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Un pays malade
Un politicien affûté et voulant du bien pour son pays (ils sont rares !) me faisait la remarque dans la semaine : depuis trop longtemps déjà, tous les débats importants pour l’avenir du pays sont obscurcis, quand ils ne sont pas littéralement occultés par les soupçons d’affairisme, de népotisme ou de gouvernance douteuse que traînent les familles Jugnauth et Ramgoolam qui ont gouverné notre pays pendant 47 des 49 années qui nous séparent de notre Indépendance !
Ainsi, parlons-nous bien moins (ou à peine) de la réforme plausible de l’éducation à «valeur ajoutée» alors que nous y allons tous de notre petit couplet pour l’affaire papa-piti ou des coffres de Navin. D’autre part, nous n’évoquons jusqu’ici que très théoriquement la pertinence du Metro Express, version «orange», puisque presque aucun détail de ce projet n’a été révélé à ce stade, même pas le rapport singapourien de fin 2016 ! Pourtant, c’est NOTRE argent que l’on va dépenser ! Par contre on peut s’émouvoir des salaires de privilégiée de Choomka ou de Sumputh, de la grosse farce qu’a été le licenciement de Megh Pillay, des bambaras de Boygah, des biscuits de Hanoomanjee et de l’aide publique pompée par M. Ravi Rutnah, à laquelle il n’aurait, par ailleurs, pas droit.
Ce problème est devenu colossal puisqu’il pollue à la fois nos capacités de réflexion et de mise en perspective. Les standards sont tellement souvent bafoués et des incidents tellement fréquemment rapportés que l’air en est vicié et que les esprits sont tordus, ceux-ci cherchant invariablement et «trouvant» même, occasionnellement à dire là où, en situation plus détendue, il n’y aurait rien à reprocher ! Ajoutons à cela , cette pourriture d’atmosphère «post –Truth» où l’on peut confectionner de fausses nouvelles (n’est-ce pas «Rudi» ?) dans le seul but de nuire ou de décrédibiliser; «fake news» que l’on peut ensuite nourrir, en soufflant un peu dessus au début, comme sur des braises, avant que (c’est l’espoir !) ça ne s’embrase sur Facebook, ou n’explose sur Twitter… grâce à de «bonnes gens» qui ne réfléchissent pas, mais pensent épater leurs amis avec leur «savoir» !
Et c’est ainsi que meurt toute discussion sérieuse à propos de l’avenir du port, ou du «welfare state», du fonds de pension menacé de faillite, de la faible progression de la productivité nationale, ou du pillage de nos lagons. Personne ne s’y intéresse. Ou si peu ! C’est comme si nous étions, en bons écervelés modernes, tous totalement obnubilés par les diverses telenovelas qui monopolisent nos yeux, négligeant de faire la vaisselle, acceptant de vivre avec le caca de rat dans la salle de bains, ne voyant même pas nos gosses s’enfermer dans leur monde d’autres fous, virtuels ceux-là – duquel émergeront parfois, ô surprise ! des convertis de l’ISIS ou des épicuriens de black mamba…
À l’ère romaine, quand l’empereur entendait gronder le peuple, il lui donnait du pain et le cirque.
Nous avons définitivement notre cirque et le gouvernement, conscient du poids de la rue, semble s’atteler à ce qu’il y ait suffisamment de pain pour tous (plan Marshall, pension à Rs 5 000, PRB divers, welfare state renforcé). Malheureusement, le pain moderne n’est pas celui qui est fait de seule farine, comme à Rome ! Car la société de consommation moderne sollicite tellement fortement, tellement souvent, que le citoyen moyen pense sincèrement qu’il régresse MÊME quand ses revenus moyens, post-inflation progressent. L’épiphénomène de circonstance c’est que les aspirations de larges franges de la population progressent plus rapidement que leurs revenus et, qu’en conséquence, ils se sentent «squeezed». Certains vont jusqu’à évoquer la régression de la classe moyenne, ou la paupérisation de la bourgeoisie alors que tout ce qui se passe de fait c’est que les yeux deviennent plus gros que le ventre, ce qui est d’autant plus inique que le métabolisme de base – la productivité – progresse encore plus lentement que la panse.
Et certains s’évertuent, malgré tout, à proposer de relancer l’économie par la consommation ?
Coincé entre le cirque politique perpétuel qui mine les institutions, qui donne le mauvais exemple, qui tue la méritocratie, qui triche et qui ment et le consumérisme envahissant et débridé, le Mauricien moyen perd graduellement son âme, ses valeurs, son potentiel à aller au-delà de lui-même, sa chaleur humaine et même sa capacité de s’indigner…
En parlant de quoi : ne vous êtes-vous pas sentis un peu meurtris et quelque peu honteux qu’a la veille du Budget, notre ministre des Finances s’en aille faire un petit tour en Inde question, apparemment, de se donner quelque marge de manœuvre additionnelle dans un Budget plutôt coincé ? Rappelez-vous ! Les dépenses du premier Budget Lutchmeenaraidoo, étaient approuvées sur la base de taux de progression de l’économie beaucoup plus élevés que ceux constatés depuis décembre 2014 et qui auraient ainsi aidé à les résorber ! On prédisait 5,7 %. On a fait plus que 2 % de moins. ça fait grosso modo Rs 4 milliards de déficit de plus. Par an. En 2016, il y eut la manne indienne de Rs 12,7 milliards liée à la modification de la DTAA. Aujourd’hui, le gouvernement est piégé, l’économie n’ayant toujours pas décollé et diverses dépenses nouvelles l’ayant depuis rattrapé. Ainsi, les promesses de remboursement de SCBG (en un lot, vraiment ?) alors que l’immobilier de Apollo Bramwell n’est pas vendu et que les Rs 700 millions payées par CIEL Healthcare n’ont laissé que Rs 77 m nets après paiement des prêts et des intérêts ! Ainsi, la MauBank qui a jusqu’ici requis des milliards d’investissements à la consolidation et qui affichait des pertes de Rs 421 millions (6 mois au 30 juin 2016) et un maigre profit de Rs 65 millions pour les six mois suivants. Personne n’a encore vu les comptes de la NIC ! Il faut toujours rembourser le prêt de Rs 3,5 milliards de la Banque centrale, les dépenses doivent continuer pour assurer l’eau 24/7 et, que l’on sache, les pertes des corps parapublics ne diminuent pas, malgré les promesses (voir paragraphe 364 du dernier discours de budget). De plus, il y a l’impact d’un baril de pétrole qui, tout doucement augmente (le Brent Crude passant de $28 le baril en février 2016 à plus de $45 en mai et à plus de $50 en décembre) et qui va impacter partout, du Consolidated Fund de la STC, à la balance des paiements… En toile de fond, l’ambition de mars 2015 était que la dette nationale baisse de 65 % à 50 % en 2018 !
Est-ce tout ceci qui mène Pravind Jugnauth à aller rendre visite à «Mother India»… pour la Fête des mères ? Bien évidemment ! Il en ressort d’ailleurs avec un prêt, au départ improbable, de 500 millions de dollars de plus (Rs 18 milliards environ !), dont les conditions ne sont cependant pas précisées. On peut supposer que le calcul est de rembourser ce prêt, directement ou pas, quand les «investissements» que sont la MauBank et la NIC auront suffisamment mûri pour qu’ils soient privatisés ?
Au vu du bilan du gouvernement quant à la gestion des entreprises qu’il possède, prions donc que ces vestiges de la BAI (d’ailleurs transférés à quelles valeurs?) relèvent plutôt du style MT-SBM que ceux du Casino ou de la MBC TV !
Tout en étant heureux, qu’une fois encore, notre Père Noël à nous, Mother India, accepte de travailler en mai, jusqu’à quand est-ce que cela sera possible sans que l’on n’exige de nous un «petit quelque chose» en retour, auquel la population n’aura jamais dit «oui» ?
Comme pour les Chagos !
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