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L’Essentiel

24 septembre 2017, 09:17

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Débarquée à Londres en septembre 1810, Sarah y devient un phénomène de foire. Dans une salle louée de Piccadilly Street, elle est exposée dans une cage. Photo du bas gauche: Jean Léopold Nicolas Frédéric Cuvier, est un anatomiste français, promoteur de l'anatomie comparée et de la paléontologie au xixe siècle. Photo bas droit: Nelson Mandela, président de la République d'Afrique du Sud 1994-1999.

Prenez Sarah Baartman, aussi appelée la Vénus hottentote. Morte à Paris en 1815, elle avait été emmenée en Europe en 1810 pour faire partie d’un «freak show» d’abord à Londres, puis en France. À 4 pieds 10 pouces et avec un fessier qu’on peut qualifier d’extraordinaire (stéatopygie), ce membre de la tribu des Khoisan faisait sensation à Piccadilly, au même titre que des géants ou des nains difformes et alimentait évidemment les discussions de l’époque sur les diverses théories de races. D’autant que l’abolition officielle du commerce des esclaves (mais pas de l’esclavage lui-même) venait d’être votée au Parlement en 1807. Mais la notoriété de Sarah à cette époque, au-delà des exhibitions, tient surtout au fait que certains l’on utilisée comme une démonstration du chaînon manquant entre les primates et l’homme. Le grand Georges Cuvier s’arrêtait même à ses petites oreilles pour trouver un lien avec un orang-outan ! À sa mort, à 26 ans, estime-t-on, elle fut disséquée et son squelette d’une part et son cerveau de l’autre, dans un bocal de formol, furent exhibés au Musée de l’Homme, à Paris, jusqu’en 1974. En 2002, finalement, à la demande de Mandela, elle fut ramenée en Afrique du sud et enterrée.

Je vous en parle parce que la surprise de Sarah, comme beaucoup de surprises dans la vie, au moment où elles surviennent, elles peuvent déclencher des débats enflammés, de la partisanerie même, qui prennent du temps pour se décanter et au bout desquels, seulement, on peut trouver la sérénité qui permet de recoller avec la vérité  et l’essentiel. 

Husein Abdool Rahim dans les locaux de la Central Criminal Investigation Department (CCID) vendredi 22 septembre 2017.

Une des surprises de la semaine a été Husein Abdool Rahim (HAR) qui, ayant juré un affidavit mardi dernier, changeait de casaque ce jeudi en disant que le document était partiellement faux. Les mots «manipulation», «complot» surgissaient et produisaient, au-delà des faits et du «documentary evidence» qui avaient motivé et guidé nos journalistes dès le départ, une grande déflagration à plusieurs couches qui, à ce jour, masquent de plus en plus l’essentiel. C’est presque normal et du moins prévisible. Mais cela détourne de l’essentiel  et du fondamental.

Ravi Yerrigadoo dans les locaux de la Central Criminal Investigation Department (CCID) vendredi 22 septembre 2017.

Et l’essentiel c’est quoi ? Ce sont les documents !

La lettre «officielle» signée de Yerrigadoo pour faciliter l’accès aux gains chez bet365, la pièce manuscrite présentée par HAR comme étant supposément de Yerrigadoo – et qui reste à être authentifiée – d’autant que Yerrigadoo dit que ce n’est pas son écriture ainsi que les 33 annexes, sur lesquels l’ICAC doit faire son enquête en toute indépendance. Par-dessus se sont greffés des couches de politique partisane, de règlements de comptes personnels, d’accusations intempestives quant aux motivations et même de concurrence entre journaux. Le tout alimenté par une configuration hautement inflammable des réseaux sociaux. 

Je vous ferai un aveu : je me suis inscrit, peutêtre par coquetterie, peut-être pour être à la page, sur certains réseaux sociaux. Mais ils n’ont aucune place dans ma vie. Je ne les consulte pas, et puisqu’il faut faire des choix, je ne changerai pas. Je n’ai pas, non plus, le temps d’écouter tout ce qui se dit sur les radios ou de consulter tous les sites d’informations avec leurs blogs associés. Je constate seulement qu’il en résulte que la démocratisation des réseaux d’informations et des commentaires citoyens implique que plus personne ne peut probablement dire qu’il a une vue intégrale de ce qui se dit ou de ce qui se pense sur cette affaire et que chacun s’exprimeen fonction seulement de sa parcelle de «connaissance».

Les premiers ministres de l' Île Maurice depuis l'indépendance

Ceci dit, À l’express nous ne sommes jamais prétendus infaillibles. Mais l’express n’a pas, in fine, d’agenda, sinon de révéler les faits et de faire tout ce qui est en son pouvoir pour assurer des lendemains meilleurs au pays. Nous sommes contre la pourriture et les dysfonctionnements dans tous les gouvernements depuis plus de 50 ans et il faut parfois assumer quelques risques ce faisant. 

Mais outre l’essentiel (les documents), deux autres constats demeurent : HAR avait suffisamment peur de certaines menaces pour chercher une manière de se protéger. Au point de chercher à contacter divers avocats. Il a apporté son matériel potentiellement explosif à l’express et ses propos allant dans tous les sens, ont été mis en forme pour un affidavit qu’il a signé, après plusieurs relectures. Une semaine après la démission de l’Attorney General Yerrigadoo, il vient se récuser, sur Radio Plus, sur la partie qui concerne le montage d’un circuit pour éventuellement blanchir de l’argent sale, affirmant qu’il a été manipulé pour le dire. Il confirme les annexes, la lettre officielle, et sur une question spécifique de Jean Luc Emile (18 :30 +), la lettre manuscrite, même s’il rajoute que l’interprétation qu’il faut en faire n’est pas celle des journalistes. Ce qui lui avait fait peur au point de le mener aux avocats et aux journalistes le week-end précédent a donc disparu entre-temps ? Qu’est-ce qui a changé à cet item particulier ? 

Capture d'encran de l'émission de Radio Plus Le Grand Journal, Facebook, 21 septembre 2017.

Le deuxième constat, dont sont conscients les journalistes depuis le premier jour, c’est la fragilité de la crédibilité de leur témoin. C’est pourquoi ils ne bougeront pas sans un affidavit signé, vérifiant tout ce qui est vérifiable et s’accrochant aux documents, explosifs en eux-mêmes. D’ailleurs, Nawaz Noorbux, sur Radio Plus (Le grand journal, 21 septembre, 15 : 30 +) constate avec justesse que si HAR se récuse sur un affidavit, il met désormais en doute tout ce qu’il dit… ou jure ! Embêtant !

Nous avons deux devoirs en la circonstance. Revisiter, à tête froide, quand cela sera possible, ce que nous avons vécu et humblement se remettre en question et identifier ce qui aurait pu avoir été mieux fait. Notre second devoir, qui nous force évidemment à aussi garder la tête froide dans le tohu-bohu actuel, est de se tenir à l’essentiel et s’éloigner du périphérique ou du théâtral. 

Sarah Baartman: « A Pair of Broad Bottoms » (une paire de fesses étrangères), caricature de William Heath, 1810.

Deux cents ans après sa mort, l’émotion, les préjugés et le fracas des débats ayant constitué sa vie ayant été oubliés, Sarah était redevenue un être humain, enterrée sur une petite colline dans sa terre natale. Loin du formol des uns et des thèses des autres, elle était retournée à son essentiel. Pour l’affaire qui nous concerne, cela prendra moins longtemps, espérons-le.