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Au pays de Serge Clair
À la fermeture des bureaux de vote, dimanche, nombreux étaient ceux, sur le terrain à Rodrigues, qui prédisaient une large victoire de l’OPR de Serge Clair. Le service des renseignements, posté à chaque centre de vote, avait du reste envoyé le score suivant à Port-Louis : 10-2 en faveur de l’OPR (suffrage direct). Le NSS de Lockhdev Hoolash ne s’est pas trompé dans son analyse des mouvements et autres manœuvres de dernière minute, alors que la presse s’est montrée plus prudente, redoutant, sans doute, comme en décembre 2014, une éventuelle majorité silencieuse – qui opterait pour le changement.
Or il n’y a pas eu de changement – ni d’équipe dirigeante, ni de cap. La coalition artificielle entre Nicolas Von-Mally et Johnson Roussety, au lieu de créer une dynamique, a été rejetée massivement par l’électorat, y compris dans le fief du MR, au numéro 2.
Il y a plusieurs raisons qui expliquent le raz-de-marée de Serge Clair – le père de l’autonomie rodriguaise, qui demeure le garant d’un style de vie bien particulier.
Pour faire simple, on peut dire que Serge Clair ne veut pas que Rodrigues devienne Maurice. Et les familles rodriguaises qui le soutiennent, depuis des décennies, savent qu’elles vivent mieux dans leur petite île, malgré leurs problèmes aigus d’eau, en comparaison à leurs proches et voisins qui se sont exilés à Maurice, en quête d’un avenir meilleur au sein d’une société d’apparence plus moderne. Mais qui se retrouvent, des fois, contraints de vivre en marge de la société, souvent à la lisière des faubourgs portlouisiens. Bien entendu, beaucoup de Rodriguais ont pu, au prix de sacrifices, s’adapter et s’intégrer mais une majeure partie vivote dans la misère noire à Maurice. Alors qu’à Rodrigues, ils ont leur maison ou case pittoresque, des cours bien entretenues et clôturées, des rues et des plages propres, des fruits de mer délicieux, des haricots rouges si tendres, des légumes bio et surtout une bonne dose de dignité et de fraternité. Il n’y a pas d’assistanat – l’autonomie de chaque famille est possible, si l’on aspire à une vie simple et saine. C’est ce que martèle Serge Clair. Le Rodriguais doit être debout et pouvoir subvenir à ses besoins. Et marcher la tête haute, le ventre tendu, le cœur léger.
À bientôt 77 ans, le leader de l’OPR s’est imposé comme le père de tous les Rodriguais, même auprès de ceux qui lui reprochent son ton (trop) paternaliste ou qui le détestent (comme des enfants rebelles au sein d’une famille qui grandit et qui se cherche). Clair ne parle pas, il prêche. La politique est devenue sa religion. Depuis 40 ans, c’est son sacerdoce.
Dimanche, après avoir voté en famille, et après une déclaration (longue de 11 minutes) aux journalistes, il est allé prendre des nouvelles d’un nourrisson qui était dans les bras de sa mère, puis a ramassé, sous les yeux de tous, une bouteille en plastique qui jonchait le sol, de même qu’une mangue tombée par terre à demi entamée. Il a regardé autour, s’est enquis de la présence des chauves-souris – alors que, plus loin, des jeunes s’improvisant DJ scandaient des propos pro-MR dans un tumulte de décibels.
Serge Clair semble coupé des préoccupations de bien des jeunes, dont il ne reconnaît pas l’exode. Il ne parle pas leur langage. Il est resté attaché à la terre, à la mer et aux principes de base. Il croit fermement que l’agriculture est la clé de voûte du développement de son pays.
Mais les temps ont changé et les jeunes, eux, veulent autre chose : une connexion Internet rapide qui leur permettra de surfer sur les vagues de la mondialisation, afin de combler la distance qui les sépare d’autres pays et cultures. Ils veulent dynamiser leur page Facebook ou suivre des démos sur YouTube. Ils veulent des emplois bcbg. Des loisirs modernes. Ils sont sapés comme dans les clips de Maître Gims ou de Snoop Dog, mais les lumières s’éteignent à 19 heures. Ils ont troqué les chapeaux Panama de la génération de Serge Clair contre des casquettes de base-ball. Ils en ont franchement marre des cassettes de Mike Brant ou de Claude François que continuent à jouer leurs parents ou grands-parents, en rentrant des meetings de l’OPR...
C’est donc normal qu’une génération de politiciens aux discours moins «vieux jeu» et aux cheveux plus foncés se soit positionnée pour prendre le relais. Mais le tandem Von-Mally – Roussety, une alliance d’intérêts ponctuels, était artificiel. On sait que les deux étaient purement des alliés objectifs de façade – qu’ils voulaient simplement en finir avec l’ère Clair. Le fait qu’ils se liguent ainsi a joué contre eux et en faveur de l’OPR. On ne jette pas ainsi une institution.
Autre point faible de la stratégie MR, son électorat est relativement jeune – or beaucoup de jeunes ne sont plus à Rodrigues et la centaine de «proxy» enregistrée n’était guère suffisante pour renverser la vapeur en leur faveur. Le fait que le leader du bloc MR n’ait pas choisi d’affronter l’électorat – il s’est «réfugié» sur la liste proportionnelle – a été perçu comme un signe de faiblesse pour quelqu’un qui ambitionne de remplacer Serge Clair. Et celui qui a été envoyé au casse-pipe à Port-Mathurin est accusé d’avoir sabordé son parti (le FPR) et de vouloir lui-même s’exiler en Australie !
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Serge Clair a scellé hier son destin et celui de son île d’une manière remarquable, alors que son parti célèbre ses 40 ans d’existence. Il lui reste, désormais, à trouver un successeur (ou un numéro deux) pour l’aider dans la mise en application, avant qu’il ne s’essouffle. Quant à Nicolas Von-Mally, il a dû sentir le danger d’une razzia de l’OPR. Il devient, grâce à la proportionnelle, Minority Leader.
Le plus grand perdant est celui qui aura joué le plus gros : Johnson Roussety. Soit il consolide son parti, soit il disparaît avec. C’est dommage car le FPR, davantage que le MIR (Mouvement indépendantiste rodriguais), avait une réflexion intéressante sur le développement économique de Rodrigues. Mais, dans leur sagesse, les électeurs, à 80,2 %, en ont décidé autrement. C’est le jeu démocratique !
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La proportionnelle, selon la formule de Xavier Duval, était censée corriger une anomalie et assurer une meilleure représentativité à l’Assemblée régionale. D’où le dernier amendement. Imposée sans consultation aucune avec les Rodriguais, la proportionnelle a provoqué, à juste titre, le courroux de Serge Clair qui a vu sa belle avance fondre de huit à trois ! On comprend mieux pourquoi les partis traditionnels mauriciens, férus de transfugisme, n’en veulent pas, et préfèrent utiliser les Rodriguais comme des cobayes...
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