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Choc sucrier

6 juin 2018, 04:25

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«Le sucre se meurt», répète-t-on depuis plusieurs années. D’une mort dite «lente», puisque les cris au loup des années passées sont devenus comme les murmures du vent. On les entend sans les percevoir.

Puis, il y a les banquiers. Ils écoutent aussi les murmures du vent, calculent la distance et l’intensité et récoltent ce qu’ils veulent bien prendre. Tant que l’entreprise peut repayer, les crédits sont là, les banquiers sont dans le vent. Le gouvernement aussi.

Ce qui a changé, cette année, ce n’est pas que les sucriers s’inquiètent, mais que les banquiers s’agitent. Avec un prix de revient de Rs 17 000 la tonne et un prix de vente de Rs 10 000, selon les dernières estimations du comité technique sur le sucre, ce n’est plus du même vent qu’il s’agit. Ni de la même «lenteur». Pour de nombreux petits planteurs, la fermeture a déjà été mise en oeuvre. Ne reste que les gros planteurs et usiniers, croulant sous le poids des dettes et des charges dont ils ne peuvent se défaire.

Les sucriers, les banquiers dans le dos, attendent du gouvernement une réponse à cette crise. Cette réponse peut être : faire monter les prix ? Ce serait un miracle. Faire baisser les coûts ?... Pour l’heure, la réaction consiste à blâmer le gouvernement précédent. Voilà qui va franchement rassurer les parties prenantes du secteur sucre !

Dans la conjoncture actuelle, le secteur entier est projeté brutalement dans son avenir. C’est un choc d’autant plus malvenu que ce secteur cumule depuis 20 ans des réformes, dont on espérait qu’elles garderaient un visage humain. Le secteur semblait avoir pris en main son avenir et espérait souffler. Or, la réalité est que tout ce qui a été entrepris auparavant, bien qu’utile, ne suffit plus. Dans un monde où le plus fort gagne, l’avenir des travailleurs du sucre mauricien dépend davantage de ce qui se passe en Afrique ou au Brésil, du niveau des salaires qui y est pratiqué ou des modèles financiers des banquiers que du vainqueur des prochaines élections à Maurice.

Du coup, quel que soit le leader au pouvoir, la nouvelle réforme qui s’annonce pourrait tout à coup se passer de visage humain. Je n’ai à ce jour rencontré personne qui s’en réjouisse. Sortez l’humain de l’équation et on comprendra pourquoi, au forum de l’avenir, on ne se bouscule pas au portillon.

Quand on imagine cet avenir, qui prend les formes d’un cynisme économique rarement rencontré, on se pose la question : n’y a-t-il pas d’alternative ?

Hélas, la survie du sucre dans son modèle économique industriel, construit sur le volume et la compétitivité, se redéfinira dans le court terme dans cette absence d’alternative. Les banquiers n’attendent pas. La fin du sucre tel que nous l’avons connu est imminente. Sa survie dans un contexte globalisé dépendra de cette volonté de lui donner au moins les chances de concourir à armes égales avec d’autres exportateurs qui, pour leur part, n’hésitent pas, il est vrai, à pratiquer le dumping social.

Ce n’est donc pas de la fin du sucre qu’il s’agit, maisde la fin de sa dimension sociale. Si bien que ce n’est pas tant le sucre que cette réforme va nous forcer à réinventer, mais la société. Et le modèle économique qu’elle a choisi.

Historiquement, Maurice a choisi un modèle par lequel le pays exporte du sucre et importe quasiment tout ce qui constitue ses autres besoins. Notre diversification a consisté à ajouter une dizaine d’autres éléments à nos exportations, et à toujours importer les milliers d’autres biens dont nous avons besoin. Y compris les biens alimentaires et les besoins en énergie. Dans un contexte de terres en friche (ce qui est déjà le cas pour les planteurs qui ont abandonné le sucre) et devant l’impossibilité de tout bétonner (ce qui ne serait pas durable), il restera à inventer un usage pour ces terres. Si nous voulons échapper à l’implacable dumping social que nous impose la mondialisation, nous devrons imaginer ces terres destinées à accueillir la manufacture de produits et services, à être fournis à des Mauriciens, aux conditions auxquelles les Mauriciens voudront les produire, à être vendus au prix que les Mauriciens voudront les payer.

L’alternative existe. À condition d’y réfléchir.

 

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