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D’où viendra notre sursaut ?

22 octobre 2017, 07:36

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C’est bien trouvé, quand même ; Navin Ramgoolam, Premier ministre de la rupture ! L’absence d’alternatives crédibles taraude le peuple depuis que s’opère un incroyable mais réel retour sur le devant de la scène de Ramgoolam, alors même que s’effrite, à chaque jour qui passe, le gouvernement autrefois appelé «Lepep». À bien voir, le meilleur agent du leader des Rouges n’est nul autre que Pravind Jugnauth lui-même. Si le pays devient petit à petit ingouvernable, c’est précisément parce qu’on n’a plus à la barre un timonier capable, susceptible de faire jouer les ressorts de la motivation, de l’autorité ou de la cajolerie, bref, de nous inspirer à agir de concert vers des objectifs communs de développement…

… A contrario, nous avons cette douloureuse impression d’être embarqués sur un bateau sans direction ni destinée. Des institutions comme la police ou l’ICAC ont perdu leur semblant d’indépendance (sinon pourquoi n’enquêtent-elles toujours pas, malgré la volumineuse ‘documentary evidence’ que l’express leur a fournie, sur Ravi Yerrigadoo et ses acolytes, par exemple ?). Les politiciens au pouvoir sentent, mieux que nous, que le terrain glisse, et ils s’accrochent avec désespoir coûte que coûte, quitte à comploter pour pervertir le cours de la justice. Un peu comme Pravind Jugnauth s’accroche à Tarolah ou à Soodhun, ou comme Collendavelloo qui ne peut plus laisser tomber ni Alvaro Sobrinho ni Ravi Rutnah, malgré tout ce que l’on sait.

Il nous manque peut-être un Thomas Sankara. Assassiné, il y a tout juste trente ans, l’ancien dirigeant du Burkina Faso (de 1983 à 1987) était une figure, certes révolutionnaire, qui avait su imprimer le leadership nécessaire pour remettre en cause les régimes successifs qui opprimaient le peuple burkinabé. «Malheur à ceux qui bâillonnent le peuple», criait Sankara, au plus fort de la révolution démocratique populaire au Burkina Faso, une révolution encore mal connue, car souillée par la propagande. Le peuple burkinabé avait, lui, compris, grâce à Sankara, que le plus important : «C’est d’avoir confiance en soi-même, à comprendre que, finalement, le peuple peut s’asseoir et écrire son développement ; il peut s’asseoir et écrire son bonheur ; il peut dire ce qu’il désire. Et en même temps, sentir quel est le prix à payer pour ce bonheur.» Que sait-on aujourd’hui de l’assassinat de Sankara, un 15 octobre 1987 ? Pas grand-chose, sauf qu’il dérangeait, démocratiquement, autant ses adversaires politiques locaux que les bailleurs de fonds internationaux…

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Autre départ prématuré qui mérite que l’on s’y attarde, celui d’Aude-Emmanuelle Hoareau. Née de père mauricien et de mère réunionnaise, Aude-Emmanuelle, 39 ans, est partie sur la pointe des pieds, le 13 octobre. Elle était pour beaucoup une vraie créole de l’océan Indien, une jeune femme qui avait pris le pari de vulgariser des «Concepts pour penser créole» dans des sociétés plurielles comme celle de Maurice ou de l’île soeur. Elle avait l’audace d’ouvrir des débats de fond sur les forces qui nous structurent : «La Réunion, de par le métissage de son peuple, vécu et reconnu comme un fait, pourrait même être pensée comme le terreau originel des identités multiples, du «moi» pluriel, en avance sur son temps. Dans une île à la fois nourrie par des conceptions du monde diversifiées, originales car issues du métissage, et modelée par une culture à caractère mondial, l’aventure du métissage doit être envisagée comme une réussite... » Son dernier ouvrage, sorti en mars 2017, s’intitule Pole Dance Philosophie, un essai philosophique qui postule que la femme du 21e siècle se révélerait enfin dans la pole dance, au-delà des clichés, en essayant de dépasser la binarité de genre…

Un ouvrage renversant, pour cette femme à la vie bouleversante, au destin trop court, mais subversif comme Sankara ! Les deux n’avaient pas encore 40 ans… Et avaient compris que le sursaut n’était pas une option, mais une nécessité.