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Passagers clandestins

Prisonniers des embouteillages aux heures de pointe, rien ne semble plus loin de la réalité des Mauriciens que ce dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Un rapport qui invite à contenir la hausse des températures mondiales à 1,5 degré d’ici 2030. Ce qui passe par une réduction de 45 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport à leur niveau de 2010. Objectif ambitieux !
Si tous reconnaissent l’urgence de s’atteler à cet objectif, on cherche encore le moyen pratique de le réussir. Un des moyens envisagés est l’imposition de la taxe carbone. C’est un impôt qui taxe les industries émettant des gaz à effet de serre et les consommateurs. Le pari est que si les prix de ces énergies sont plus élevés, les industries feront des choix plus verts et les ménages modérèront leur consommation. Dans le même temps, les recettes de la taxe seront dégagées pour financer des projets de transition énergétique.
Plus de 45 pays s’y sont déjà engagés, dont le Canada, la France, l’Afrique du Sud et la Chine. Les taux d’imposition varient de 10 dollars la tonne pour l’Argentine, 30 dollars canadiens au Canada et à 63 euros la tonne pour la Finlande.
Quant à nous, cela ne paraît, pour l’heure, inquiéter personne. Pourtant, l’application de cette taxe dans les pays développés pourrait transformer brutalement notre propre environnement économique. Car si la taxe vient à s’ancrer durablement dans le paysage des pays développés, elle aura aussi pour effet de hausser leurs propres coûts de production et, par conséquent, de réduire leur compétitivité. Dans un contexte de libreéchange, les entreprises de ces pays perdraient en avantage concurrentiel. Une régression que ces pays ne sont pas prêts à envisager.
C’est le risque qu’ont mis en exergue les lauréats du prix Nobel d’économie de 2018, William Nordhausen et Paul Romer. Ils estiment que la taxe carbone est une solution crédible aux changements climatiques à la condition (et pas des moindres) qu’elle s’applique à tous. Dès lors, il convient de veiller à ce que les pays «disciplinés» (donc taxés) ne perdent pas du terrain par rapport aux pays nontaxés, dits «passagers clandestins».
Or, depuis les discussions autour de cette taxe carbone au Congrès de Rio, en 1992, les idées sur sa possible application ont évolué. Au départ, la taxe carbone avait été considérée comme une responsabilité relevant surtout des pays développés. Ces derniers étaient chargés de porter plus lourdement le poids de cette mesure en fonction de leur contribution historique à la pollution mondiale.
Depuis, les émissions de gaz à effet de serre des pays en développement ont fortement rattrapé celles des pays développés. Et il y a des riches partout. Un riche pollue autant qu’il vive à New York, Shanghai ou Grand-Baie. Si bien qu’au Congrès de Durban en 2011 et à la COP21 en 2015, les pressions pour intégrer les pays en développement dans les solutions mondiales se sont intensifiées.
L’octroi en octobre 2018 d’un prix Nobel sur cette taxe s’inscrit dans la suite logique de ces pressions. Les lauréats suggèrent brutalement la constitution d’un club des pays adhérant à la taxe et des sanctions pour ceux qui n’y participent pas. Par le poids scientifique des conclusions de la recherche, le prix légitime les discours des lauréats. Il participe à conditionner l’opinion publique à des décisions de politiques publiques futures.
Les pressions montent pour la mise en oeuvre globale de cette taxe. Si nous ne connaissons pas les échéances, nous sommes bien placés pour savoir combien, en matière de fiscalité, les pays développés sont déjà organisés pour imposer leur système au reste du monde. Or, à l’aune de ces nouveaux comportements politiquement corrects de la communauté internationale, faisons-nous bonne figure ?
Récemment, Maurice s’est engagé dans le sens inverse de la tendance mondiale. Une forme de taxe carbone avait été introduite avec la contribution de 30 sous par litre pour le projet Maurice Ile durable. On comprend qu’elle a été enlevée puisque ce projet n’a jamais enrichi que les fonctionnaires payés à ne rien faire. Mais la STC continue de percevoir des taxes pour construire des routes qui vont encore accroître nos émissions. Quant à nos industries, elles ne sont pas pénalisées pour leurs choix.
À nous obstiner dans cette direction, nous avons toutes les chances de figurer à une éventuelle liste noire de la taxe carbone.
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