains pourraient avoir une tout autre lecture du show Bhadain. On pourrait bien y voir un positionnement purement tactique dans le contexte de la succession à la tête du gouvernement. Sans l’ombre d’un doute, une cohabitation Bhadain-Pravind Jugnauth s’avérerait extrêmement difficile. Selon toute évidence, Pravind Jugnauth a utilisé le bélier Sanspeur pour ébranler Heritage City. Bhadain a manipulé la teneur d’un communiqué du Conseil des ministres pour remettre sa cité sur les rails. Le père Jugnauth et Bhadain ont encore tenté de faire revivre le projet. Pravind Jugnauth a encore battu le tandem. Quand Paul Bérenger déclare que Bhadain n’attend plus que l’accession de Pravind Jugnauth au poste de Premier ministre pour démissionner, il n’exagère pas. Il prend un pari non risqué car il serait des plus invraisemblables que Bhadain soit invité à faire partie d’un gouvernement Pravind. Bobby Hurreeram, entre deux visites chez le tailleur, sera vite coopté dans le nouveau gouvernement et cela pour que les quotas soient respectés.

En recevant Megh Pillay à son bureau, Bhadain a au fait tiré des coups de semonce à l’intention de Pravind Jugnauth et des alliés de ce dernier, dont son chihuahua adoré. Contrairement aux Duval qui aiment tempérer, manger la banane par les deux bouts et attendre la toute dernière minute avant de fuir le navire, Collendavelloo a déjà choisi son camp. L’homme aime les Jugnauth, père et fils. Puisque le père est déjà un write-off, Collendavelloo assurera Pravind de tout son soutien. Ce qui explique sa sortie sur l’affaire Air Mauritius. Et aussi ses escarmouches avec le ministre Bhadain. Ce dernier lui rendant la politesse, d’où le sobriquet «sleeping chihuahua». Collendavelloo n’oubliera pas de sitôt ce jour fatidique, après les élections de 2000, quand Jugnauth l’invita à faire partie du Conseil des ministres. Paul Bérenger y mit son veto. Se voulant tacticien, Jugnauth voyait en Collendavelloo un allié verbal pouvant se mesurer à Bérenger lors des réunions houleuses du Conseil des ministres. On a dû attendre  14 longues années pour que ce même Jugnauth fasse de Collendavelloo un ministre et cela pour la première fois de sa vie. Comme Soodhun qui a juré éternelle servitude à la famille royale, Collendavelloo s’avérera un puissant et vociférant allié du  futur Premier ministre.

Bhadain joue certainement son avenir. Il peut toujours utiliser la méthode Duval, alterner rhétorique populiste et jouissance du pouvoir, se faire petit quand il le faut et espérer se faire hisser dans le train de Pravind. Ou autrement, il peut continuer à jouer au turbulent, voire dévastateur, comme il l’a fait avec l’empire BAI.

L’arme ultime, ce serait une démission pour provoquer une élection partielle dans le n°18. À moins d’une victoire à cette partielle pour le tout nouveau Premier ministre, le n°18 annoncerait le commencement d’un processus politique menant au rendez-vous de 2019. Car une fois le premier semestre de 2017 dépassé, le compte à rebours pour les prochaines élections générales aura été déclenché. Une défaite dans le n°18 serait un très lourd handicap pour le tandem Pravind-Ivan, le rat PMSD ayant déjà changé de train à la gare de Quatre-Bornes.