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Littérature mauricienne: le roman «Mamzelle Rose» d’Ibrahimsah, «un réel chef-d’oeuvre»

17 août 2018, 15:44

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Littérature mauricienne: le roman «Mamzelle Rose» d’Ibrahimsah, «un réel chef-d’oeuvre»
Le lancement de «Mamzelle Rose», de A. Rahim Ibrahimsah, a eu lieu au «Hennessy Park Hotel», le 11 juillet.

Publié aux éditions La Sentinelle, le roman Mamzelle Rose de A. Rahim Ibrahimsah, lancé par le président de la République par intérim au Hennessy Park Hotel le 11 juillet, constitue une oeuvre majeure du patrimoine littéraire mauricien. L’histoire se déroule dans une de ces cours communes comme il en existait dans le Port-Louis d’antan, parfaitement décrit par l’auteur qui a grandi dans l’une d’elles, comme des «cours de formation», avec plusieurs locataires – des gens simples au grand coeur, exotiques et de toutes les communautés vivant et évoluant dans un espace restreint et faisant l’apprentissage ou donnant l’exemple du vivre ensemble et de l’accommodement.

La jeune, belle et mystérieuse Mamzelle Rose, en emménageant un vendredi 13 – date prémonitoire– dans un pavillon inoccupé de cette grande cour commune, allait bouleverser la vie de ses locataires. Pour le meilleur comme pour le pire. Elle se métamorphosera à la rencontre d’un amour improbable et impossible mais sincère et réciproque auprès de Cader, collégien et fils unique d’une femme de chambre, locataire de la même cour. Contrainte à l’enfer de la prostitution, elle essaiera le plus longtemps possible de lui cacher son honteux secret et ensemble ils vivront, avec la fougue de leur jeunesse et volupté, des moments intenses dans l’intimité de sa maison, loin des regards curieux mais indulgents de leurs voisins.

Ibrahimsah nous avait habitués à ses chroniques qu’il publiait de temps en temps dans le quotidien l’express et qui, de sa fine plume, nous faisaient souvent revivre des pans de notre histoire pas très lointaine quand «la civilité était (encore) un credo individuel et un devoir collectif». Daniel Koenig, qu’il considère un peu comme son mentor, avait parfaitement raison de l’encourager à prendre la plume : «Continuez à écrire, lui disait-il, je compte sur vous.» Son essai même tardif – il est jeune de ses bientôt 80 ans – au roman s’est révélé un vrai coup de maître car celui-ci est, de mon point de vue, un réel chef-d’oeuvre.

Dans un style flamboyant, l’auteur de Mamzelle Rose nous éclaire sur les us et coutumes à l’époque où se déroule l’histoire, utilisant une palette de couleurs locales et un florilège de créolismes. En anthropologue social averti, il nous emmène visiter les fouilles, nous fait voir et découvrir émerveillés, ce Port-Louis hélas disparu. Il paraît évident que l’expérience de son vécu a enrichi son récit, avec de belles phrases – tels des aphorismes – imprégnées d’éthique, de philosophie et d’humanisme. Je ne puis m’empêcher d’en citer ici quelques-unes.

D’abord sur l’amitié, cette magnifique observation du professeur : «Les amis sont, pour ainsi dire, des lettres qui forment toujours quand on les mélange, le mot bonheur.» Aux puissants du jour quelle meilleure invite que «Même si un jour tu deviens roi, agis en homme de foi.» Et enfin ce cri de coeur venant du même professeur : «Qu’un jour le prix Nobel de la souffrance soit accordé aux esclaves des ex-colonies.»

Pour ceux qui ne le savent pas, Ibrahimsah, qui, soit dit en passant, est aussi un mien ami, est un pince-sans-rire. Et dans son Mamzelle Rose, il nous montre la vivacité de sa plume et nous gratifie des inédits cocasses dignes de figurer dans un recueil de bons mots avec des traits d’esprit comme «le coup de garce ou les journées jambes ouvertes» d’une prostituée ; «un merlan enchanteur, ce coiffeur» ; et «la gent croque-menu» pour les buveurs et de Napoléon, «cet empareur de la France».

Ségatiers des années 60 D’autre part, certains fragments de son texte sont consacrés aux ségatiers des années 60 et un hommage mérité leur est rendu. L’auteur, lui-même amateur de séga, les nomme et valorise le lyrisme de leurs compositions. Il surnomme Ti-frère le «Moïse des ségatiers» car c’est grâce à sa persévérance que le chemin des encombres a été déblayé pour que le séga soit reconnu et accepté. Ceci avec l’aval de «la bourgeoisie qui, en organisant la nuit du séga au Morne, cadre hautement symbolique», lui donna un certificat de renaissance.

En ces années-là, une musique moderne avec ses chansons sentimentales, les slows, rocks, et autres pop et yéyé avait envahi le pays et enthousiasmait les teenagers et les mélomanes, en général. Et c’est à travers les chansons de Ray Charles ou Dean Martin, que l’auteur affectionne sans nul doute, qu’il emmènera Cader, l’amoureux mélancolique, à choisir, pour surmonter sa timidité amoureuse, de faire ses déclarations d’amour tandis que l’héroïne du roman, son grand amour meurtri et harcelée de honte, errant dans ses remords retrouvera, comme une rédemption, Dieu dans le Only You des Platters et transformera sa vie en une offrande pour se faire pardonner. Au-delà de la musique et des chansons, ce personnage central du roman d’Ibrahimsah ne laissera pas indifférent notre questionnement affectif et finira par attirer notre compassion et ainsi féconder notre humanisme dans sa forme la plus pure pour le projeter sur la dure réalité de nos semblables, avec leurs défauts, leurs faiblesses et leurs manquements.

Mamzelle Rose a aussi le mérite de nous éclairer, par bribes éparses, sur la manière dont les jeunes du siècle dernier, aux moyens modestes, bricolaient leur quotidien. Ils dévoraient, nous dit l’auteur, des romans policiers et des bandes dessinées, des fois même durant la classe. Sur la recommandation de leurs professeurs, ils allaient au cinéma «pour faire votre éducation» et cela devint leur passe-temps favori. Ils apprenaient «par coeur» des poèmes, dialogues des films et chansons «qui exercent la mémoire et le bien parler», selon ces mêmes professeurs et s’adonnaient à la pratique du sport. Tout cela n’imposait pas de grands frais, les libérait et les distrayait tout en leur permettant de se documenter pour les débats inter-collèges – activités aujourd’hui disparues ! Ce n’était pas encore la saison des portables et les activités bon marché incluaient des rencontres qui humanisaient les rapports et les interactions mieux que le virtuel de nos jours.

L’auteur, pour qui ce livre est un devoir de mémoire, s’est révélé vrai romancier et très doué car il n’est pas donné à n’importe qui de produire un pavé de quelque 400 pages sur des thèmes si variés, instructifs et plaisants. Il est à souhaiter que le roman Mamzelle Rose, en sus de trouver sa place sur les rayons de nos bibliothèques, soit prescrit comme texte d’études dans nos institutions scolaires secondaires et universitaires. C’est une oeuvre mauricienne d’un talentueux écrivain qui a su faire revivre le quotidien des gens modestes, certains trimant du matin au soir, d’une époque révolue mais pas trop lointaine où on prenait plaisir à assister au ghoon «musulman » comme à la procession «catholique», au dragon «chinois» comme au pèlerinage «dilo rouz hindou» de Grand-Bassin.

Endimanchés, on se promenait à pied ou à bicyclette dans les rues et ruelles de Port-Louis, allant du Camp-des-Lascars au Chien-de-Plomb à la rade Port-Louis, du Champ-de-Mars à Les Salines en passant par le boulevard de Marie- Reine-de-la-Paix ou encore on assistait à des concerts au jardin de la Compagnie. Il y avait alors dans tous les quartiers, éparpillés ça et là, des boutiques «sinwa» avec leur commis «long guy» et leurs tavernes où se retrouvaient les soûlards invétérés et les buveurs occasionnels, les pauvres, les moins pauvres, les plus aisés, dans une même atmosphère de franche camaraderie, avec chacun insistant sur sa tournée.

Mamzelle Rose est un roman qu’on dévore à belles dents !