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Intelligence collective

9 mai 2018, 03:36

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Les veilles de Budget sont des moments intéressants de la vie publique à Maurice. Chacun s’attelle à la rédaction de son mémoire au ministre des Finances, dans l’espoir que son idée sera retenue. Dans cet exercice participatif, les points de vue de Business Mauritius et des opérateurs économiques sont les plus attendus. On retiendra du mémoire de cette année deux objectifs clés : la croissance à 5 % et la dimension nécessairement inclusive de cette croissance.

Dans l’ensemble, notre société comprend bien l’objectif de croissance. Elle y adhère pleinement. Les capitaines d’industrie ont une vision claire des moyens pour y arriver. Moyens monétaires, fiscaux, politiques de gestion publiques, politique d’octroi de permis. L’objectif d’inclusivité, en revanche, demeure voilé d’un flou artistique. Que veut dire une croissance inclusive ? Quels sont les moyens pour y arriver ? Les propositions à ce stade sont plutôt discrètes, sous forme de «recommandations» au gouvernement.

Cette discrétion a été, nous dit-on dans les milieux d’affaires, une attitude pragmatique. Il est courant de penser que la dimension sociale du développement économique est un champ de responsabilité qui revient au gouvernement. À lui, et à lui seul de proposer un modèle social, de mener de front les problèmes du terrain et de les gérer. Le rôle des entreprises n’étant, pour leur part, que de produire.

Il est vrai que cette prévenance diplomatique a permis un consensus apaisé après notre indépendance. Elle pourrait se révéler une idée reçue qui a perdu de sa pertinence. Les problématiques du XXIe siècle sont devenues bien trop complexes pour qu’elles soient gérées dans des silos de gouvernance. L’inclusivité est aujourd’hui l’affaire de tous. Et la réussite d’un projet de société exige de prendre la pleine mesure de cette dimension.

Un exemple de cette nouvelle réalité est celui de la gestion du projet hôtelier de Pomponette. Un projet qui s’inscrit dans la logique de croissance au vu des investissements et des emplois promis. Un projet conçu dans des bureaux de financiers, d’architectes. Mais loin, très loin des parties prenantes locales. Si bien que la perspective de la croissance promise inspire peu, puisque le projet mènerait à l’exclusion des Mauriciens du bénéfice de la plage. Résultat : manifestations, arrestations et malaise national. Quand ce n’est pas la BBC qui débarque au grand dam de toute l’industrie.

Cet exemple démontre que si nous voulons d’une croissance inclusive, nous devons nous préparer à gérer des problèmes d’une plus grande complexité. Il y a encore vingt ans, les projets hôteliers ne rencontraient de résistance que de la part de militants de la première heure, qui ne représentaient guère davantage qu’eux-mêmes, et de groupes de pêcheurs aisément achetables. Les stratégies qui faisaient alterner la séduction (convaincre les pêcheurs) et l’intimidation (faire intervenir la police) étaient encore efficaces. Aujourd’hui, les résistants sont conscients, informés et communicants. Grâce aux réseaux sociaux, ils brassent plus large. Les vieilles stratégies ne fonctionnent plus.

Dans un tel contexte, on comprend vite que le concept de croissance «inclusive» demandera des entreprises et des gouvernants de s’approprier l’idée que l’inclusivité n’est pas qu’un concept macroéconomique qui se règle par des mesures fiscales. Mais aussi un mode de gestion plus complexe que le style directif à sens unique auquel nous sommes habitués. Un mode de gestion qui demande de faire appel à l’intelligence collective de notre société.

Or, nous avons développé à Maurice des compétences très faibles dans la gestion du collectif, préférant le style directif. Les projets sont développés par des «experts» qui «décident» dans un bureau; décisions qui sont ensuite «vendues» à l’étage d’en bas. Une approche contreproductive quand il s’agit d’affronter des parties prenantes intelligentes et organisées qui questionnent le sens des décisions.

Tel sera le défi à relever pour atteindre cet objectif de croissance inclusive. Nous devrons développer au niveau national des leaders d’une nouvelle trempe, capables de renoncer aux stratégies de séduction-intimidation pour s’approprier les outils de l’intelligence collective. C’est tout un programme !

 

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