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Dis maman….
Dis maman, je vais avoir 18 ans en mars 2018, quand le pays aura, lui, 50 ans, mais ce pays au lieu de toujours m’épater, me fait parfois vraiment peur.
Je n’ai pas tes connaissances, mais on doit être parmi les rares pays au monde où l’ancien et le nouveau PM ont tous deux des problèmes avec la justice, non ? Ce n’est pas très rassurant, tu m’avoueras, maman ! Le plus gros projet d’infrastructure de l’île, au lieu de donner lieu à des discussions avisées et productives, est, en l’absence de la publication ouverte des études, contrats et analyses déjà faites, devenu un vrai «political football». Est-ce bien possible que dépendant du camp dans lequel on se trouve, ce même projet puisse être étiqueté «métro» ou «tramway» , «URBOS à 110 kph» ou «URBOS-AXL à 80 kph» et que l’on ne sache même pas si ce truc sur roues va faire du bruit et faire trembler les maisons quand il passera à Barkly ou à La Butte ? Neotown, JinFei, Agalega, tous secrets d’État aussi?
C’est vrai que nous avons de beaux hôtels, mais moi je ne pourrai y accéder librement, mam, que si j’y travaille. Par contre, je peux accéder librement à des plages publiques de plus en plus bondées, dont les standards de propreté sont, pour dire le moins, plus variables. Contrairement à notre télévision, elle, moche et partiale de manière constante et qui est toujours un monopole alors que les licences de radios libres sont toujours limitées à trois. Pourquoi restreindre mon choix ? À Madagascar, pour la seule préfecture de Tana, il y a 50 radios et 13 stations de télévision, foutour !
Tu as vu la commission d’enquête sur Britam ? Quel effet cela te fait-il d’apprendre que le secrétaire financier et le ministre des Finances d’alors ne sont pas tout à fait d’accord si ce qui a été offert pour le rachat des actions de Britam est Rs 4,3 milliards ou Rs 2,4 milliards ? Les chiffres n’intéressent pas qui, des deux, là ? Quoi conclure de la déclaration du ministre Sinatamboo qui flagorne ainsi : «Domaz ki dimounn pann apresié ki monn déranzé» en parlant de sa visite à Résidence Barkly ? Qu’un ministre nous devient à ce point «supérieur», aussitôt élu ? Comment sortir de nos dynasties politiques qui dominent tout et qui ne veulent pas prendre leur retraite ?
Écoute Maman, on est dans un pays où 30 % des enfants ne passent pas le CPE, où même ceux qui ont leur certificat ne sont pas toujours des lettrés fonctionnels et où le ministère continue à jouer à l’autruche en n’acceptant pas, occasionnellement, de comparer ses résultats au reste du monde à travers les tests PISA. On a mangé des calebasses hier soir. Je ne t’ai rien dit, mais tu te souviens de la réponse du ministre de l’Agriculture au Parlement le 25 avril dernier ? Cela t’a rassurée, toi, la désinvolture avec laquelle il annonçait qu’on étudiait toujours une loi pour l’usage abusif des pesticides… 15 mois après les enquêtes de l’express de janvier 2016 ? Cinq mois ont passé depuis ! Tes calebasses, sans système de traçabilité et de punition des producteurs homologués, tu les certifies «consommables» comment au juste ? En te référant au tonnage de pesticides qui ne se fait pas plus léger chaque année ?
On a, certes, un aéroport qui tourne bien, mais notre port, dont on avait l’espoir de faire un vrai «moteur» de l’économie, en développant de Pointe-aux-Sables à Baie-du-Tombeau, avec brise-lames et tout et tout, est aujourd’hui sans direction, sans partenaire stratégique et, si l’on en croit les journaux, à ce point improductif que ses clients, les lignes maritimes, la déserte, y compris pour… La Réunion. La Réunion ! Tu m’entends ! La cybercité, c’est cool, mais la politicaille empêche toujours la construction d’un parking aérien. Ça, c’est l’enfer ! Comme le désordre quotidien du parking… Les exportations sont à la peine – on importe pour presque Rs 90 milliards de plus de produits qu’on en exporte, notre fonds de pension national n’est toujours pas reformé, la productivité globale du pays piétine, nos routes se lézardent, les mœurs se dégradent, la drogue gagne du terrain, la congestion routière devient insupportable, la méritocratie relève encore du rêve… et une syndicaliste s’étonne dans bonZour! que ce sont, plutôt que le contraire, les emplois qui ne sont pas adaptés aux diplômes que nous obtiendrons ! Misère !
Tu comprends maman, je n’ai qu’une vie et la vie est bien trop courte pour souhaiter encore l’abréger avec des querelles stériles, du dysfonctionnel et des occasions ratées. J’adore mon pays, ses lagons changeants – malheureusement vides, ses champs de canne en fleur à perte de vue – parsemés de détritus divers, ses rivières gazouillantes – pourtant sans les camarons bleus dont tu me parles souvent mais que je n’ai jamais vus ! J’aime ses habitants, souvent débrouillards, souvent travailleurs, issus des quatre horizons, métissés à souhait, dont certains entretiennent tristement, en leur sein, bien trop de communautarisme, de clivages religieux, de castéismes divers. Tu sais que je hais les parasites, les caniches de service, les raseurs de mur, les hypocrites, les faux-culs et j’en vois trop, je te dis, franchement… et les politiciens les favorisent !
Alors, maman, sois chic, prête-moi un petit million, laisse-moi aller à l’étranger, étudier, tisser des liens, trouver du travail, gagner ma vie et je vous ferai venir me rejoindre, papa et toi, aussitôt installé. On reviendra au pays en vacances, à l’hôtel, avec des euros en poche. Tu verras alors comment on va bien nous «considérer». Je t’aime maman, mais je suis obligé de te quitter…
Ça nous pend au bout du nez ? Pire, ça nous sort déjà du nez !
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