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Difficile, mais prenons courage
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Difficile, mais prenons courage
Chers lecteurs,
Ma prise de parole est très attendue. Moi qui ai toujours dénoncé le silence et l’opacité, il fallait donc que je parle, vous m’avez sollicité, et je vous le dois. C’est cependant un exercice difficile – certainement le plus difficile de ma carrière, voire de toute ma vie – et j’aimerai d’abord vous expliquer pourquoi ça l’est car j’estime que concéder la difficulté d’une situation est la première étape pour en sortir. Sinon, nous sommes des autruches.
C’est difficile parce que c’est une onde de choc sans précédent ni précurseur. Personne au sein d’une famille, d’un groupe d’amis, d’une entreprise, ou d’un groupe de presse, même aussi avant-gardiste que La Sentinelle, n’est préparé à accuser un tel choc et vivre une telle semaine. Il n’existe pas de «sortie de secours» tracée sur une feuille de route, à une telle situation. Ceux qui pensent que l’express aurait pu, ou aurait dû, communiquer comme-ci ou cela ont peut-être raison. Mais au cœur d’un séisme d’une telle magnitude – il faut concéder que c’est un séisme pour nous les employés, moi, le présentateur de l’émission Menteur Menteur, et vous, les viewers et les lecteurs – la confusion est chaotique.
Au terme d’un briefing général appelé en urgence par le Chairman de La Sentinelle à 15 heures, mardi, nous étions comme vous, ce jour-là. Rien de très clair ni de très précis. La situation nous a été communiquée comme elle vous l’a été à 15 h 15 sur lexpress. mu. Le directeur des publications de La Sentinelle est cité dans une affaire de mœurs où les allégations contre lui sont graves, et son ex-compagne, chef d’édition à l’express, réclame la garde de leur enfant.
L’emballement a été fougueux, la lapidation sur les réseaux sociaux immédiate, la jubilation politique et médiatique face à la chute du journaliste le plus détesté du milieu spontanée. La théorie du complot clouant l’ex-compagne au pilori a également vu le jour. L’autre a parlé de karma et de vengeance divine. Petit à petit, nous avons compris qu’il s’agit d’une mère, une collègue dont l’instinct est de protéger son enfant, et d’un père, un collègue aussi, un allié de mes récents combats, un de mes fervents soutiens hiérarchiques, le porte-drapeau et la vitrine de l’institution l’express, faisant face à l’allégation d’avoir commis le crime que l’humanité considère comme le plus ignominieux.
Ma seule réponse possible fut le silence. Un silence faisant office de neutralité stricte entre les deux parties ; et une neutralité que j’observe encore aujourd’hui puisque je n’y étais pas, je n’ai pas le mandat pour enquêter, je ne sais pas, je reste neutre. Mais c’était également un silence dans lequel je m’étais retrouvé emprisonné pour l’intérêt de l’enfant. J’ai osé espérer, même après le communiqué de la direction, mardi, que les détails de l’affaire ne transpireraient pas pour que cette enfant puisse continuer à aller à l’école sans être identifiée et montrée du doigt pendant qu’on lui murmure dans le dos : «C’est elle».
J’ai osé espérer que dans dix ans – d’ici là, son père aura été condamné ou acquitté –, elle n’ait pas à apprendre sa triste histoire via Google. Mais l’infranchissable a été franchi. L’affidavit a été balancé sur les réseaux sociaux, décortiqué dans les salles de rédaction et à l’antenne ; et des verdicts prononcés. Cette tristesse que je ressens aujourd’hui face au double drame de cette enfant, qui, depuis sa naissance, est un peu la petite star de La Sentinelle, est douloureuse, insupportable et indescriptible.
«Dans la vie d’une entreprise, il y a des moments de joie et de bonheur, mais il y a aussi des moments tristes et difficiles comme cela», a conclu le Chairman de La Sentinelle, et directeur par intérim des publications, pour mettre un terme à cette réunion de mardi.
Pour un groupe de presse dont le titre phare, l’express, s’est positionné ces dernières années comme le journal d’investigation et chien de garde par excellence contre la corruption, l’enrichissement illicite, la discrimination et le mensonge et ayant fait tomber, dans cet engagement, des têtes comme celles de Ravi Yerrigadoo, Youshreen Choomka, Showkutally Soodhun et bien sûr Ameenah Gurib-Fakim, le Chairman ne croyait pas si bien – et si peu – dire en parlant de «moments difficiles».
Quoi que nous dénoncions à partir d’aujourd’hui, il y aura toujours un énergumène – dans la tonalité de Pravind Jugnauth – qui répliquera : «Al anket lor zot sef pédofil.» Je pense sincèrement que it comes with the territory. Nous qui, avec raison, jour après jour, semaine après semaine, jetons en pâture ceux que nous dénonçons avec des enquêtes et des faits, devons faire le dos rond et concéder ce non-sens, en refusant toutefois de l’accepter et en se faisant à l’idée que ceux qui sont justes et factuels dans leur appréciation concèderont que nous ne sommes qu’au stade d’allégations, pas à celui de condamnation.
Que les jouisseurs du jour, d’hier ou de demain ne se réjouissent pas ad vitam aeternam. L’express, ce n’est pas l’histoire d’un homme. C’est un combat dans le temps. Celui d’un peuple. Celui de nos aînés. Celui des jeunes. Celui de l’avenir. Courage, recommençons. Courage, enquêtons à nouveau. Courage, réécrivons.
«À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.» Pierre Corneille
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