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# Delete Facebook

31 mars 2018, 07:31

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Facebook X WhatsApp

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«Certains philosophes disent que le monde extérieur n’existe pas et que c’est en nous-même que nous développons notre vie.»

À la recherche du temps perdu, Marcel Proust

Facebook, le pays le plus peuplé du monde avec plus de deux milliards d’âmes (sur les 7,4 milliards que compte la planète Terre), s’apparente à un livre, souvent ouvert, dans lequel il y a du bon et du moins bon. Mais Facebook n’est pas qu’une plateforme, avec ses conseils d’utilisation qu’on ne lit presque jamais. Facebook dépasse notre entendement. Car on est souvent captivé, exposé à la face du monde, au vertige des sens virtuels.

Souvenez-vous, à une époque, les livres aussi étaient mis à l’index - pourtant les livres en soi ne sont pas dangereux, n’étant que des outils pour présenter ou tailler des idées. Au Moyen-Âge, on pouvait même finir au bûcher à cause de nos écrits. Aujourd’hui aussi, en dépit de la liberté d’expression savamment gargarisée, tout citoyen peut faire appel à la justice pour stopper la diffusion d’un livre négationniste, qui inciterait, par exemple, à la haine raciale ou qui violerait la vie privée.

Un exemple me vient à l’esprit : Mein Kampf, texte rédigé en grande partie par Hitler alors qu’il était en prison en 1924, puis édité par ses collaborateurs, qui reste interdit dans beaucoup de pays dits modernes. Il s’agit pourtant d’un document historique majeur, qui permet de comprendre le cheminement d’une pensée noire ayant habité un homme, puis une nation tout entière, à un sombre moment de notre humanité commune. Si le citoyen ne peut pas l’acheter librement, il lui est aujourd’hui possible d’en prendre connaissance, gratuitement et facilement en ligne, tout comme les Versets sataniques ou Sade, hier interdits, aujourd’hui en vente libre dans les supermarchés, ou consultables sur la Toile.

Mais, quel est le lien avec Facebook, me demanderez-vous ? Il s’agit ici aussi d’écrits, de contenu. Chaque seconde, des millions d’individus, comme vous, publient tout ce qui leur passe par la tête sur des pages Facebook - de la pousse de vos ongles à la couleur de vos envies passagères. Tout le monde est devenu écrivain, éditeur, analyste, propagandiste, négationniste, ou positiviste. Tout un chacun s’imagine poseur de proses comme Marcel Proust, ou Orhan Pamuk… Beaucoup n’ont pas leur talent. Mais ce n’est pas grave. Pas besoin de Nobel à Maurice, pays le mieux géré au monde, dixit Bérenger (entre 2000 et 2005).

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Né il y a une quinzaine d’années, Facebook a demandé et obtenu, au fil des ans et des contacts, notre confiance, nos mots, nos mottos, nos photos et nos états d’âme – nos «likes». Certes, il y a eu beaucoup de messages appelant à un peu de retenue, mais on voulait jouir sans entrave. Et on s’en contre-fichait. Pour une fois qu’on était/est le seul maître à bord du Titanic. Pourquoi s’en priver ? On savait un peu que nos informations aideraient Facebook à nous «vendre» aux publicitaires, mais on ne s’en souciait pas outre-mesure, obnubilé qu’on était par le nombre d’amis qu’on affichait sur nos pages respectives, comme des chasseurs exhibant leurs morceaux de gibier.

Ce n’est que dans le courant de cette semaine qu’on a commencé à comprendre comment cela fonctionne en fait. Comment tout est détourné !

Les nombreux utilisateurs que nous sommes (ou, du moins, qu’on était), même si, par exemple, on militait contre l’usage des données biométriques, nous nous déshabillons volontairement sur Facebook, à bien des égards comme des exhibitionnistes. On ne savait pas que des concepteurs d’application dans des pays du Nord vendraient nos données au plus offrant, notamment aux collaborateurs de certains partis politiques (d’extrême droite de surcroît). Certes, dans les débats suivant le scandale Cambridge Analytica, on peut parler d’une défaillance de sécurité de la plateforme, comme l’a souligné Facebook de manière répétée, mais on peut - et on doit - aussi parler d’abus de confiance et de phénomène de mode, ou d’effet d’entraînement. Comme la campagne sur Facebook de Viré Mam à Maurice, en 2014 ?!

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#DeleteFacebook. Le hashtag Twitter est né cette semaine sur la Toile - peu après les révélations portant sur Cambridge Analytica. Le hashtag a soudain pris des airs de mouvement moderne, alors qu’hier cela relèverait du privilège. Personnellement, je ne compte plus le nombre de fois qu’on m’a apostrophé ces dernières années : quoi tu n’as pas de page Facebook ! De quoi as-tu peur ? Mais comment tu fais… Il n’y a pas que Facebook dans la vie, répondais-je.

Air du temps : la Toile reste, mais Facebook est menacé, alors que Twitter se renforce, de même qu’Instagram (même si ce dernier appartient à Facebook). J’ai demandé autour de moi : abandonner Facebook s’avérerait, pour beaucoup, autodestructeur pour son image, son ego, son moi (ou plutôt ses multiples moi). «Le scandale que traverse Facebook, cette crise de confiance ne doit pas nous faire fuir. Nous devons exiger l’avènement d’un meilleur Facebook.» Soit.

Mais le problème c’est que Facebook est en train de devenir Internet en lui-même, et Internet est en train de devenir Facebook. En supprimant Facebook, votre entreprise aura peut-être plus de mal à trouver des clients. Vos «amis» refuseront peut-être de changer de réseau social. Personne ne créera d’événements ailleurs. Pour de nombreuses personnes, le fait d’abandonner Facebook est tout bonnement inimaginable.

Néanmoins, depuis l’affaire Cambridge Analytica, nos données personnelles sont devenues une réelle préoccupation. Dylan Curran, expert data, s’est plongé au plus profond des données qu’il a partagées avec Facebook et Google. Voici quelques-unes de ses conclusions : «Google vous suit partout. Si la géolocalisation est activée sur votre smartphone, Google sait où vous allez. Il est possible de visualiser une carte de vos déplacements en suivant ce lien: google.com/ maps/timeline?… La date et l’heure sont bien sûr indiquées sur chaque entrée GPS… Google adapte ses publicités à votre profil. Les renseignements que vous avez partagés sur Google comme votre localisation, votre sexe, votre âge, vos hobbies, votre situation amoureuse ou même votre poids servent à créer votre profil publicitaire. La publicité ‘Des rencontres près de chez toi’, ça vous dit quelque chose?»

Facebook vient d’annoncer des mesures censées permettre à ses utilisateurs de mieux contrôler le contenu de leur compte via une modification des paramètres de confidentialité. L’objectif est de rétablir la confiance avec les utilisateurs et les investisseurs, inquiets des conséquences du scandale Cambridge Analytica. En seulement dix jours, la valeur boursière du réseau social a fondu de 18 %. Cette tendance pourra-t-elle être inversée ?

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Partagée, via WhatsApp, par un ami, cette réflexion qui fait le tour des réseaux sociaux : «Bonjour, comme je n’ai pas Facebook, j’essaie de me faire des amis en dehors du vrai Facebook mais en appliquant les mêmes principes : tous les jours je descends dans la rue et j’explique aux passants ce que j’ai mangé, comment je me sens, ce que j’ai fait la veille, ce que je suis en train de faire, ce que je vais faire demain. Je leur donne des photos de mes partenaires ou de mes enfants ou de mes chiens, de moi en train de laver mon bateau, de ma maman en train de laver les couches des jumelles… j’écoute aussi leurs conversations et je dis ‘Like’. Et ça marche : il y a déjà quatre personnes qui me suivent : deux policiers, un psychiatre et un psychologue…»