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L’ÉPOQUE ‘POST–TRUTH’ (OXFORD WORD OF THE YEAR 2016)

4 décembre 2016, 09:00

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L’ÉPOQUE ‘POST–TRUTH’ (OXFORD WORD OF THE YEAR 2016)

 

 

Nous sommes entrés dans une ère où le mensonge a autant de poids que la vérité. Où ce qui «semble convenir» au bien-être des citoyens est plus important qu’une argumentation du pour et du contre, qui arrive à un compromis raisonnable et réaliste, mais qui est sans doute moins excitante.

  Ainsi, «I will build a wall and get the Mexicans to pay» est beaucoup plus sexy que de dire (post-élections) que certaines parties de ce «mur» seront, en fait, du «fencing» et qu’on ne rançonnera plus directement les Mexicains pour le payer…

Un ministre me disait récemment qu’après avoir promis un Freedom of Information Act (FIA) lors des élections de décembre 2014, il n’en était «plus question» maintenant. Interrogé sur son «évolution», il expliquait qu’avec un FIA, ce serait sans doute bien pire, puisque les journalistes déformaient déjà les nouvelles «à ce point», sans exclamation. Question de perception, sans doute ? Ce qui n’est plus du tout une question de transparence démocratique apparemment ! Si je l’ai bien compris, il est, pour le principe, plutôt prêt à vivre avec des informations imparfaites sur moins de sujets embarrassants plutôt que dans un pays où les informations sont moins imparfaites mais sur plus de sujets potentiellement embarrassants ! Moi, je pense qu’il était, en 2014, dans l’opposition et qu’il prend aujourd’hui des décisions au gouvernement…

 

La vague populiste du Brexit a été largement abreuvée par les 50 millions de livres sterling que la Grande-Bretagne allait économiser par semaine et qui seraient allées directement au National Health Service. Les Brexiters, cependant, cachaient systématiquement les montants qui étaient, en contrepartie, versés à la Grande-Bretagne pour divers projets. On ne parle pas de broutilles ! Le mensonge était de taille, puisque les paiements nets en faveur de l’Union européenne (UE) n’étaient que de 125 M de livres sterling par semaine, soit seulement le tiers : EU Facts: how much does Britain pay to the EU budget? David Davis, grand Brexiter devant l’éternel, revenu sur terre, disait cette semaine qu’il fallait sortir de l’UE, mais aussi sortir le carnet de chèque pour rester dans son grand marché… Sacrée économie en perspective !

Dans cette vague «Post-Truth», il est évidemment utile de remettre en question et de détruire, si possible, les sources les plus crédibles des faits, les journaux et les experts étant assimilés à des «élites» défendant leurs intérêts contre le bifteck de l’autre, le «laissé-pour-compte». Cette attaque est systématique, car utile ! Si le «Post-Truther» réduit les informations du Washington Post au niveau de celles de Breitbart, il a une chance. Dans un contexte local, il faudrait réussir à crédibiliser/balancer le bulletin d’informations de la MBC au même niveau journalistique que celui de l’express ou de week-end.

Autre outil du «Post-Truth» : la répétition des mensonges jusqu’à ce que cela devienne vérité. Une des statistiques les plus effrayantes que j’ai lues sur Internet consiste en une analyse d’honnêteté des 21 candidats des primaires, conduite par Politifact (attention, un expert !). Ils parviennent à la conclusion que de toutes les déclarations de Trump, seules 9 % étaient «vraies ou plutôt vraies», alors que le chiffre équivalent pour Clinton était de 51 % et celui de Sanders de 52 %. Pour la période des présidentielles, il a été suggéré que Trump a menti 9.2 fois plus que Clinton. Cependant, Trump ayant, sur la même période, répété que son adversaire était une menteuse et qu’elle méritait la prison 19 fois plus souvent qu’elle n’a dit la même chose de lui, a mené au résultat époustouflant que Clinton était, au bout du compte, jugée, par un sondage CBS de l’électorat, comme étant malhonnête pour 67 % d’entre eux, alors que Trump ne l’était qu’à 56 % ! La technique de Goebbels était passée par là et même l’électorat supposément «avisé» des États-Unis, s’était fait avoir… Trump lies more often than Clinton. But Americans think she’s more dishonest. Here’s why.

L’approche «Post-Truth», nous suggère Wikipédia (j’y crois ! Même si pas infaillible…), est, en fait, une culture politique où le débat est largement articulé autour d’appels à l’émotion, tout à fait déconnecté des faits et, parfois même de la raison, qui s’ancre sur la répétition insistante de slogans simplistes ou de demi-vérités accrocheuses. Qui plus est, cette approche «Post-Truth» ne réagit presque jamais à des répliques factuelles et documentées, si ce n’est pour discréditer «les experts». Ceci est fondamentalement différent du cliché qui veut que tous les politiciens mentent et qu’ils n’ont aucune intention de tenir leurs promesses de toute façon. Dans l’ère terrifiante du «Post-Truth», le mensonge devient routine et gagne et le menteur n’est jamais mis à l’index ou condamné. Pire ! Il peut même devenir président des États-Unis.

 

* * *

Je ne sais pas si cela doit être appelé «Post-Truth» ou pas, mais deux autres items m’ont choqué cette semaine.

D’abord, ce reportage de l’express de dimanche dernier : Les flics et le fric où, sur toile de fond d’arrestations diverses de policiers pour trafic de drogue, un officier de l’ADSU résume la question à une pure question de fric. «Au final, on se retrouve avec Rs 20 000 seulement comme récompense pour toute une année.» Et de mettre carrément ce chiffre en exergue face aux «centaines de milliers de roupies proposées par des trafiquants». Pas un mot sur le salaire, pas un mot sur les ravages de la drogue, pas un mot sur le devoir. Stupéfiant ! Le dividende inévitable du système pourri du «tout argent» que nous avons construit ?

Ensuite, la controverse du programme pour PhD de Planet Earth Institute (PEI). L’express du 30 novembre évoque les «promesses non tenues» et, imprudemment, dit que tous les neuf lauréats sont «déçus». Un communiqué de PEI le 2 décembre met les choses en perspective. Rappelle que malgré toute la bonne volonté du monde, il y a parfois des impondérables avec lesquels il faut compter, que Bill Gates invite qui il veut aux Grand Challenges, selon ses critères de sélection et qu’il y a quand même des candidats satisfaits (7 ? 2 ?). Ma réflexion s’est focalisée ailleurs, sur ce que l’on peut appeler le syndrome de l’«entitlement». Les déçus avaient des attentes, des rêves. Un peu comme ceux qui souscrivent au SCBG ? En ce bas monde, les «promesses» ne sont jamais des certitudes. De la promesse d’un FIA à la construction d’un mur payé par les Mexicains, de la promesse Lepep de débarrasser l’île Maurice du copinage à la promesse du paradis après la mort, on prend chacun ses risques et on ne nous «doit» rien. 

Cependant, les mécontents ont-ils le droit de faire mal, en retour ? Je suppose que la réponse se trouve toujours dans ce concept capital de la «bonne foi», qui semble prédater le «Post-Truth» : on a le droit de casser la baraque construite sur de la mauvaise foi, du mensonge, des agendas secrets. On a intérêt, autrement, à être indulgent.