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Adieu carte, château, immunité…
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Adieu carte, château, immunité…
<p><em>«(...) Perrette là-dessus saute aussi, transportée.<br />
Le lait tombe ; adieu veau, vache, cochon, couvée ;<br />
La dame de ces biens, quittant d’un oeil marri<br />
Sa fortune ainsi répandue,<br />
Va s’excuser à son mari<br />
En grand danger d’être battue.<br />
Le récit en farce en fut fait ;<br />
On l’appela le Pot au lait.</em></p>
<p><em>Quel esprit ne bat la campagne ?<br />
Qui ne fait châteaux en Espagne ?<br />
Picrochole, Pyrrhus, la Laitière, enfin tous,<br />
Autant les sages que les fous ?<br />
Chacun songe en veillant, il n’est rien de plus doux :<br />
Une flatteuse erreur emporte alors nos âmes :<br />
Tout le bien du monde est à nous, Tous les honneurs (...)»</em></p>
<p><em>Extrait de La laitière et le pot au lait, de Jean de la Fontaine (1621-1695)</em></p>
<p></p>
Cet extrait de La laitière et le pot au lait, rendu célèbre chez nous par une pub pour une laiterie, est puisé du Livre 7 des Fables, dans lequel La Fontaine met en scène Perrette, une jeune paysanne entreprenante qui se rend en ville et rêve de s’enrichir. Mais, lorsque perdue dans ses rêves d’ailleurs, elle trébuche et perd son pot de lait, la paysanne doit abandonner cette idée et faire une croix sur l’ultimatum, le veau, la vache, et la couvée qu’elle espérait acquérir. Elle perd, ainsi, d’un seul coup toutes ses illusions et les apparats qui vont avec.
Derrière cette fable, qui pourrait paraître simplette, il y a une satire politique importante ainsi que la critique d’une société matérialiste. Le rêve de Perrette n’est pas dangereux en soi, mais celui de puissance et de vanité l’est. Il faut savoir faire la part des choses. Alors qu’elle a choisi de jeter, enfin, l’éponge, ayant compris, sans doute, que ses conseillers allaient l’enfoncer davantage au sein de l’opinion, il importe qu’Ameenah Gurib-Fakim fasse son introspection pour comprendre tout ce qui lui est tombé dessus ces dernières semaines. Comment est-elle passée d’une présidente saluée par presque tous, en mai 2015, à une présidente honnie, et aujourd’hui rejetée par ses pairs du ML (Anil Gayan a enfoncé le clou, hier, en affirmant que le choix d’Ivan Collendavelloo, au lieu d’être une garante de la Constitution, aura violé, avec sa commission d’enquête qui serait un baroud d’honneur, cette même Constitution !). Maintenant qu’elle sera moins sujette aux pressions politiques venant de tous les horizons, elle pourra faire son bilan. Tranquillement. Sans ses avocats, conseillers, parrains politiques, philanthropes. Bref, sans tous ces flagorneurs qui aimaient s’afficher au Réduit. Et Dieu sait qu’ils sont nombreux ces gens-là...
L’express le maintient depuis le 28 février, quand nous avons choisi de publier les relevés bancaires de la présidente de la République. Conscients de la loi garantissant le secret bancaire, on a pris le risque, car on était guidé par un principe supérieur pour la nation : l’intérêt public. Et aujourd’hui que la présidente de la République, après nous avoir menacés de poursuite, choisit de s’en aller, l’heure pour nous n’est aucunement à la célébration, mais à la réaffirmation du même principe : il est dans l’intérêt public d’aller jusqu’au fond des choses dans le scandale Platinum Card que nous avons révélé après un long travail d’investigation, qui a commencé en 2016. Que l’enquête approfondie prenne le nom de commission d’enquête ou tribunal spécial, peu nous chaut. Ce qui importe, c’est, au nom de la salubrité politique et de la moralisation de la vie publique, que toute la lumière soit faite sur tous les éventuels corrupteurs et corrompus du système. Un cercle d’influence malsaine qui semble avoir infiltré les plus hautes sphères de l’État et du gouvernement. Nous voulons des réponses concrètes à nos questions légitimes. Et elles restent nombreuses.
Quel pouvait/peut bien être le pouvoir de marchandage de la présidente de la République et de sa clique face au gouvernement Lepep ? Où puisait-elle sa force secrète, celle qui lui permet de résister à ceux qui l’avaient nommée au Château ? AGF serait-elle l’arbre qui cache la forêt des affaires à Maurice ? Aurait-elle des dossiers sur des ministres de l’alliance Lepep qui auraient également bénéficié des millions détournés par Álvaro Sobrinho pour que les Jugnauth n’arrivaient pas à la déboulonner ? Pourquoi AGF a-t-elle finalement accepté de payer seule le prix fort ? Et, en parlant de remboursement, attardons-nous sur ce fameux mois de mars 2017 – qu’elle a elle-même mentionné sans préciser la date et sans fournir les détails des transactions bancaires. Le 1er mars 2017, l’express demandait : Pour qui et pourquoi a-t-il acheté, à Maurice, sept voitures de luxe (quatre Range Rover et trois Jaguar) au prix de Rs 40 millions ? Pour des politiciens ou des hauts fonctionnaires qui l’ont aidé à tisser sa toile ou pour ses proches amis ? Pourquoi voulait-il, à tout prix, une licence bancaire – et ce, dans le sillage de la fermeture de la Bramer Bank ? Pourquoi, après une due diligence, la Banque centrale a refusé de lui octroyer une Banking Licence alors que la Financial Services Commission (FSC) lui a octroyé deux licences pour opérer deux fonds d’investissement, le 27 août 2015, en moins de 15 minutes ? Ce même 1er mars 2017, on ajoutait : «Sur les conseils de qui Pravind Jugnauth a-t-il introduit le concept d’une Investment Banking and Corporate Advisory License dans son discours du Budget en 2016 ? Est-ce pour contourner la Banque centrale ?Pourquoi toutes les banques commerciales du pays – à l’exception de deux banques – ont-elles refusé d’avoir le Dr Sobrinho comme client ? Et pourquoi, comme dans le cas de la BAI, la FSC ferme les yeux ou donne sa bénédiction ?»
Le scandale Platinum Card a ébranlé le pays et a réveillé tous les partis politiques, même ceux qui dormaient, comme Collendavelloo. On aura compris, en écoutant les diverses prises de position politicienne, qui soutient le gouvernement et qui soutient la présidente, en faisant fi de la séparation des pouvoirs entre institutions. Ces derniers jours, tout le monde offre son commentaire et sa perspective gratuitement, généreusement, sans retenu. Certains tentent même de manger à tous les râteliers – c’est devenu un sport mauricien de prédilection. Maurice n’a peut-être jamais eu autant de bruyants experts constitutionnalistes que sur les ondes ou dans les pages des journaux depuis que l’affaire a éclaté. C’est bien qu’une démocratie soit vivante. Mais il nous faut profiter de ce présent séisme politique pour remettre les choses à plat. Pourquoi un journal libre et indépendant comme l’express doit-il toujours subir autant de pressions ou de menaces alors qu’il ne cherche qu’à faire son travail d’information – un travail essentiel pour le bon fonctionnement de la démocratie, surtout quand nos oppositions ne fonctionnent plus et que le Parlement est en congé ? Pourquoi n’accélère-t-on pas le processus pour venir rapidement de l’avant avec une loi moderne sur le financement politique afin d’éviter que d’autres Sobrinho n’essaient d’hypnotiser nos politiciens ? Où en est-on avec la Freedom of Information Act tant promise en 2014 ?
* * *
À travers le monde, le scandale Watergate, qui aboutit en août 1974 à la démission de Richard Nixon, jadis président tout puissant des États-Unis, a permis une meilleure compréhension du rôle des médias, de la perversion politique et des enjeux de pouvoir. Toutes proportions gardées, il importe, à Maurice aussi, qu’on prenne conscience des rapports de domination à visée hégémonique qui minent notre démocratie cinquantenaire. Les mots de Katharine Graham, ancienne patronne du Washington Post, doivent ici être rappelés afin qu’on n’oublie pas le rôle des journaux dans la défense des principes démocratiques : «Watergate fut le moment le plus important de ma vie professionnelle, mais mon implication fut relativement limitée et rarement directe. Pour l’essentiel, j’étais en coulisses. J’étais l’avocat du diable, posant des questions durant toute l’affaire pour m’assurer que notre couverture était équilibrée, factuelle et pertinente. Mon rôle principal était de soutenir les journalistes en qui je croyais. On m’a souvent attribué du courage pour avoir soutenu mon équipe dans cette affaire. La vérité est que je n’ai jamais considéré que j’avais le choix. Or, le courage s’applique aux situations dans lesquelles on a le choix. Dans le Watergate, il n’y a jamais eu un moment décisif où quiconque, moi y compris, aurait pu suggérer d’interrompre notre couverture de ce dossier. Le Watergate s’est déroulé progressivement. Lorsque l’affaire est devenue si énorme qu’elle nous dépassait, il était trop tard pour reculer...»
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