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Exit AGF et maintenant ?

21 mars 2018, 09:19

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Au-delà de la démission d’Ameenah Gurib-Fakim et la crise constitutionnelle et institutionnelle qu’elle avait causée ces derniers jours, c’est un scandale financier aux proportions manifestement alarmantes qui a éclaté au grand jour. Car à l’origine du départ forcé de la locataire de la State House, c’est l’affaire du sulfureux homme d’affaires angolais – au centre d’un détournement de fonds de USD 600 millions au Portugal, au détriment de la Banco Espirito Santo Angola – qui interpelle plus d’un à Maurice.

Depuis que le jet privé du milliardaire angolais a atterri à Plaisance et qu’il a foulé le sol mauricien en 2015, Alvaro Sobrinho a habilement réussi son coup : en faisant miroiter son argent à des décideurs politiques et économiques, conseillers et responsables d’institutions financières afin d’obtenir des entrées faciles à l’hôtel du gouvernement et à la State House et… de décrocher comme une lettre à la poste des licences d’opération dans le secteur financier pour son business. Et convaincre tout le monde autour de la table qu’il est le «godsend investor» qui va booster le centre financier.

Aujourd’hui, les accusations pleuvent sur les connexions de Sobrinho avec certains proches du pouvoir et businessmen véreux, ceux-là mêmes qui se sont abreuvés à sa fontaine d’argent, bénéficiant au passage de ses largesses : limousines, villas et des jobs financièrement bien rémunérés dans ses sociétés. La tentation aura sans doute été forte chez certains aux petites vertus pour se laisser facilement corrompre – parfois inconsciemment face aux biens matériels qu’il a fait miroiter – afin de devenir millionnaires en une nuit.

Mais en ne sachant pas que dans la foulée ils seraient peut-être instrumentalisés pour blanchir les milliards d’Alvaro Sobrinho et ainsi mettre sous pression la juridiction mauricienne déjà fortement ébranlée après les scandales financiers indiens et leurs effets dominos sur le secteur offshore. Le dernier en date est l’affaire Nirav Modi, le célèbre diamantaire qui aurait fait transiter des fonds dans l’offshore mauricien.

Certes, il faudra demander à ceux qui ont déroulé le tapis rouge pour Alvaro Sobrinho si les quatre sociétés offshore supposément enregistrées par lui, avec des investissements, nous dit-on, de USD 100 000 valent plus que la réputation du centre financier mauricien ? À tel point que des banques correspondantes opérant aux États-Unis ou en Angleterre refusent de travailler avec Maurice, de crainte qu’elles n’aient à gérer de l’argent sale en devises étrangères ayant transité par le circuit bancaire local. Même si aujourd’hui des banquiers tentent de justifier cette situation par un phénomène mondial affectant le système financier international, auquel certains pays sont plus exposés comme ceux d’Afrique.

Les statistiques sont effarantes à ce sujet : les flux financiers illicites, dont le blanchiment d’argent, font perdre chaque année au moins 50 milliards de dollars à l’Afrique, soit davantage que l’ensemble de l’aide au développement qu’engrange le continent, selon un récent rapport de l’OCDE.

Et à Maurice. Les chiffres officiels ne sont pas connus mais ils doivent se compter en milliards de roupies. L’affaire Sobrinho n’est sans doute pas le premier scandale financier venant apporter un éclairage sur les risques pour la juridiction mauricienne de devenir carrément une passoire pour blanchir l’argent sale. Il y en a eu d’autres dans le passé, non détectés, comme il y aura peut-être, à l’avenir, d’autres Alvaro Sobrinho qui tenteront de déjouer la vigilance des régulateurs en arrosant les puissants du jour !

Aujourd’hui plus qu’hier, il y a urgence de clear the mess laissé par l’ex-CEO de la Banco Espirito Santo Angola et de répondre aux interrogations que le public comme la société civile, les diplomates en poste dans la capitale et les responsables d’institutions publiques et privées respectables se posent. Des questions troublantes entourent cette affaire qu’il faut tirer au clair. Comme l’identité des politiciens soupçonnés d’avoir bénéficié des générosités d’Alvaro Sobrinho qui aurait distribué à tour de bras villas à Royal Park et à Lisbonne, Jaguar et des dollars détournés d’Angola.

Pravind Jugnauth, qui a passé un premier grand test comme Premier ministre en maîtrisant une crise constitutionnelle et à faire partir AGF de la State House sans grands dégâts, a intérêt à aller jusqu’au bout de sa démarche pour faire la lumière sur la ténébreuse affaire Alvaro Sobrinho ; celle-là même qui entretient un climat de suspicion au sein de la population et de la classe politique et empoisonne l’environnement financier du pays depuis plusieurs mois.

Le locataire de l’hôtel du gouvernement n’a pas le droit de reculer. À lui de choisir l’instance pour faire éclater la vérité. Il y va de son honneur et de son sens de l’État. Au cas contraire, on comprendra qu’il a peur d’ouvrir la boîte de Pandore …